Témoignage
Les soubresauts de ma vie
Patricia Turcotte DOSSIERS REFLET DE SOCIETE ET SUICIDE
Au début des années 1980, je menais une vie de rêve. Courtier d’assurance-vie, j’étais mariée et l’heureuse mère d’un magnifique garçon. Nous habitions un splendide condo dans ma ville natale. Ma vie idyllique a toutefois pris une tournure dramatique quand un accident d’automobile m’a laissée avec des douleurs chroniques pour le reste de mes jours.
Les séquelles de mon accident m’ont obligé à déclarer faillite. Je me suis effondrée. Moi, le pilier financier de la famille, je ne savais plus quel sens donner à ma vie. Avec gêne, j’ai dû joindre les rangs des assistés sociaux et des personnes invalides.
Excédée par ce qui m’arrivait, j’ai senti le besoin d’aller à l’hôpital psychiatrique. J’ai mentionné à un médecin mon intention de tuer mon époux et mon garçon. Les personnes que j’affectionne le plus au monde! Ma place se trouvait réellement en milieu psychiatrique.
En sortant de l’hôpital, j’ai quitté le nid familial afin de réapprendre à vivre à mon rythme. Ce fut douloureux de l’annoncer aux miens. Le remords de les laisser me rongeait le coeur. Ils comprenaient l’importance pour moi de quitter le foyer.
Suicide de mon frère
J’ai commencé à penser à mon frère Serge, qui s’est suicidé à l’âge de 22 ans. À cette époque, je n’avais que 15 ans. En rêve, j’ai vu Serge se tenant debout devant son cadavre dans une mare de sang. Il semblait désemparé et isolé. Ce rêve m’a déroutée et incitée à demander de l’aide.
J’ai confié au médecin mes pensées suicidaires. Sur sa recommandation, je me suis rendue à l’hôpital. Peu de temps après ma sortie, je suis allée déjeuner avec mes deux amours. Ces moments chaleureux ont toujours représenté pour moi un grand réconfort et ils me permettent de poursuivre ma thérapie. En nous séparant, j’ai regardé mon garçon. Il m’a dit au revoir, accompagné d’un triste sourire. Le souvenir de Serge a alors émergé avec une force exceptionnelle. Ma fragilité émotive et psychologique ajoutée à une douleur chronique «qui rend fou», m’a poussée à tirer ma révérence.
À mon retour, je me suis préparée pour une très longue nuit. Mon cercueil temporaire fut la baignoire à côté du lavabo où j’avalai de multiples «remèdes» pour en finir avec la souffrance. Le souvenir de ce tragique instant restera toujours dans ma mémoire.
Puis, dans un semi-coma aux soins intensifs, j’ai entrevu ma famille à mon chevet. J’ai entendu à deux reprises une douce et apaisante voix intérieure. Je me suis dit: «Merci mon Dieu, tu me laisses une deuxième chance.»
Ma tentative
Les conséquences de mon geste furent catastrophiques. La situation a de plus évoqué chez mes proches le suicide de Serge. Certains se sont éloignés de moi à tout jamais. Ils m’ont fait leurs adieux dans la chambre d’hôpital. Un de mes frères a attendu quelques années pour me quitter. «Tu n’es qu’une schizophrène! » m’a-t-il crié devant une dizaine de personnes de la famille, qui sont toutes parties avec lui.
Mon ex-conjoint et mon fils sont demeurés mes vrais amis, au-delà de leurs peines. Le père de mon enfant, qui m’avait retrouvée dans la baignoire, ne m’a jamais fait de reproches.
Quelques années plus tard, j’ai eu la possibilité d’établir de nouveaux liens d’amitié avec mon fils. Jamais il ne m’a fait de reproches, même si j’ai pu constater sa peine et sa déception.
Redécouverte
Dès mon réveil du semi-coma, la joie de vivre m’est revenue malgré les épreuves traversées: mes douleurs, la peine causée à mes proches et ma perte d’autonomie.
Ma tentative de suicide a eu un tel impact positif sur ma personne que je pourrais écrire des millions de pages pour raconter mon bonheur de vivre depuis ce jour où la vie m’a donné une seconde chance. À mon avis, il faut demander de l’aide dès que l’on commence à ressentir ce découragement et frapper à toutes les portes, jusqu’à ce que des gens capables d’aider nous répondent.
Reflet de Société, Vol 17, No. 4, Juin/Juillet 2009, p. 17