A l’époque, déjà lointaine, où j’étais étudiant en arts plastiques, j'avais un prof qui nous répétait comme un leitmotiv : « la jeunesse n’est pas un privilège ! » Il nous a fallu attendre des années avant de vraiment comprendre ce que cette sentence voulait dire. « On vous attend au tournant les mecs ! Et on ne vous fera pas de cadeau, sous prétexte que vous êtes jeunes ! Votre jeunesse n’excuse pas les faiblesses de vos projets ! Regardez Picasso, à 25 ans, il révolutionnait son art en peignant les demoiselles d’Avignon ! S’il pouvait le faire c’est parce que, depuis l’âge de 8 ans, il avait refait toute l’histoire de la peinture. Le génie ? Ouais tu parles ! Surtout le boulot ! ». Les réalités de la vie professionnelle nous ont vite fait comprendre le bien-fondé de ces propos… Surtout de comprendre qu’en plus d’un abattage extraordinaire, Picasso avait aussi du génie ! C’est trop injuste !
La roue tourne. A mon tour, il m’arrive souvent d’être confronté à des
étudiants, dans le domaine qui est désormais le mien. Ainsi, en marge
du Festival de Montreuil, avait lieu un concours réservé aux étudiants
en game design. Le jury, dont je faisais partie, était composé de
professionnels divers (créateurs, éditeurs, journalistes). Nous avons
eu la lourde responsabilité de tester pendant une demi-journée 6
projets sélectionnés par différentes écoles. Le projet que nous avons
primé a été réalisé à l’Enjmin. Il s’agit de Cloudscape. Ce jeu reprend
deux gameplays classiques (un tetris et un plateformer) pour en créer
en troisième (un jeu collaboratif dans lequel l’un des joueurs
construit des ponts pour permettre à l’autre joueur d’avancer et
d’éviter les obstacles qui se présentent sur son passage).
Bon ok rien de vraiment révolutionnaire mais on
s’est vraiment amusé à y jouer. Ce projet ne dénoterait pas à côté
d’autres jeux proposés en téléchargement sur le Live Arcade. Ce
qu’on attend d’un projet d’étudiants c’est d’abord de faire preuve de
cohérence et de prouver une maîtrise dans la réalisation et le réglage
du gameplay. Cohérence et maîtrise : quand on fait travailler, ne serait-ce que 4 à 6
personnes ensemble, ces deux qualités ne sont pas si évidentes à mettre
en œuvre.
Les formations de game designer sont récentes. Avant qu’elles
apparaissent, les créateurs étaient issus de l’informatique ou du
graphisme. Le game design, ils l’inventaient tous les jours sur le tas,
sans s’en rendre vraiment compte ! On le sait, il n’y a pas de
meilleure école. Et pourtant, certains créateurs de ma génération
regrettent un peu de ne pas avoir pu bénéficier d’une formation
spécifique. Quelle chance de pouvoir suivre pendant deux années des
cours d’ergonomie, de gamedesign, de level design, d’histoire du jeu
vidéo !
Et oui les jeunes, vous avez la chance de faire partie de cette
première génération de gamedesigners formée à l’école. Celle à qui l’on
pardonne encore les imperfections d’une formation inévitablement
balbutiante. Nous l’avons d’ailleurs constaté lors de cette session ;
les projets présentés étaient de qualité très inégale. Dans quelques
années le niveau d’exigence aura augmenté. Les formations se seront
perfectionnées. Et ces jeunes, devenus avec la force de l’expérience
d’excellents professionnels, toiseront la troisième génération de game
designers en leur lançant : « La jeunesse n’est pas un privilège ! ».
Illustrations : screenshots et artworks du jeu Cloudscape réalisé par Nicolas
Georget (concept, graphismes et game design), Philippe Chambon
(ergonomie et game design), Ludovic Mainguy (programmation) et Romain
Meilhon (soud design et musiques). Bravo à tous les quatre !
A noter : les graphismes sont
entièrement réalisés avec des matières diverses : pâte, mousse à raser (pour
les nuages), tissu (pour les fonds), papiers découpés, etc....