Un matin, - voilà quarante ans - le directeur du Conservatoire de Paris reçut la visite d'un petit garçon d'une dizaine d'années, à l'oeil vif et intelligent.
- Et tu voudrais étudier la musique, mon enfant ?
- Mais oui, monsieur.
- Est-ce un caprice ou une idée bien arrêtée ?
- C'est très décidé, monsieur.
- Sais-tu qu'il faudra beaucoup travailler ?
- Oh ! oui, mais je travaillerai, j'ai du courage.
Il en eut en effet, car l'année suivante il obtint sa première nomination : une troisième médaille de solfège.
Le gamin s'appelait Jules-FrédéricJules-Frédéric Massenet. Il était né le 12 mai 1842 à Montaud, dans le département de la Loire, et il était le dernier de onze enfants. M. Laurent était à cette époque à la tête de la classe de piano, il remarqua le petit Massenet, l'encouragea et fit de lui un si bon élève qu'à dix-sept ans son jeune protégé remportait un troisième accessit. En 1856 il eut un premier accessit, en 1859 il conquit de haute main le premier prix de piano.
Il suivait en même temps les cours d'harmonie de Bazin. Celui-ci fit tout ce qui était possible, par sa manière de le traiter, pour le décourager. Heureusement, Massenet trouva en Reber, un maître plus indulgent et plus éclairé. Il eut un premier accessit d'harmonie en 1860. Reber qui le jugeait suffisamment récompensé de son talent, lui conseilla de passer dans la classe de composition de M. Ambroise Thomas. Le directeur du Conservatoire vit tout de suite qu'il avait affaire à un esprit bien doué et s'appliqua à développer ses qualités exceptionnelles.
Massenet se signala par l'ardeur avec laquelle il se lançait à la composition ; les mélodies, les symphonies, les scènes d'opéra même pleuvaient littéralement de sa plume et ces morceaux, quoique d'un débutant, étaient loin de manquer de valeur. En 1862, l'infatigable piocheur obtint le second prix de fugue au Conservatoire et une mention de l'Institut. L'année suivante fut triomphale : il eut le premier prix de fugue et le premier prix de Rome.
Il partit pour l'Italie comme pensionnaire de l'Académie, et au lieu de rester exclusivement à Rome, où il travailla sans relâche, il visita aussi l'Allemagne et la Hongrie. De retour à Paris vers la fin de 1865, il fit exécuter une composition symphonique Pompée qui frappa vivement les musiciens, et qui révélait des idées personnelles et un sentiment assez nouveau de l'orchestration. Cet accueil favorable le stimula. En 1867, il fit représenter à l'Opéra-Comique la Grand'Tante puis Don César de Bazan. Son premier grand succès fut Marie Magdeleine, drame exécuté à l'Odéon. La musique des Erinnyes, de Leconte de Lisle fit encore plus pour sa réputation. En 1877 il fit applaudir à l'Opéra son Roi de Lahore, et en 1881, à Bruxelles et à Milan, son Hérodiade ; en 1885, à l'Opéra, le Cid, qui est resté au répertoire ; puis, à l'Opéra-Comique, Manon. A trente-quatre ans, M. Massenet était déjà chevalier de la Légion d'honneur, membre de l'Institut et professeur de composition au Conservatoire. Il a cinquante ans aujourd'hui et il est dans toute la vigueur de l'âge. Sa vie est un exemple pour la jeunesse studieuse.
LALYRE - Article écrit en août 1892