Je suis récemment tombé sur un article de Monsieur Bilger qui exprimait de la compassion pour l’un de ses collègues magistrat, qui apparemment, à la suite de différents ennuis personnels, aurait progressivement sombré, y compris dans la délinquance, ce dont on le sait il reste présumé innocent.
J’ignorais tout de cette histoire, triste, mais il se trouve que j’ai très bien connu l’impétrant, pour l’avoir moult fois "pratiqué" à Lille, où il était, dans une apparemment autre vie, juge d’instruction, et ce pas seulement dans l’affaire Festina(1) mais bien avant, et dans tout un tas de dossiers "standards" -c’était il y a longtemps, il y avait beaucoup de dossiers à l’instruction…
Qu’on ne se méprenne pas, hors de question pour moi de me réjouir de la détresse d’un homme, quelles que soient ses fautes, supposées, actuelles ou passées…
Simplement, c’était à l’époque quelqu’un de très dur au plan de la détention provisoire(2) , et son taux d’incarcérations devait être l’un des plus hauts du Palais…
Je me souviens, notamment, de samedis entiers de permanence, où l’on pouvait assister successivement huit personnes dans cinq ou six affaires distinctes dans son bureau, plaider à chaque fois, ça se faisait là à l’époque et dans la foulée de l’interrogatoire de première comparution, que le placement en détention provisoire ne s’imposait pas… Et, huit fois de suite, ne pas même avoir le temps d’entendre son propre dernier mot retomber, qu’il prononçait sa phrase rituelle, sans même un soupir(3) : "Monsieur, par décision de ce jour, je vous place en détention…"…
Quelle que soit la sympathie qu’il pouvait inspirer par ailleurs (son bureau était un hallucinant foutoir de livres et dossiers et feuilles empilées de façon ahurissante, et le sourire vous en venait parfois d’autant plus qu’il est de très petite taille, et disparaissait souvent à la fois derrières ces piles, et dans une veste de costume trop grande, laissant à peine paraître ses mains… Quelques uns d’entre nous ont pas mal ri, de ce fait, en le voyant au hasard des permanences hériter de l’affaire Festina, et donc se trouver en charge de mettre tous ces types athlétiques en examen…) , comme son épouse d’ailleurs, qui avait d’abord été sa greffière, on peut dire que certaines haines avocatesques du juge d’instruction ont été générées par ce genre d’attitude face à la détention provisoire -et aux demandes d’actes, aussi, qui étaient énormément refusées… Tout ceci vous rappelant sans doute un juge célèbre, tristement lui aussi, d’une affaire célèbre…
Et donc, ce que m’inspirait cette information, et celle du fait notamment que cet homme ait été apparemment placé quelques mois en détention provisoire, c’est, en substance, que décidément, la roue tourne(4) , et que l’on n’a pas forcément tort de penser qu’une justice immanente, souvent, fait sa part de travail…
Outre, encore une fois, tout ce qu’il doit nécessairement y avoir de terrible à se trouver soi-même incarcéré après avoir, si longtemps, représenté l’ordre, et avoir soi-même décidé de centaines d’incarcérations, cette difficile histoire me conforte dans l’idée qu’à maltraiter l’humain, fût-ce légalement, on prend le risque, "quelque part", comme disent les crétins, face à une espèce de retour de bâton immanent(5) que j’ai souvent constaté, de se retrouver soi même en butte à ce qu’on a pu précédemment aider à générer…
Ça n’est certes pas une raison pour laisser les méchants s’en tirer; mais je pense qu’à s’inscrire dans la méchanceté, d’une façon ou d’une autre, et cette façon de très peu réfléchir à l’incarcération et de l’ordonner vraiment très souvent en était une forme, on s’expose à y vivre, avec le risque que ça comporte…
Et au-delà, car ceci n’est qu’une réflexion archi-modeste du matin, ces appréciations n’engageant que moi évidemment, l’évocation de ce retournement de situation me faisait penser à d’autres scènes de vie, plus générales, et que vous connaissez sans nul doute, tout en les gérant chacun à votre façon : se trouver en présence, pardon mais il n’y a pas d’autre terme, en présence d’un con(6) .
Pas d’un argument stupide, pas d’une discussion enflammée, même pas d’un juge sévère et incapable d’écoute, non : LE con, le type avec lequel en une seconde vous savez que vous n’aurez jamais rien à voir, et qui à cet instant précis vous marche sur les pieds en croyant que c’est normal, voire que c’est bien fait pour vous : un voisin que vous détestez et qui s’incruste chez vous tous les soirs ou au moindre prétexte, ou tente, à tout le moins, de le faire, sans se soucier un instant de savoir si ça vous plaît ou pas, un client qui vous a saoulé pendant deux ans, pour lequel vous avez travaillé comme un chien, en général en obtenant un résultat inespéré, et qui refuse soudain de vous payer, son affaire finie, qu’il ne pouvait évidemment que gagner; un confrère que vous trouvez totalement idiot, et qui, à chaque fois qu’il vous voit au Palais, vient vous taper dans le dos quels que soient les personnes avec qui vous discutez, et fait comme si vous étiez son intime(7) …
Un exemple précis, nous en avons chacun cent : j’étais à la maternité, Mômette venait de naître, c’était ma première sortie de la chambre, j’étais heureux, voire béat; après la clope de rigueur et les appels téléphoniques rieurs à la famille, de rigueur également, je passe au distributeur de boissons et de gâteaux pour mon Adorée Affamée, et je tombe là sur un père que la fille de quatre ans tanne pour avoir des M&M’s… Je souris derrière lui, je me dis, moi qui suis papa d’une petite fille depuis quelques minutes, un truc amusé du genre "eh ben ça va être gai", et là cet homme hurle "pouffiasse" et met à la volée à sa gamine une baffe monumentale qui arrache à moitié la tête de la petite, qui tombe en hurlant. Je n’ai pas réfléchis, je dis "Hé oh ça va pas ou quoi ?"(8) , stupéfait à vrai dire bien plus qu’en colère, par la force du coup; et là le type me plaque immédiatement au distributeur en me traitant, en hurlant, de pd : "Qu’est-ce qu’y a pd, ça va pas pd, c’est ma fille pd, tu te mêles de quoi pd ?"…
Bref, je vous passe les détails de la réjouissante conversation qui s’ensuit, pendant que des membres du personnel de la clinique accourent pour nous séparer, en vous indiquant seulement que j’essaye de le raisonner(9) et que lui m’a crocheté les épaules de t-shirt et m’insulte tant qu’il peut pour toute réponse, ainsi au passage que ma mère, ma femme, ma descendance et l’ensemble de mes proches, sur plusieurs générations, l’homme a du souffle…
Tout ça pour vous dire que voilà, j’étais en présence de mon con à moi tout seul du jour, et que, blague dans le coin, ça me désarçonne en général totalement : je ne comprends pas, et je ne sais plus quoi dire ou faire, je suis juste heurté par la méchanceté pure que ça représente, et elle interdit que mon comportement soit adapté(10) .
On nous a séparé, je suis retourné, même pas abimé, à mon bonheur, et lui doit encore raconter au coin du feu barbecue à ses potes comment il s’est fait un pd à la maternité, histoire de fêter sans doute l’arrivée du petit frère de sa pouffiasse de fille…
Quoi que…
Quoi qu’il raconte peut-être aussi, s’il a un fond honnête, comment il a eu besoin quelques semaines plus tard d’un avocat pour un autre de ses fils, lequel, sans doute élevé sur les mêmes bases saines et constructives que sa sœur la pouffiasse de quatre ans, possédait déjà à seize ans un casier de caïd marseillais, comment il a donc, sur les recommandations d’un ami, pris rendez-vous chez un très bon avocat de Lille(11) , et comment il a été reçu par ledit avocat en compagnie de son Al Caponne de mouflet, en ayant la surprise de se retrouver face au pd de la clinique…
Qui lui a refusé ses services, poliment mais très fermement, après que cet homme se soit pourtant répandu, le terme est faible, en excuses en tous genres, pour essayer de se faire pardonner, sous les yeux ébahis de son aîné qui n’avait pas dû en entendre souvent, des excuses de son papounet adoré…
Voilà, la roue tourne, la méchanceté vous revient en pleine gueule la plupart du temps, car le monde est petit, et parce que que je crois vraiment qu’elle appelle la méchanceté, comme la sottise la sottise.
Je pense même, insondable naïveté et enfoncement de porte ouverte, je le sais bien, mais comment faire du pénal autrement, je pense même très sincèrement qu’il n’y a pas de méchants heureux, voire, ce n’est plus de la naïveté mais de l’infantilisme, mais tant pis, puisque c’est je crois le corollaire d’une forme de foi en l’Homme, je pense qu’il n’y a pas de méchants impunis.
C’est pour cette raison aussi, toutes proportions évidemment gardées, et parce que quelles qu’aient été ses duretés professionnelles, je l’aimais bien, que je souhaite bonne chance à mon ancien juge d’instruction, sincèrement.
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- C’était décidément une autre époque, le juge d’instruction décidait lui même d’emprisonner ou pas.
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- et je ne parle évidemment pas de religion ici
- Il n’y a tellement pas d’autres termes qu’on est toujours soi-même, à un moment ou un autre, le "con" de quelqu’un, et qu’on l’est réellement; quand on admet ça une fois pour toute, on a définitivement l’orgueil mieux placé selon moi !
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- Je lui aurais bien cassé la tête à ce gros con, mais, tout à ma joie du jour, j’avais réagi spontanément, sans trop le regarder, et il était grand et surtout très gros, mais gros genre costaud, genre une fois la spontanéité passée, on essaye de raisonner…
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