Rousseau accorda une place essentielle au cœur et à l’émotion dans sa démarche philosophique, contrairement à ses prédécesseurs qui considéraient les sens comme corrupteurs de la raison. Selon Rousseau, la sensibilité qui s’exprime au plus profond de nous est un livre ouvert dans lequel il nous est possible d’y découvrir la nature et le divin. Le philosophe considère que l’intelligence n’est pas suffisante pour connaître la sagesse, la raison agissant seule pouvant même voiler la réalité qui s’offre devant nous. Même sur le terrain de la vertu, la nature humaine se suffit à elle-même pour y naviguer. La pitié par exemple est un sentiment dont chacun dispose, l’homme naturellement ne supportant pas la souffrance d’autrui. Il n’a donc pas besoin de réfléchir pour se décider à porter secours dans l’intention de diminuer la peine dont il est témoin. Il s’agit d’un mouvement originel qui se dispense de la réflexion. Sauf que la raison bien souvent l’emporte et nous conduit à l’indifférence. Cette dénaturalisation révolte Rousseau. Celui-ci estime l’homme comme foncièrement bon mais corrompu par la société. Il considère que la conscience, sans raisonnement logique et déductif, est compétente pour définir la morale et son contenu. Le devoir, le bien, le mal, la vérité sont des discours que tout cœur d’homme est capable d’entendre et d’écouter. Rousseau s’interroge donc sur les effets de la culture, du progrès, de l’histoire sur notre âme. La société nous a-t-elle dépouillés de notre pureté originaire et plongé dans l’obscurité et l’égoïsme ? Pour y répondre, le philosophe des Lumières imagine un être dépourvu de tout lien social, un animal humain dont la vie se résumerait à la cueillette pour satisfaire ses besoins de nourriture. Sans cause particulière, cet homme n’a aucun motif pour sortir de cet état. Il faut la survenance d’évènements exogènes qui perturbent la relation de l’individu avec la nature pour qu’il se contraigne à se regrouper avec d’autres représentants de son espèce et fonder une organisation. L’homme vit alors en société parce qu’il n’a pas le choix. Il lui faut dorénavant user de compromis et accroître sa puissance pour que la collectivité subsiste. La technique apparaît dans un élan de progrès, mais aussi la propriété créatrice d’inégalités. La politique s’invite également pour initialement représenter. Mais certains la soumettent à leur propre volonté et produisent ainsi des systèmes tyranniques et despotiques. La révolution n’a plus alors qu’à faire son œuvre. Rousseau, de part ses écrits et en cherchant pour lui-même à retrouver l’état de nature, adopte une position révolutionnaire. Il refuse le luxe, la gloire, et ne sera jamais propriétaire. Il mène dans la solitude un combat contre les conventions et les accoutumances que les puissants et les influents entretiennent. Il rompt ainsi avec la philosophie de son époque qui est convaincue que le développement des sciences et des techniques engendrera sans contrepartie le progrès humain. Cependant il ne rejette pas les avancées technologiques, ni leur intérêts, mais lucide il admet que chacune d’entre elles a un prix. La quête du savoir dans un objectif de toute-puissance altère la sagesse. Contrairement aux pensées de Socrate et de Platon, Rousseau est persuadé que la connaissance ne conduit pas systématiquement à la vertu. L’homme du XVIIIe siècle est-il donc définitivement dénaturé et condamné à la courtisanerie au détriment de la sincérité ? Est-il déjà trop tard pour qu’il puisse retrouver un état qu’il a depuis longtemps abandonné ? Rousseau ne le pense pas. L’éducation par exemple peut lui permettre de discerner à nouveau les voix de la nature. Le philosophe n’envisage pas non plus de brûler tout ce que l’homme a conquis. Il s’agit plutôt de vivre mieux, notamment en ce qui concerne les rapports qui unissent les hommes. A ce titre, Rousseau propose un contrat social dont l’objectif est que la nature reconquiert sa place au sein de la société et cela dans un esprit de liberté. La politique doit être au service de tous, exprimer la volonté générale et non plus celle de quelques-uns. La nature en effet n’a jamais ordonné à l’homme qu’il soit esclave ou asservisse les siens. Le contrat institue un cadre où chacun est à la fois gouverné, tout individu abandonnant ainsi sa liberté d’exercer la force pour préserver la sécurité de tous, et gouvernant, en participant sous une forme ou une autre à la représentativité de la communauté. Rousseau posa ainsi les fondements de la démocratie moderne, celle-ci étant selon lui destinée à œuvrer pour le bien de tous tout en respectant la personne en tant qu’être de la nature.
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