La nuit s'achève et le ciel se teinte graduellement de mauve. Pourtant, je broie du noir. Je n'ai eu qu'une course dans la dernière heure et les potentiels clients qui écument les trottoirs se font de plus en plus rares. Je tente de rester philosophe, mais ça ne mets pas de beurre sur les toasts, mettons.
Sans trop d'attente, je fais un dernier tour de ville avant de retourner le taxi au garage. Stoppé au feu au coin de Saint-Denis et Rachel, un jeune homme traverse de l'autre côté en me hélant. Je lui fais un appel de phare pour lui signaler que je l'ai bien vu, mais rien ne l'empêche de monter dans le taxi qui est arrivé entre-temps et qui attend dans la voie de droite. Je ne prends pas de chance (quoique...) et traverse avant que le feu tourne au vert pour aller chercher cette ultime course.
Le jeune homme se penche dans la fenêtre du passager pour me demander si je veux bien aller dans l'ouest de l'île pour 40 $. Je fais semblant d'hésiter un brin et lui dit, de monter. Il lance alors un cri à un groupe qui s'attarde de l'autre côté. Je fais un U sur Saint-Denis et me parque à leur hauteur pour observer quelques instants ces jeunes gens s'échanger baisers et numéros de téléphone.
Quelques minutes plus tard, j'ai à bord quatre jeunes hommes heureux qui s'en vont à Dollard-des-Ormeaux et qui parlent tous en même temps. C'est attendrissant de les écouter échanger sur leurs conquêtes de la soirée. C'est empli de promesses et d'attentes. Les trois derrières taquinent le plus jeune du groupe assis à mes côtés. Je n'ai pas besoin de me tourner vers lui pour sentir la gêne du puceau qui découvre les joies des premiers baisers, des premières amours.
À destination, les quatre tourtereaux piaillent encore leur bonheur. Contents d'être revenus vers leurs nids, ils m'offrent en plus de leurs sourires, quelques dollars supplémentaires.
Contaminé par leur joie de vivre, je rentre à mon tour vers mon nid. Le ciel est moins noir, comme mon âme.