Les chapiteaux surtout étaient admirables. Leurs sculptures, taillées jadis pour l’édification des fidèles par quelque maître anonyme, n’avaient que peu souffert du passage du temps. J’y reconnus des scènes de l’ancien et du nouveau testament alternant avec des épisodes tout droit sortis de la légende dorée. Mais le dernier chapiteau me laissa perplexe. Un ange, souriant d’un bizarre sourire que je jugeais teinté d’ironie, séparait de ses deux mains tendues un babouin et un homme. Tête basse et membres ramassés le singe paraissait terrorisé par l’homme dont la face était au trois quart mangée par une tignasse exubérante. Je contemplais plusieurs minutes cette scène que je découvrais représentée ici pour la première fois, me demandant où le sculpteur était allé en chercher l’idée. Soudain j’entendis un bruit de
« Au commencement, dit-elle, il y avait seulement la terre et le ciel, le soleil, la lune et les étoiles.. Il y avait aussi des fleurs, des arbres et des herbes, des nuages, des mers, des rivières, des lacs et des torrents. Il y avait la neige et la pluie, l’orage et la tempête et puis il y avait Dieu qui regardait tout ça car c’était lui qui l’avait fait. Et comme il trouvait qu’il manquait à son Oeuvre un peu de mouvement, il décida d’inventer les animaux.
Dieu, qui regrettait un peu de s’être laissé emporter, voulut se montrer généreux. Il le fut trop. Quand arriva le dernier de la file, un être curieux qui avançait maladroitement en se tenant debout sur ses pattes de derrière il ne restait plus rien, pas la moindre petite touffe de poils. Tout avait été emporté et Dieu se gratta le crâne ce qui était le signe d’une profonde perplexité.
“Enfin (se disait-Il) je ne vais pas laisser toute nue cette créature qui d’ailleurs me ressemble un peu. D’abord ce n’est pas très élégant et puis, sans fourrure, elle pourrait attraper froid et un rhume n’est jamais agréable. Que faire? Que faire?”
Dieu voulait plaisanter. Il n’avait inventé ce problème que pour le résoudre. Aussi après quelques minutes il fit «hum! hum !» ce qui ébranla l’Univers; puis abaissant son regard vers le malheureux qui attendait au pied de son trône, il lui dit:
Toi qui es la dernière des êtres et, il faut bien l’avouer, pas très réussi, il ne sera pas dit que je t’ai laissé sans recours dans ce monde que je viens de créer, tu recevras donc un morceau de la fourrure du premier animal qui se moquera de toi. Je t’accorde également d’avoir, cachée au fond de toi, un peu de cette flamme qui m’environne. Elle te fera plus puissant que tout ce qui marche, trotte, rampe, nage ou vole dans les airs, sur la terre ou au fond des eaux et pas un seul des êtres qui te croisera ne pourra garder les yeux fixés sur les tiens car tu emportes un peu du regard de Dieu. Va maintenant et sois heureux Homme!”
L’homme, car c’était lui (je suis sûre que vous l’aviez deviné depuis longtemps) sortit fièrement de la maison de Dieu. Seul de tous les animaux à qui l’on avait distribué des fourrures, un babouin baguenaudait devant le perron. Il n’eut pas plutôt aperçu l’homme qu’il éclata de rire et se mit à se moquer de lui l’appelant “Gorille anémié! Chimpanzé mal fini!” et autres gracieusetés qu’il serait trop long d’énumérer ici.
Depuis ce jour, par la grâce du regard de Dieu qui brûle toujours au fond de ses yeux, l’homme est devenu le maître de la Terre, il ne faudrait pourtant pas qu’il oublie que cette flamme divine brille sous le derrière d’un singe.»
La vieille femme se tût, je la remerciai et retournai dans l’église. Du haut de son châpiteau Mazdraël me regardait et son sourire n’avait plus rien d’étrange.
Chambolle
Conte du Chemin de Saint-Jacques (2) (1 )