Une chronique de Vance
Un dossier initié par Nico
Ah mais c'est extrêmement riche ! C'est presque inépuisable comme thème. Par exemple la manière dont la forêt est dépeinte dans Blanche Neige de Disney, ces arbres menaçants qui terrorisent la jeune fille qui cherche un refuge, ces animaux qui semblent pleurer (alors que c’est la pluie qui coule sur la fenêtre et agit par transparence) et qui semblent constamment en empathie totale avec elle. On retrouve une vision similaire (quoique graphiquement différente) dans la Belle au bois dormant quand Aurore chante dans la forêt et que Philippe l'entend : soudain la princesse est fondue dans un élément naturel dont elle est pourtant le centre d’intérêt, ranimant les anciens pactes et les légendes, la nimbant de l’aura d’une sylphe ou d’une dryade.
Il y aussi Excalibur (remarque que j'évite la Forêt d'émeraude du même réalisateur, mais que je connais mal) : la terre se meurt, l'hiver s'attarde, les paysans crient famine car la Quête s'essouffle et l'espoir s'amenuise. Les cultures trop chiches ne peuvent plus subvenir aux besoins d’une populace désenchantée : le roi, Arthur, incarnation du divin sur terre, dépositaire de la magie ancestrale et garant de la bonne marche de l’ordre des choses, Arthur, donc, est mourant, exsangue. De son souffle, de sa force dépend l’énergie qui nourrira les semences, fleurira les essences et redonnera confiance. Mais il ne le peut plus : il n’en a plus, ni la force, ni la volonté, brisé dans son âme, poignardé par cette liaison entre les deux êtres qu’il aime le plus au monde (de son propre aveu fait à Merlin lorsque, sur les remparts de la cité fortifiée de Camelot, auréolés des derniers feux du soleil couchant, il confiait ses doutes à celui qui l’avait élevé dans le respect des traditions). L’ami du roi, son frère d’armes, aime Guenièvre, la reine – et celle-ci l’aime en retour. Trahison. Forfaiture. De son épée légendaire, Arthur fend la terre et crache son désarroi à la face du Dragon enseveli : les pactes sont désormais rompus. Sans son épée issue de la magie des dieux, le roi n’est plus que l’ombre amère du monarque éclairé : le royaume s’enfonce dans la perdition, les hommes réapprennent à écouter leurs plus vils instincts. La peur remplace la foi, la violence et le déni deviennent les nouvelles valeurs universelles. De la Nature, l’Homme ne peut plus attendre que la colère : les éléments se déchaînent, les plantes se refusent.
L’espoir, pourtant, n’est pas mort. Il demeure dans le souvenir de ceux qui ont contemplé et compris la radieuse beauté de cette harmonie bénie : dans ce mariage entre l’humain et le terrestre, il y a l’union sacrée entre les cultes antiques et la nouvelle religion. La Nature n’est pas le Temple de Satan, comme le répétait le dernier Lars von Trier. Elle est l’autel d’un hymen cosmique. Merlin, druide issu de démon, puisant sa force dans les anneaux du Dragon dont les écailles sont les montagnes, le sait mieux que quiconque : quoiqu’endormi, il n’est pas mort et peut toujours se faire entendre de ceux qui continuent à espérer. Il est dans la brise qui s’enroule autour de ces mégalithes où Arthur recherche l’apaisement de son tourment, dans la rivière qui emporte un Perceval s’accrochant à sa Foi – car, ainsi qu’il le hurle à un Lancelot transmuté par le remords : c’est tout ce qui lui reste. Dans cette énergie qui opère la jonction avec les forces élémentales, Perceval trouve la force de continuer et, au seuil de la mort, parvient à arpenter la voie qui mène au Graal – au Salut mystique qui réveillera Arthur de sa léthargie cathartique. Il lui fallait l’aide d’un homme, sans doute Elu, qui après avoir affronté mille épreuves, aura compris l’essence même du lien unissant la Nature à l’homme, la Terre au Roi.
Alors, les Chevaliers, à nouveau unis, mènent l’ultime assaut, ensemble, contre le fruit d’une erreur et les réminiscences d’une trahison ; sur leur passage, la Nature reverdit, refleurit au rythme de Carmina Burana : les arbres s’inclinent tout en retrouvant leur majesté d’antan, les plantes se parent et s’inclinent en une éclatante haie d’honneur. C'est de l'eau que naquit Excalibur, dont chaque apparition teinte l'écran de reflets verts qu’affectionne Boorman, et c'est dans l'eau claire, profonde d'un lac (ou d'une crique) qu'elle retournera, brandie une dernière fois par la main de la Dame du Lac alors que résonnent les cuivres étincelants de Wagner dans ses Funérailles de Siegfried (un moment inoubliable pour moi, chargé d’une puissance presque magique) tandis qu'Arthur, enfin apaisé, au soir de sa vie trop chargée, gagne sa dernière demeure dans une barque qui le mènera, par delà la mer, sur l'île d'Avalon où il reposera en paix, l’âme guérie. Arthur, roi symbolique, qui a connu la révélation au sein même de la forêt, dans l'antre de Merlin, découvrant la puissance omniprésente du Dragon, symbole des forces telluriques, une forêt tour à tour enveloppante et réconfortante, mais aussi inquiétante et mystérieuse, peuplée d'êtres angoissants, dont la pénombre recèle mille dangers et expériences captivantes alors que les frondaisons étincellent au soleil. Une forêt qui ressemble à celle de Sherwood, à la fois repoussoir (car soi-disant peuplée de monstres et de spectres) et refuge des pauvres gens dans Robin des Bois, prince des voleurs.
-> lire la 1e partie du dossier ici.