Le sommeil du dragon, Tome 2
Edouard Brasey,
Belfond, 20 €, mai 2009, 348 pages
Après Les Chants de la Walkyrie, voici la deuxième partie de « La Malédiction de l’anneau » (1) intitulée Le sommeil du dragon qui devrait à nouveau satisfaire tous les amateurs et curieux attirés par les légendes celtiques et nordiques. Edouard Brasey a déjà publié une trentaine d’ouvrages dont La Petite Encyclopédie du merveilleux (Le Pré aux Clercs) qui a reçu en 2006 le prix spécial du jury du festival Imaginales d'Épinal et le prix Claude-Seignolle de l'imagerie.
L’implacable malédiction de l’anneau
Le deuxième tome relate les aventures de l’impétueux Siegfried, fils des jumeaux Siegmund et Sieglinde et descendant du dieu Odin. Après la mort de ses parents qui auraient dû régner sur les tribus germaniques du Rhin sans les agissements du cruel chef Hunding, mi-être humain, mi bête sauvage, le jeune héros est élevé, dans une forêt à l’écart des hommes, par le géant Regin, rustre et peureux. Entre les deux personnages, une tension grandissante s’installe parce que Siegfried, enfant surdoué, déteste la lâcheté et éprouve peu de compassion pour le géant difforme et solitaire qui l’initie pourtant au langage des animaux et à la magie des métamorphoses. Son initiation terminée, Siegfried, chevalier sans peur, qui ne connaît ni le bien, ni le mal, va alors quitter Regin et découvrir ses semblables, rencontrer pour son plus grand bonheur le goût des armes et de la vengeance. Son destin est de croiser à son tour la malédiction de l’anneau après avoir terrassé le dragon Fafnir, gardien du trésor des Nibelungen.
Le premier chapitre du roman, celui de « l’exil des géants », attire davantage l’attention que les suivants consacrés au héros à l’humeur insupportable et impatiente. En effet, grâce au talent de conteur d’Edouard Brasey, on suit avec une certaine tendresse puis gravité les péripéties dramatiques de la famille du géant Hreidmar (un magicien puissant accompagné de ses enfants, Fafnir, Regin et Otr qui découvrent à ses côtés les étonnants pouvoirs du langage obscur et des métamorphoses). Elle tente de fuir les dangers de leur monde, Jötunheim mais aussi ceux de l’océan où veille le monstrueux serpent Jörmungand pour atteindre la terre des hommes, le fameux Midgard (« Terres du Milieu »). Après un long périple, ils abordent enfin les rivages tant attendus puis les géants décident de s’installer, au-delà du royaume du Hunaland, dans la Forêt de Fer. Cependant, la retraite heureuse est de courte durée. Obéissant aux lois de l’hospitalité, les géants accueillirent deux visiteurs qui n’étaient autres que le dieu Odin, ennemi héréditaire de leur race et Loki, le génie du Feu et de la Ruse, l’éternel brandon de discorde. Ces derniers amenèrent avec eux le corps sans vie du jeune Otr. Pour rembourser la dette de sang et libérer le maître d’Asgard, Loki apporta avec lui un trésor immense, arraché des eaux du fleuve et de son propriétaire, Andvari, le roi des Nibelungen qui maudit, en le lui cédant, l’anneau de pouvoir. Pour posséder ce dernier, Fafnir, aveuglé par l’éclat maléfique du métal, tua son propre père qui avait lui-même perdu la raison.
Folie, meurtres et destructions accompagnent dès lors le possesseur du bijou maudit :
« Par la plus noire des magies issues des profondeurs de Niflheim et de Svartalaheim, je jure que désormais cet anneau n’apportera que ruine, mort et désolation à qui le glissera à son doigt ! Que soit maudit à jamais l’anneau du Nibelung, comme seront maudits les porteurs de l’anneau ! ».
« Je suis Fafnir le dragon, mais avant cela j’ai été Fafnir le géant »
Après le parricide et ensorcelé par le bijou, le géant Fafnir se métamorphosa en un dragon redoutable et se trouva dans l’incapacité de retrouver sa forme originelle de géant, irrémédiablement perdue. C’est lui, emploi littéraire peu banal, qui est le narrateur dans ce deuxième volet, remplaçant à cette fonction la scalde (2) du premier opus, la fière Brunehilde qui dort d’un sommeil sans fin et qui attend un homme sans peur la délivrer de sa prison de feu.
Fafnir rêve les Neuf Mondes et connaît l’identité de son mortel assaillant, Siegfried, « la Paix victorieuse ». Il attend patiemment son destin se réaliser sur les hauteurs de Gnitaheid.
« Je sais d’où vient le monde, et comment il finira, comme je connais ma mort et celui qui me la donnera. Immobile et solitaire dans ma grotte perchée au sommet d’un pic montagneux, il me suffit de fermer les yeux pour savoir les secrets les mieux gardés, et voir se dérouler les actions passées ou futures comme si j’en étais le témoin direct. Et même si Celui-qui-vient n’est pas encore né, je peux prévoir les moindres circonstances de sa venue au monde. Il me suffit pour cela de m’endormir, et de rêver. »
Le livre est plus simplement écrit, le style encore plus agréable car moins fourni en explications pour donner au lecteur les clefs de compréhension d’une mythologie germanique peu connue. Dans ce nouvel opus, les passages sur les complots des Nibelungen et de Loki qui annoncent la fin des dieux Ases, le récit des tourments d’Odin qui essaye en vain de changer le destin sont vraiment remarquables d’intensité dramatique.
Dans la cour des contes et légendes, familier des Ases, des Elfes et des Géants, Edouard Brasey est l’un des maîtres enchanteurs les plus captivants et les plus doués de sa génération.
(1) Saga initialement prévue en quatre volumes, l’auteur a finalement décidé de la réduire à une trilogie. Ce changement étonnant s’expliquerait, selon l’écrivain, par le souci de ne pas perdre les lecteurs dans des récits où les personnages des trois premiers tomes seraient morts depuis longtemps au moment où se déroulerait l’histoire de la fin des dieux (Ragnarök). Sur son blog, Edouard Brasey confie que la disparition du quatrième volume obéirait aussi à des impératifs éditoriaux : « J’ai préféré regrouper et resserrer mon texte, d’autant plus que les trilogies sont plus faciles à se prêter à des éditions dérivées (poches, clubs, compilations) que des séries longues ».
(2) Un « scalde » est un poète scandinave du Moyen Âge. Le plus connu d’entre eux est l’Islandais Snorri Sturluson (1179-1241) auteur de l’Edda (connue encore sous les noms d’Edda en prose ou de Jeune Edda), œuvre majeure pour la connaissance de la mythologie nordique (une traduction en a été faite par François-Xavier Dillman chez Gallimard dans la collection « L’Aube des peuples », en 1991).