Puisque l'aube grandit...La bonne chanson, Verlaine,

Par Mango




Dans le livre de Laurence Tardieu évoqué hier : «Puisque rien ne dure»,la jeune épouse se faisait lire un poème de Verlainepar son mari, accouru à son chevet, au moment de sa mort .Le voici ! Il s’agitd’un poème de «La bonne Chanson»,écrit en 1870,avant son mariage avec Matilde Mauté. Il croit que, grâce à cette toute jeune fille, sa vie deviendra meilleure et il évoque le bonheur conjugal, paisible et familier qu’il espère.

Pour l’illustrer j’ai choisi des tableaux de Bonnard et de Vuillard qui , eux aussi,ont aimé évoquer le bonheur simple, dans le décor quotidien et banal de leur vie de famille

Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore,

Puisque, après m’avoir fui longtemps, l’espoir veut bien

Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore,

Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,

C’en est fait à présent des funestes pensées,

C’en est fait des mauvais rêves, ah ! c’en est fait

Surtout de l’ironie et des lèvres pincées

Et des mots où l’esprit sans l’âme triomphait

Arrière aussi les poings crispés et la colère

A propos des méchants et des sots rencontrés ;

Arrière la rancune abominable ! arrière

L’oubli qu’on cherche en des breuvages exécrés

Car je veux, maintenant qu’un Être de lumière

A dans ma nuit profonde émis cette clarté

D’une amour à la fois immortelle et première,

De par la grâce, le sourire et la bonté,

Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,

Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,

Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses

Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;

Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,

Vers le but où le sort dirigera mes pas.

Sans violence, sans remords et sans envie :

Ce sera le devoir heureux aux gais combats.

Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,

Je chanterai des airs ingénus, je me dis

Qu’elle m’écoutera sans déplaisir sans doute ;

Et vraiment je ne veux pas d’autre paradis.

Paul Verlaine : La bonne chanson (1870)