« L’audace du crieur public était vraiment extraordinaire. En 1792, il osait annoncer et vendre, à la porte de la convention, des brochures qui portaient ces titres : Vous f..tez-vous de nous? — Rendez-nous nos dix-huit francs, f..tez-nous le camp, la guillotine vous attend.—Donnez-nous du pain ou égorgez-nous ! — Grand décret sur les allumettes et l’amadou !
Manuel dénonça le fait à la convention, mais en pure perte. La foule eût pris la défense des crieurs et chanteurs publics. Autour des uns et des autres il y avait cercle et affluence de monde.
Criait-on la découverte d’un complot, — le peuple répondait par des menaces contre les brigands, contre les infâmes conspirateurs. Criait-on une nouvelle réquisition, — beaucoup de gens allaient s’enrôler. Criait-on la victoire de Fleurus? —les hommes, les femmes, les vieillards , les enfants battaient des mains, suivaient le bon nouvelliste en tirant des pétards ; et, le soir, les façades des maisons étaient illuminées.
Souvent, un passant payait à boire au crieur, dont le gosier desséché au service de la patrie méritait bien cette récompense. Ici, un vieux militaire l’interrogeait; là, c’était une femme, une mère inquiète, qui lui demandaient si le nombre des morts avait été considérable à telle bataille ; plus loin, deux enfants, politiques précoces, hasardaient des demandes et des observations. Le crieur public, comme on le pense bien, ne manquait pas de trancher du personnage important, lui qui savait déjà ce que les autres ignoraient encore. Prenant tantôt des airs de bienveillance et de bonté, tantôt des airs de mécontentement et de supériorité, il ré pondait à tous en manière d’oracle. S’il ne savait pas lire, il s’abstenait de répondre. Son imprimeur lui avait appris nécessairement la phrase sacramentelle : Voici les détails de la fameuse victoire, etc. Il la répétait à satiété. Les détails, il fallait un sou pour les posséder. Le crieur habitait un garni; le crieur mangeait à la gargote; le crieur était zélé clubiste, sans-culotte ardent; le crieur était « homme d’action. » Il avait le certificat de civisme, aussi bien que le chanteur des rues.
Une variété du crieur, c’est l’afficheur : leurs mœurs étaient semblables à tous deux, et leur ministère différait de bien peu. Toutefois, le rôle de celui-ci s’effaçait davantage. Si la foule le suivait et s’intéressait à ses travaux, toujours est-il qu’elle n’avait pas avec lui de rapports directs. Il paraissait à l’angle d’une rue populeuse, il se plaçait devant un mur, collait son affiche devant un groupe de curieux, puis s’évanouissait, laissant de la pâture à la foule. On lui parlait rarement, car il n’avait pas, comme le crieur public ou le chanteur des rues, le don de l’éloquence. Il se renfermait, d’ailleurs, par goût et par système, dans un mutisme fort mystérieux. Quelqu’un l’interrogeai t-il, l’afficheur semblait répondre, au moyen d’un simple hochement de tête : Vous allez lire vous-même! vous allez savoir de quelle importance sont les choses que j’affiche ! — Il est vrai qu’il collait périodiquement sur les murs les plus fameux décrets, et les numéros du terrible Bulletin du tribunal révolutionnaire.
Ainsi, le chanteur des rues, le crieur public et l’afficheur forment une même famille. Ce sont les hommes-annonces, par l’intermédiaire desquels les classes infimes, peuvent apprendre les nouvelles, et se mettre au courant de la politique.
Tous trois existent encore de nos jours ; mais le chanteur n’a plus de mission politique, et l’afficheur reste inconnu à la foule, à cause de la progression infinie des hommes de son métier.
Le crieur public seul a encore le beau privilège de prononcer les mots de conspiration, attentat ou assassinat, de voir se former un cercle autour de lui, et de vendre, le jour de l’ouverture des chambres, le journal du soir le Moniteur parisien, au prix fabuleux de quinze sous le numéro. »
A. C.
Source : Augustin Challamel, Wilhelm Ténint, Henri-Charles-Antoine Baron, L. Massard, John Boyd Thacher Collection (Library of Congress), 1843
photo credit: Sebastian Fritzon