La grippe aviaire dont on nous rebat les oreilles depuis quelques mois aurait-elle des vertus politiques insoupçonnées ? C’est la question que nous nous posons à la lumière des développements qu’a connus ce phénomène au cours des derniers mois.
Elle a frappé une première fois, au moment même où aurait dû démarrer la campagne des élections européennes. Elles s’annonçaient très difficiles pour le pouvoir et les grandes formations politiques. L’UMP, le parti du président de la République, mais aussi le Parti socialiste, avaient délibérément choisi de faire profil bas et service minimum. La grippe, baptisée porcine dans un premier temps, a surgi alors dans les médias au meilleur moment pour occulter toutes autres informations. Pendant quinze jours on n’a parlé à la télévision, à la radio, dans la presse et sur internet que de cela. Des trente huit morts qu’elle a fait au Mexique et qui en appelaient, entendait-on, des milliers d’autres partout dans le monde… Première conséquence avantageuse : ainsi mobilisé, le gros des électeurs obnubilé par le virus H1N1 en a oublié jusqu’à l’existence de ces élections qui allaient se tenir quelques semaines plus tard.
Cette grippe « porcine » a eu aussi un autre avantage politique, passé presque inaperçu, qu’il n’est pas inutile d’éclairer. Quoi de mieux en effet pour la majorité présidentielle et pour le président lui-même qui sur ce sujet s’y entend à merveille, que d’entretenir l’insécurité comme moyen de peser sur les consciences ? L’insécurité, ce serait, ne cesse t-on de nous répéter, celle des personnes et des biens. Mais – l’opposition ne le souligne jamais assez – l’insécurité, c’est plus largement l’insécurité sociale dans laquelle sont plongées de plus en plus de personnes seules et de familles : chômage, précarité, menaces sur l’emploi, appauvrissement par la perte de pouvoir d’achat. Toutes choses qui concourent à la fragilisation du tissu social, au repli sur soi et à la montée de l’individualisme. Et encore, inquiétudes sur les retraites, sur la protection sociale, donc sur la santé. La santé, nous y voilà. Créer de toutes pièces de l’insécurité en accroissant exagérément l’inquiétude pour notre santé et celle de nos proches, n’est-ce pas un excellent moyen de neutraliser d’éventuelles revendications en les faisant ainsi passer à l’arrière-plan ? C’est si vrai que le président de la République en personne y est allé à nouveau de son couplet sur l’insécurité à quelques jours des élections européennes.
La peur comme conseillère…
Pourtant, Bernard Debré, député et médecin qu’on ne peut soupçonner d’être un gauchiste commence à dire à qui veut l’entendre qu’on en fait un peu trop ces temps derniers à propos de la menace de grippe A.
La crise économique et financière n’est pas terminée, loin s’en faut, et les soi-disant signes annonciateurs d’une reprise ne sont que gesticulations des milieux d’affaires qui veulent se persuader que tout repartira bientôt comme avant. Ne nous leurrons pas. La crise est profonde et désormais installée. Elle appelle des changements radicaux dans notre manière de vivre, de penser, de produire et de consommer. Passées les vacances, la rentrée risque d’être celle de tous les dangers. Toutes les mesures dilatoires imaginables ont été utilisées pour en retarder les effets les plus graves : suppressions des emplois intérimaires, non reconduction des contrats à durée déterminée, chômage partiel, tripatouillages en tous genres des statistiques du chômage, etc. En septembre, la litanie des plans sociaux risque fort de reprendre de plus belle et des centaines de milliers de jeunes diplômés vont arriver sur le marché du travail et trouver porte close. Il n’est pas besoin d’être devin pour prévoir que la situation risque fort de devenir explosive.
Sauf, et là ce serait politiquement inespéré, si la pandémie de grippe A arrivait pour de bon à point nommé, après la rentrée... Imaginons alors un passage au stade 6 de l’échelle des mesures à prendre où toutes réunions et rassemblements publics seraient interdits. La grippe A comme arme anti-émeutes, ne serait-ce pas le rêve pour un ministre de l’Intérieur confronté à un avis de tempête sociale sans précédent et qui n’aurait même pas à envoyer sa police ? J’écoutais mardi matin sur France Inter Roselyne Bachelot, ministre de la Santé. A la question du journaliste : « Qui va coordonner toute l’action qui doit se mettre en place à la rentrée contre la grippe A ? », elle a répondu : « C’est le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux ! ». Vous faut-il davantage de sondages manipulés par l’Élysée pour comprendre ?
Reynald Harlaut