11h à l’hôtel Mama Shelter, un café dans le ventre et peu d’heures de sommeil, il semble que les conditions soient donc idéales… Dans le fond du restaurant Clark nous attend, je croise les doigts pour que le micro marche, c’est parti !
N’oubliez pas, ici c’est deux itw en une, retrouvez la Face Hyde ici.
Salut Christopher, cela fait à peine un mois qu’ avait lieu la Warp20, que te revoilà déjà de passage par Paris, et très généreusement et tu nous as ramené le soleil Berlinois à ce que je vois…
Ouais, j’emmène toujours la météo avec moi, c’est une habitude. Enfin la Warp20 était un très bon show, je me suis donc dit qu’il fallait que je repasse par ici…
D’ailleurs, j’ai l’impression que ¾ des producteurs de techno / electro s’exilent à Berlin aujourd’hui ?! T’en as pas un peu marre de vivre entouré de DJ ?
Oh que oui ! J’essaye juste de ne pas trop y penser ! Mais tu sais, il y a quand même d’autres trucs bien là-bas. Ce n’est pas cher, les loyer sont attractifs et je voulais surtout quitter l’Angleterre !
Et puis, c’est assez effrayant de voir à quel point les gens ont un énorme penchant pour s’autodétruire avec les drogues et l’alcool à Berlin ! Les week-ends commencent le vendredi soir pour finir les lundi matin et les voir au Berghain après 4 jours de teufs… C’est complètement fou ! Les allemands ont tellement d’énergie que je n’arrive pas à les suivre. Je n’ai jamais était capable de tenir plus d’une nuit !
Ok, je commençais à me demander si ce n’était pas pour le KitKat Klub, d’autant plus que le nom de leur DJ résident est aussi Clark “Kent”, tu le connais peut-être ?
Ouais, Kent c’est un pote ! Je lui prête même des costumes et des accessoires ! Et, bien sûr, le KitKat Klub est la seule raison pour laquelle je suis venu aménager à Berlin ! Quelqu’un m’avait envoyé une photo d’une scène vraiment vraiment dégueue et immédiatement, je me suis dit “C’est la ville pour toi mec !”. J’y ai donc débarqué avec mes deux gros sacs remplis de fouets et d’objets en cuir !
“J’ai commencé la musique à l’intérieur d’un groupe de gratteux, mais au bout de six mois à peine, je me suis mis à trouver ça inutile et rétrograde.”
Parfait ! Maintenant que les gens voient un peu mieux qui tu es, petit retour sur tes origines, pourrais-tu nous décrire ton parcours et ce qui t’a poussé vers la techno ?
Et bien, j’ai commencé la musique à l’intérieur d’un groupe de gratteux, mais au bout de six mois à peine, je me suis mis à trouver ça inutile et rétrograde. J’étais donc le seul parmi tous mes amis à m’intéresser aux boîtes à rythmes. Du coup, lorsque je leur disais que je voulais en acheter une, tout le monde me sautait à la gorge, du style : “Oh non, ce n’est pas de la vrai musique, tu ne peux pas faire ça”. Ce qui, au final, m’a simplement donné envie de m’y mettre davantage !
L’aspect marginal donc ?
Non, juste le fait que tu puisses devenir musicien seulement grâce à ta tête ! Ce que je veux dire par là c’est que tes idées priment sur tes capacités à savoir jouer d’un instrument, et par conséquent, tout le monde peut y arriver ! Qui plus est, dans la musique dite “traditionelle”, tu peux toujours deviner de quelles manières les choses se font, ce qui est différent en techno… Cela rajoute du mystère à ta musique !
Je me souviens lorsque j’allais dans les magasins de disques pour écouter de la techno sans savoir que les sons provenaient d’un sampler, et de toute manière, je ne savais même pas ce qu’était qu’un sampler… J’ai dû tout découvrir par moi-même, ce qui était vraiment excitant !
T’en as donc acheté un, et passé l’ensemble de tes journées enfermé dans une chambre noire?
Ouais, c’est un peu ça, même si je préfère les fenêtres ouvertes !
“Warp n’est pas une grande famille, d’ailleurs la plupart des artistes ne se connaissent pas vraiment, c’est une sorte de mythe colportée par notre auditoire qui ne représente pas l’actuelle réalité des choses.”
Tu as donc environ vingt ans quand tu envoies à Warp la démo qui changera ta vie, ce
qui était d’ailleurs un choix plutôt ambitieux non ? Etais-tu confiant quant au résultat ?
J’avais dix-huit ans quand je l’ai faite et vingt lorsqu’elle est finalement sortie ! Dans un premier temps, Warp a mis un de mes morceaux sur une compilation, et ils ont ensuite sorti Clarence Park tel que je le leur avais envoyé !
J’étais très confiant quant à l’issu, bien que cela puisse paraître un petit peu arrogant, mais je pense que c’est normal à cet âge-là car de toute manière tu n’as pas d’auditoire ! Je me souviens qu’à chaque soirée où j’allais, il fallait absolument que je monopolise le son pour que l’on entende ma musique, ce que je ne fais plus aujourd’hui ! Maintenant, je demande aux gens de ne surtout pas passer mes morceaux quand je sors !
Pour continuer sur Warp, le label donne l’impression d’être une sorte de grande famille, alors premièrement est-ce vrai ? Et deuxièmement, est-ce qu’être membre d’une telle “ famille” n’est pas source de faiblesse par moment (moins de liberté d’actions, attente de l’auditoire, etc…) ?
Warp n’est pas une grande famille, d’ailleurs la plupart des artistes ne se connaissent pas vraiment, c’est une sorte de mythe colportée par notre auditoire qui ne représente pas l’actuelle réalité des choses ! De plus, il suffit de regarder les artistes signés ces dix dernières années pour se rendre compte que le label est en constante mutation, ce que je trouve remarquable !
Cependant la plupart des gens pensent encore que Warp devrait se contenter de produire de la musique électronique, et éviter la présence de groupes sur le label. Je ne peux pas y être indifférent étant donné que ceux qui pensent de la sorte sont aussi ceux qui achètent mes disques… Mais envisager qu’un label doit se contenter de produire un seul genre de musique me paraît tellement conservateur ! Malheureusement, cela semble inévitable avec le public techno…
Par exemple, lorsque Théo Parrish est passé au Berghain en jouant des sons de la Motown, il s’est carrément reçu des bouteilles dessus ! Tout ça car il ne mixait pas de minimale !
(S’en suit une conversation sur le conservatisme musical, et notamment les critiques essuyées par le dernier album de Laurent Garnier…)
A ce propos, comment as-tu vécu le fait d’être constamment comparé à Aphex Twin, ou Squarepusher, depuis tes débuts ?
Tout dépend de la crédibilité que tu accordes aux médias… Et puis les gens ont constamment besoin de repères. Pour ma part, je suis très à l’aise avec moi-même ! Je respecte les artistes auxquels on m’a comparé, mais nous ne sommes pas de la même génération.
De toute manière je pense que pour être attendu, il ne faut pas être sensible, et se laisser aller, et puis cela vient naturellement avec le temps car il te suffit d’assoir ton idéntité.
Pour en revenir au son, tu dois avoir un tas de morceaux reposant dans un coin de disque dur, t’as jamais été tenté de sortir ça sous un autre pseudo, comme certains de tes “collègues” ?
Peut-être un jour… Mais pour l’instant, je suis plus interessé par la production. Je pourrais peut-être faire ça quand je serais en manque d’inspiration et à court de nouveaux morceaux ! Même s’il est vrai que j’ai accepté lorsque Steve Beckett m’a demandé de lui envoyer de vieux trucs, pour les 20 ans de Warp… Même si bon, c’était uniquement pour les royalties ! (rires)
Tu es d’ailleurs en ce moment sous les feux de la rampe avec la sortie de ton cinquième album “Totems flare” prévue pour le 6 juillet, et présenté comme le troisième d’une trilogie après Body Riddle et Turning Dragon. D’où te vient cette idée de trilogie ? Et avais-tu planifié le tout dès le début ?
Non, pas du tout ! Mais lorsque j’ai fini Body Riddle, cela ne faisait aucun doute que certains morceaux que j’avais composé à l’époque faisaient partie d’un ensemble plus complexe. Il fallait donc que je prenne le temps de tout mettre bout à bout pour pouvoir donner une dimension plus profonde à mon travail. C’est pourquoi sur Totem Flare, il y a certains vieux morceaux datant du premier album… J’espère simplement que les gens pourront y retrouver la même énergie !
“Ma musique n’a rien de stérile et encore moins d’urbain !”.
En tout cas, en écoutant Totems Flare, j’ai eu l’impression que c’était une combinaison de tes talents qui, au final, donnait un ensemble hybride. En es-tu totalement satisfait ? Penses-tu en avoir fini avec cette trilogie ?
D’habitude, lorsque je finis un album, je n’arrive pas à l’écouter pendant un long moment, ce qui est complètement différent avec celui-ci. En effet, je ne peux m’empêcher de me le repasser sans cesse en boucle ! Peut-être est-il un peu court, comme l’ensemble de mes albums, mais je pense cependant avoir accompli quelque chose, et dit tout ce que je pouvais dire dessus ! Je suis maintenant disposé à passer à autre chose !
Tu sembles aussi accorder une grande importance à l’artwork de tes albums et vouloir développer une certaine image… On s’est donc penché sur tes pochettes et nous y avons trouvé quelques symboles étranges ! Y a t-il un sens caché derrière tes visuels ?
Hmm, il n’y a pas de véritable signification… Ce sont juste de fortes images qui correspondent à mon travail. Même si je pense qu’effectivement, cela peut paraître légèrement diabolique, avec la fumée, et cet aspect de vieux film d’horreur…
“Je n’ai jamais considéré ma musique comme destinée à un public club.”.
Nous avons remarqué d’autre choses étranges comme par exemple le nombre 11 qui correspond au nombre de morceaux sur chaque album de la trilogie… Là aussi, pure coïncidence ?
Ce n’était pas du tout intentionnel, et pour tout te dire, je ne l’avais même pas remarqué. Mais il est vrai que tu pointes là du doigt mon obsession pour les nombres, obsession qui se ressent d’ailleurs dans la durée de mes morceaux… Par exemple, Totem Flare dure exactement 45 minutes, ce qui te permet de l’enregistrer sur chaque face d’une cassette D90, et donc de l’écouter en boucle simplement en retournant la cassette ! J’étais agacé avec Boddy Riddle car il ne durait que 42 minutes… Un nombre de merde ! 45 c’est mieux, j’aime la symétrie !
Lorsque l’on se penche sur les titres de tes morceaux, on remarque que la plupart d’entre eux se rapportent très souvent aux énergies, aux animaux, à la nature ou encore aux corps… Beaucoup de symboles qui me rappellent la culture indienne. On en est d’ailleurs venu à se demander si tu n’étais pas le Jim Morrison de la musique électronique ?
(rire) Je suis convaincu qu’il y a en effet un aspect sauvage et organique dans mes sons, bien que je ne sois pas obsédé par l’envie de lui donner ce côté-là. Je pense d’ailleurs que pour la plupart des gens je suis une sorte de Shiva, et qu’ils considèrent mes morceaux comme froid, ce qui n’est pas faux en un sens, même si pour moi ce n’est pas ça.. Ma musique n’a rien de stérile et encore moins d’urbain !
Dans ta carrière, tu as aussi eu l’occasion de tourner avec certains pionniers de la techno de Détroit comme Drexciya ou encore Jeff Mills, eux aussi adeptes de ce genre de symboles. Ont-ils eu un impact sur ton travail ? Et de quelle manière ?
C’est possible en effet, j’aime la façon dont ils introduisent leurs propres mondes. Ca n’a rien avoir avec la scène “clubbing”, ce à quoi j’adhère car, comme eux, je n’ai jamais considéré ma musique comme destinée à un public club. J’aime l’écouter dans mon casque, quand je me balade, mais il semblerait que cela marche aussi en club… En tout cas, c’est ce que l’on a dit de Growls Garden, alors que pour moi c’est plus un morceau rock !
© Streetsking.org
Comme ces producteurs-là, tu fais parti d’une génération d’entre deux, quel est donc ton regard sur la scène électronique actuelle ?
J’aime vraiment beaucoup de choses, même si les gars d’Ed Banger devraient utiliser de nouvelles caisses claires ! Bien que je les aime vraiment, cela peut vite devenir fatiguant, et puis il faudrait qu’il y ait un peu plus de musique par moment…
J’ai l’habitude d’aller sur Beatport et à chaque fois que je tombe sur la page de Sebastian, parce que j’aime certains de ses morceaux comme grill par exemple, et bien je me rends compte qu’il n’y a vraiment pas grand-chose à acheter ! Je me demande donc à chaque fois “Mais mec, où est ton boulot ? Où est ton putain de boulot ! Sors des disques, presse des albums ! Arrête de passer tes journées sur ton profil Myspace !”. Je trouve que ces gars ont beaucoup de potentiel, et j’aime d’ailleurs particulièrement plus les productions françaises que le dubstep qui me rend vraiment malade en ce moment !
“Lorsque j’avais neuf ans, j’écoutais en boucle le Can’t truss it de Public Enemy, un album de FOU ! Chuck D est un dieu pour moi !”
Chose étrange car tu as vécu pas mal de temps à Bristol il me semble, que reproches-tu au dubstep ?
Le dubstep c’est bien, mais le seul problème c’est que ça commence à devenir de plus en plus ennuyant ! On en est arrivé à un point où l’on ne distingue même plus la différence entre les artistes ! Bien sûr, il y en a qui sortent du lot comme Rustie, Hudson Mohawke ou encore Zomby qui apportent un vrai souffle de fraîcheur avec leurs sons à grosses influences Hiphop.
Le Hiphop m’a aussi beaucoup inspiré. Je me souviens encore que lorsque j’avais neuf ans, j’écoutais en boucle le Can’t truss it de Public Enemy, un album de FOU ! Et d’ailleurs encore aujourd’hui, lorsqu’il tombe sur ma playlist, je ressens exactement la même chose… Chuck D est un dieu pour moi !
Et peux-tu nous dire quel est la suite… des évènements dans l’actualité de Clark ?
Pleins de choses ! Je souhaite notamment créer un tout nouveau show pour mon live, l’ancien commence vraiment à m’ennuyer, alors si quelqu’un à des idées… je suis preneur !
Interview Hyde ici
Extrait : “J’ai l’impression que les gens se sont laissés piéger dans une sorte de “feedback loop” qui tourne en rond et que nous allons tous retourner à l’âge de pierre”
Clark Myspace
Warp Records
Photos by Streetsking
Jekyll