J'ai beaucoup aimé ce post de la girl next door sur Dostoïevski. Elle nous cite ce cher Feodor qui nous disait que les hommes se complaisent dans la souffrance. Pas faux, l'homme aime plaindre, se faire plaindre, être plein... Mais là n'est pas mon propos. Je profite d'une accalmie dans ma vie vibrionnante pour faire me pause Céline (pas Dion), le seul, le vrai, l'inimitable Louis-Ferdinand qui adorait se plaindre (150 pages de plainte avant de vraiment commencer D'un chateau l'autre).
Je vois déjà les bonnes âmes se boucher le nez en criant au collabo, à l'antisémite et tout le reste. Pas besoin de nier, il était tout ça et même pire encore : mysanthrope ultime, pessimiste viscéral, adorateur de l'Apocalypse, pourfendeur du genre humain. Et pourtant, malgré tout, quel génie, quelle musique ! Sa prose sous couvert de retranscription du langage parlé est en réalité le comble de la sophistication et de l'artifice, une dentelle finement ciselée pour faire exploser la phrase et chanter la langue. On est porté par ses paragraphes qui sont autant de colères qui retombent ensuite, peu à peu, avant la prochaine tempête. Que Céline soit fasciné par l'Océan n'est pas étonnant, lui qui faisait aller et venir ses phrases comme le mouvement des vagues.
Céline, pour reprendre ses termes, délire mais ne déconne pas. Il va loin, très loin, il pousse les situations à leur paroxysme mais refuse de verser dans l'invraisemblable. C'est un romancier, un vrai, pas une Christine Angot. Il ne va pas décrire la Vie dans sa banalité, il va donner Vie à la banalité, la transfigurer et reconstruire une réalité plus vraie que nature. Relisez les descriptions de la banlieue dans le Voyage ou celles de l'Allemagne en flammes dans Rigodon.
Alors laissons nous porter là, comme ça, par quelques phrases, juste pour le plaisir :
Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux. On n'y
coupait pas. Tragiques chaque fois comme d'énormes assassinats du
soleil. Une immense chique. Seulement c'était beaucoup d'admiration
pour un seul homme. Le ciel pendant une heure paradait tout giclé d'un
bout à l'autre d'écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu
des arbres et montait du sol en traînées tremblantes jusqu'aux
premières étoiles. Après ça, le gris reprenait tout l'horizon et puis
le rouge encore, mais alors fatigué le rouge et pas pour longtemps. Ça
se terminait ainsi. Toutes les couleurs retombaient en lambeaux,
avachies sur la forêt comme des oripeaux après la centième. Chaque jour
sur les six heures exactement que ça se passait.
Voyage au bout de la nuit