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Le singe du chapiteau

Publié le 30 juillet 2009 par Jlhuss

capture01.1248892392.jpgLa petite étoile rouge du Saint Sacrement clignotait au fond de l’antique église romane de ce vieux bourg Rouergat. Je la saluais d’un signe de croix et d’un bout de prière puis j’entrepris de faire le tour de l’édifice, . 

Les chapiteaux surtout étaient admirables. Leurs sculptures, taillées jadis pour l’édification des fidèles par quelque maître anonyme, n’avaient que peu souffert du passage du temps. J’y reconnus des scènes de l’ancien et du nouveau testament alternant avec des épisodes tout droit sortis de la légende dorée. Mais le dernier chapiteau me laissa perplexe. Un ange, souriant d’un bizarre sourire que je jugeais teinté d’ironie, séparait de ses deux mains tendues un babouin et un homme. Tête basse et membres ramassés le singe paraissait terrorisé par l’homme dont la face était au trois quart mangée par une tignasse exubérante. Je contemplais plusieurs minutes cette scène que je découvrais représentée ici pour la première fois, me demandant où le sculpteur était allé en chercher l’idée. Soudain j’entendis un  bruit de

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pas, sortant d’une chapelle, une femme, déjà âgée, venait vers moi. J’inclinais la tête pour la saluer. Elle s’arrêta à ma hauteur : « Nos sculptures vous plaisent ?» Sa voix, teintée du délicieux accent du Sud-Ouest, avait quelque chose de frais et d’amical. Je répondis qu’en effet l’ensemble était extraordinaire. «Et vous vous demandez ce que ce singe fait ici  ?» J’avouais mon étonnement. «Vous n’êtes pas le seul. C’est un conte qui n’est connu que dans notre région.»

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Cette histoire, je n’eus pas à insister beaucoup pour qu’elle me la raconte. Elle le fit, assise sur un banc, à l’ombre du tilleul planté au milieu du vieux cimetière qui entourait  l’église. La voici, telle à peu près que je l’ai entendue, un après-midi d’été finissant, pendant qu’un vent léger faisait chanter le feuillage de l’arbre et qu’un rosier grenat nous enveloppait de son parfum.

« Au commencement, dit-elle, il y avait seulement la terre et le ciel, le soleil, la lune et les étoiles.. Il y avait aussi des fleurs, des arbres et des herbes, des nuages, des mers, des rivières, des lacs et des torrents. Il y avait la neige et la pluie, l’orage et la tempête et puis il y avait Dieu qui regardait tout ça car c’était lui qui l’avait fait. Et comme il trouvait qu’il manquait à son Oeuvre un peu de mouvement, il décida d’inventer les animaux.

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D’abord il créa les poissons qui nagent dans les eaux et les serpents qui glissent sur la terre et il leur donna des écailles qui brillent comme le soleil et qui font, même au plus sombre des océans, rêver de clartés éternelles. Puis Dieu créa les oiseaux et il leur donna des plumes noires ou mordorées, mates ou éclatantes mais toutes, si on prend la peine de les regarder, aussi belles qu’un reflet du ciel lui-même. Enfin Dieu créa les mamifères. A ceux là il décida de donner les fourrures. Il y eut un beau branle-bas pour savoir à qui irait cette peau mouchetée ou cette somptueuse crinière que, devant Lui, étalaient les archanges.. Ce fut même une telle pagaïe qu’entrant dans une terrible colère Dieu menaça les animaux, ses propres créatures, d’un anéantissement aussi total qu’immédiat s’ils ne cessaient leurs querelles sur le champ. On ne désobéit pas à Dieu, surtout quand il est en colère. Les bêtes se mirent en rang et attendirent leur tour impatiemment, mais dans le plus profond silence.

Dieu, qui regrettait un peu de s’être laissé emporter, voulut se montrer généreux. Il le fut trop. Quand arriva le dernier de la file, un être curieux qui avançait maladroitement en se tenant debout sur ses pattes de derrière il ne restait plus rien, pas la moindre petite touffe de poils. Tout avait été emporté et Dieu se gratta le crâne ce qui était le signe d’une profonde perplexité.

“Enfin (se disait-Il) je ne vais pas laisser toute nue cette créature qui d’ailleurs me ressemble un peu. D’abord ce n’est pas très élégant et puis, sans fourrure, elle pourrait attraper froid et un rhume n’est jamais agréable. Que faire? Que faire?”

Dieu voulait plaisanter. Il n’avait inventé ce problème que pour le résoudre. Aussi après quelques minutes il fit «hum! hum !» ce qui ébranla l’Univers; puis abaissant son regard vers le malheureux qui attendait au pied de son trône, il lui dit:

Toi qui es la dernière des êtres et, il faut bien l’avouer, pas très réussi, il ne sera pas dit que je t’ai laissé sans recours dans ce monde que je viens de créer, tu recevras donc un morceau de la fourrure du premier animal qui se moquera de toi. Je t’accorde également d’avoir, cachée au fond de toi, un peu de cette flamme qui m’environne. Elle te fera plus puissant que tout ce qui marche, trotte, rampe, nage ou vole dans les airs, sur la terre ou au fond des eaux et pas un seul des êtres qui te croisera ne pourra garder les yeux fixés sur les tiens car tu emportes un peu du regard de Dieu. Va maintenant et sois heureux Homme!”

L’homme, car c’était lui (je suis sûre que vous l’aviez deviné depuis longtemps) sortit fièrement de la maison de Dieu. Seul de tous les animaux à qui l’on avait distribué des fourrures, un babouin baguenaudait devant le perron. Il n’eut pas plutôt aperçu l’homme qu’il éclata de rire et se mit à se moquer de lui l’appelant “Gorille anémié! Chimpanzé mal fini!” et autres gracieusetés qu’il serait trop long d’énumérer ici.

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L’homme, se souvenant des paroles de Dieu, cloua le pauvre animal sur place,  d’un regard sans réplique puis il cria à l’aide. Ce fut Mazdraël qui survint, le plus fantaisiste et le plus gai des archanges. L’homme, sur un ton qu’ont perpétué jusqu’à nos jours les adjudants, les pions et les sergents de villes de toutes les nations du monde, l’homme, donc, le somma de tenir la promesse de Dieu et de lui donner le morceau de fourrure auquel il avait droit. Alors Mazdraël sortit de sa poche une paire de ciseaux et, découpant un grand rond de fourrure sur le postérieur du babouin, il en coiffa l’homme en lui recommandant de prendre grand soin de ce divin cadeau.

Depuis ce jour, par la grâce du regard de Dieu qui brûle toujours au fond de ses yeux, l’homme est devenu le maître de la Terre, il ne faudrait pourtant pas qu’il oublie que cette flamme divine brille sous le derrière d’un singe

La vieille femme se tût, je la remerciai et retournai dans l’église. Du haut de son châpiteau Mazdraël me regardait et son sourire n’avait plus rien d’étrange.

Chambolle

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Conte du Chemin de Saint-Jacques (2) (1 ) 


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