Les "rondes citoyennes" organisées avec l'accord du gouvernement dans les quartiers à forte délinquance des villes du Nord de l'Italie provoquent la polémique.
Le mur de Padoue érigé il y a deux ans est toujours là, mais clandestins et trafiquants de drogue n'occupent plus la demi-douzaine d'immeubles vert sale qu'il isole du reste du quartier. Les HLM ont été évacuées par la force publique et de solides chaînes en barrent l'accès.
Giovanni Battisti Baldan est un familier de Via Anelli, où se dresse le mur, et du Portello, l'ancien quartier chaud de Padoue, en bordure du fleuve Brenta. Il en connaît tous les recoins et en mesure d'un coup d'œil tous les changements. "Ici, la pharmacienne vient de fermer son officine. Elle n'en pouvait plus d'avoir des drogués sur le pas de sa porte. Et là, vous voyez, cette grille à moitié ouverte derrière le mur, c'est l'entrée de la mosquée. Ils reviennent en douce, malgré l'interdiction".
Président du comité Padoue sûre et membre actif de la Ligue du Nord, il anime l'une des rondes citoyennes qui patrouillent dans les quartiers à taux élevé de délinquance. Un téléphone portable en main, l'œil aux aguets, le petit groupe parcourt lentement le dédale de ruelles autour de la gare. Un groupe de Maghrébins les dévisagent avec inimitié.
Les consignes, contenues dans un tract remis à chaque membre, sont strictes : interdiction de porter sur soi armes ou objets contondants. Être à tout moment parfaitement identifiable. Éviter toute attitude agressive, "surtout face à des provocations". En cas d'agression, se retirer immédiatement en appelant les forces de l'ordre.
Sur leur passage, les patrouilleurs placardent de petits macarons : "Association Vénétie sûre. Le groupe de surveillance territoriale est passé cette nuit à... pour un service de repérage et de prévention." Suit un nom et un numéro de téléphone pour tout contact éventuel.
Cette fois, la ronde, de courte durée, se déroulera sans incident. En février, ses membres, au nombre d'une dizaine, se sont heurtés à autant de contestataires d'extrême gauche, les No Global. Insultes, bousculades, coups de poing : la police a dû s'interposer. Le maire de gauche, Flavio Zanonato, a ironisé sur le fait qu'il ait fallu faire appel aux forces de sécurité pour protéger une patrouille qui voulait instaurer davantage de sécurité dans les rues.
Avec 60.000 étudiants pour 220.000 habitants, Padoue est un vivier de la contestation. Le laxisme de la mairie a permis aux trafiquants et aux clandestins d'essaimer un peu dans tous les quartiers. "Pour vivre bien, Padoue devrait revenir vingt ans en arrière", dit avec nostalgie Mauro Nosiglia, un promoteur financier de 47 ans qui a participé à trois rondes.
"Nous continuerons jusqu'à ce que nos rues soient sûres", proclame Baldan, certain du soutien de la population.
Padoue n'a pas l'apanage des rondes, même si elles y ont démarré plus tôt qu'ailleurs. Un peu partout en Italie, surtout dans le nord et le centre, on assiste à une éclosion de comités pour la sécurité. À Jesole, près de Florence, elles ont pris pour prétexte la lutte contre la prostitution de rue. Modène, Gênes, Vérone, qui est une plaque tournante de la drogue, Trévise, la ville sainte d'Assise, Lodi et Bergame, Bolzano : on ne compte plus les villes où elles ont essaimé. Souvent à l'initiative de partis politiques, la Ligue et l'extrême-droite surtout, ou encore de mouvements «civiques». Elles prennent les noms les plus bizarres : Blue Berets et City Angels à Milan, Sentinelles de la beauté, à Florence, plus classiquement Volontaires pour la sécurité publique.
Les rondes se déroulent généralement sans incidents. Mais samedi dernier à Massa Carrara, une patrouille des "SSS" (Secours social et de sécurité) a été prise à partie par des jeunes des "rondes prolétariennes" déterminés à les refouler. Faute d'y parvenir, ces derniers ont bloqué le grand axe ferroviaire nord-sud pendant deux heures.
Plutôt que l'interdire, le gouvernement a voulu discipliner ce mouvement. Le président de la République a demandé des garanties. Aussi le ministre de l'Intérieur, Roberto Maroni, qui fait partie de la Ligue, a-t-il dû modifier le code déjà adopté par le Parlement : pas plus de cinq membres par ronde, avoir au moins 25 ans, une bonne santé physique et mentale, un casier judiciaire vierge. Interdiction d'appartenir à un parti politique, de porter uniformes, armes ou sprays urticants ou de patrouiller avec des chiens. Obligation d'endosser un gilet jaune fluo facilement reconnaissable et de s'inscrire au préalable auprès des forces de l'ordre.
Ces comités sont laissés à l'initiative de chaque maire. Giovanni Baldan espère que ces derniers n'en profiteront pas pour limiter ce qu'il appelle "le droit légitime de chaque citoyen à faire des contrôles"
Source du texte : FIGARO.FR