Je viens de dégoter chez un bouquiniste La Bible Amusante de Léo Taxil (Paris, Librairie anti-cléricale,1882). C’est poilant. En 400 dessins de Frid’rick et un court texte de ce grand farceur de Taxil, on peut réviser les principaux hauts faits de l’Ancien Testament. Mais voyez un peu le hasard, « l’homme d’affaire du Bon Dieu » selon Henri Mürger, théologien de la Bohème ! Le lendemain de ma trouvaille bibliophilique, je fais une halte routière à Saint-Savin sur Gartempe où je savais pouvoir me dégourdir les jambes en bel endroit. J’arrive pile en pleine Nuit romane, avec plaisants spectacles dans l’abbaye et surtout visite commentée des fresques romanes qui ornent la haute voûte de la nef.
Je m’allonge donc sur un banc pour éviter le torticolis et je lis dans ce grand livre céleste tout juste restauré et bien éclairé à la fibre optique, selon la suave voix de notre jeune commentatrice. Jamais je n’avais vu si nettement ces peintures auparavant et jamais banc d’église ne me sembla si moelleux. Je pris un plaisir particulier à lire en images le cycle de Noé. Un peu plus loin sur la voûte, on voit la construction de la Tour de Babel avec Dieu qui tourne autour pour voir si le taf avance. J’aime bien cette image que j’avais spontanément lue comme étant la construction du Temple de Jérusalem, mais notre guide me détrompa. Va pour Babel, donc, avec sa cohorte d’ouvriers dont chacun apporte sa pierre à l’ouvrage sous céleste surveillance. Et puis, Moïse, Abraham, Joseph…
Et voilà qu’aujourd’hui je lis Noé raconté par Taxil ! Ca décoiffe quand il s’agit de l’ivresse de Noé, jugez-en :
« Le déluge, ainsi que bien l’on pense, avait laissé Noé profondément dégoûté de l’eau ; c’est pourquoi il inventa le vin dont il fit sa boisson habituelle. Seulement, comme le déluge avait été une immense crue, Noé, pour établir une compensation, prit une immense cuite. »
« Dans son ivresse, le saint patriarche se livra à une exhibition tout à fait répréhensible qui l’eût sans doute fait conduire au violon s’il y avait eu des sergents de ville à cette époque. Cham, l’un des trois fils de Noé, trouva très amusante la position du paternel pochard et ne se priva pas de le dire. Sam et Japhet, au contraire, jetèrent en fermant les yeux un manteau sur ce que montrait l’auteur de leurs jours. »
Chez Taxil, on voit Noé le nez dans le ruisseau au pied d’un réverbère, la chemise troussée laissant à peine entrevoir un petit cul potelé. A Saint-Savin , Noé est représenté face au ciel et exhibant ses génitoires… Cette divergence est d’importance : le blasphème est-il plus grave si l’on montre son cul plutôt que sa bite à son créateur ? Je m’interroge… Mais le dimanche, à la plage, je mettrais désormais mon maillot de bain !