Paul Krugman découvre qu’une grande partie des Américains croit que le marché peut résoudre les problèmes d’assurance santé du pays, et que la théorie économique est d’accord là-dessus. Or, la théorie économique dit le contraire, depuis longtemps. Il pensait ce résultat connu de tous.
Il a écrit un billet sur le sujet, qui a déclenché une avalanche de commentaires sans précédent. Signe qu’il avait mis le doigt sur une question importante. B.Obama a mis la charrue avant les bœufs. Il a oublié la petite explication qui, une fois comprise, aurait fait que la nation se serait emparée de ses idées. Et il l’a oubliée, parce qu’elle semble évidente au grand intellectuel qu’il est, et que celui qui est réformé ne l’est pas.
Voilà quelque chose de surprenant et de général. D’un côté il est incompréhensible pour l’élite que le peuple ne saisisse pas des choses qui vont de soi. De l’autre, une fois que le peuple a compris, ce qui semblait extrêmement complexe à l'élite, la mise en œuvre de la réforme, devient un non événement. Cela s’explique par la division des tâches dans la société : il y en a qui savent penser et d’autres faire. Voilà aussi la source d’une méprise bien connue : le grand patron pense que ses collaborateurs refusent de mettre en œuvre ses idées, alors qu’ils ne les ont pas comprises, faute d’une explication qui est évidente pour lui. Il en vient à croire que le peuple n'obéit qu'au bâton ou à la carotte.
Mais ce n’est pas tout. Ce qui fonde notre comportement n’est pas du ressort du raisonnement mais de la croyance inconsciente. Par exemple, pour l’Américain le marché est la solution la plus efficace à tous les problèmes humains. Et ça va tellement de soi qu’il ne peut pas concevoir que la science ne l’approuve pas. Le simple fait de laisser entendre que le marché n’est pas une panacée est un véritable tremblement de terre. Mais il faut cette catastrophe pour que la réforme démarre.
Attention. Nouveau paradoxe frustrant. Le tremblement de terre ne donne pas tout de suite un résultat. Car c’est un drame de même nature que celui que subissent les parents des victimes d’un crash aéronautique. On n’est pas dans le domaine de la raison, de la démonstration, mais dans celui du deuil. Ça ne se guérit pas par des mots, mais avec l’équivalent d’une cellule psychologique. Ce n’est qu’une fois que les émotions ont été soignées que la raison prend le relais. Il faut attendre longtemps mais quand elle s’est libérée de l’émotion, le problème est réglé en deux mouvements. Mais ça, c’est incompréhensible pour les intellectuels qui nous gouvernent.
Complément :
- Le billet de P.Krugman donne un lien vers l’étude originale de K.Arrow.