Nouvelle : Seul Aaron le sait

Par Corwin @LR_Corwin

« Surhumain« , c’est le thème qui était imposé pour l’un des derniers appels à textes du très beau Webzine « Mots et légendes« . Un autre était annoncé dans les mêmes temps avec pour sujet imposé « La quête ». Moins inspiré par celui-là, et ne pouvant courir deux lièvres à la fois, j’ai décidé de m’essayer sur « Surhumain ». C’est en réalité la toute première fois que je finis un texte dans les temps et que j’ose le soumettre au comité de lectures d’un « zine ». Dans la suite, les premiers paragraphes….

Si vous passez par le site de « mots et légendes », vous pourrez télécharger les précédents numéros. Vous vous rendrez compte de la qualité des textes ainsi, et c’est presque surprenant, que du superbe travail des illustrateurs. La concurrence s’annonce de haut-vol ! Si mon texte est retenu, il vous faudra attendre la parution dun numéro qui sera consacré à « Surhumain ». S’il ne l’était pas, je le posterai chez ILV, comme d’hab’ quoi !

N’hésitez pas à laisser vos commentaires : j’adorerai savoir si ce début retient votre attention ou pas.

Bonne lecture…

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Seul Aaron le sait

1. Moi seul.

Le vent a repoussé l’orage au loin, en direction du Canada, quelque part au-dessus du lac Huron, mais l’averse joue les prolongations.
Plic-plic… plac…
Des gouttes d’eau s’infiltrent par le toit délabré de l’ancienne usine et forment de larges flaques sur le sol de béton nu.
Je frissonne : je suis trempé jusqu’aux os et crevé comme jamais. Mon jean, comme mon sweat, me colle à la peau. C’est franchement désagréable et ça va être une galère sans nom de les sécher. Pour autant, je ne dois pas me précipiter. Encore une petite minute, là, tapi dans l’ombre, à guetter un signe de vie. Qui trouverait refuge ici de toute façon ? Des SDF ? Il fait froid, c’est désert, sombre et déprimant : un vrai coupe-gorge. Parfait en quelque sorte. On ne viendra pas m’y chercher. Du moins, pas tout de suite. Je suis seul ici.

Du regard, je balaie une dernière fois les anciennes chaînes de montage automobile. De l’autre côté, au fond, je devine l’accès aux vestiaires. Si j’ai de la chance, il y aura une vieille banquette pour m’y vautrer.

Je ferme les yeux et concentre ce qu’il me reste d’énergie. Je me redresse et je décolle du sol.

Les pointes des pieds à quinze centimètres du béton, je file aussi vite que la prudence le permet. D’un trait de volonté, les doubles-portes s’entrouvrent juste assez pour me laisser passer.
Poussière, déchets, cartons et chiffons. Tags sur les murs. Une bonne partie des casiers jetés au sol et toutes les portes fracturées. Dommage : d’autres avant moi se seront déjà servis. Au fond du vestiaire, par-delà des baies vitrées fracassées, je repère des tables et des tabourets. Excellent ! Je lévite de nouveau et pénètre dans une petite cafétéria. Par terre traînent un vieux matelas, des cartons, des canettes de bière et des journaux. Le matelas est une bénédiction, tout miteux qu’il est, mais la présence des journaux me fout un coup. Surtout l’un d’eux : il remonte à quatre jours à peine. Pas besoin de me pencher pour vérifier la date : la photo de la « une » évoque l’un de mes derniers exploits. Leur foutue plateforme en mer du Nord va mettre quelque temps à s’en remettre.

La fatigue s’abat soudain, aussi violemment que le couperet d’une guillotine. Cette fois, je suis rincé. Mais vraiment. Il va falloir que je me fasse une raison : cette usine désaffectée sera ma cachette pendant au moins deux jours. Il faudra bien ça pour me retaper. Courir, fuir, éviter : la suite du programme s’annonce aussi passionnante que ce qui a précédé mon arrivée sur le sol américain.

Le dos appuyé contre un mur, dans l’angle d’où je peux surveiller toutes les entrées, je me laisse glisser jusqu’au sol. Mon sac à dos bascule près de moi et libère son maigre contenu. Les barres chocolatées et la bouteille d’eau constitueront mon repas de ce soir, ce sera bien assez. Plus que de manger, j’ai besoin de dormir. En attrapant un sweat sec, volé dans un surfshop, « fear none, respect al » imprimé sur la poitrine, j’éparpille les derniers fragments de mon passé. Comme cette foutue photo que j’ai piquée sur le frigo en partant : qu’est-ce qui a bien pu me prendre ? Mon père, ce roc, cheveux clairs coupés courts, venait de rentrer du boulot. Il arbore avec classe son uniforme des pompiers. Son casque est sur ma tête et moi, je suis juché sur ses larges épaules. Il enlace ma mère, radieuse. Son visage juvénile constellé de tâche de rousseur irradie de bonheur. Son ventre rond annonce l’arrivée de ma soeur. Leurs regards bleus me transpercent par-delà tout ce qui nous sépare désormais. J’avais cinq ans, j’en ai dix-sept aujourd’hui. Ce jour-là, j’étais fier comme je ne l’ai jamais été depuis.

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A SUIVRE ……
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