L'OTAN : de sa création (1949) à sa destruction (2039)

Publié le 26 juillet 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

L'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) se met en place au lendemain de la 2ème guerre mondiale. Suivre son histoire, c'est - compte tenu de l'importance de cette institution - suivre l'essentiel de l'évolution contemporaine des relations internationales, autour de la domination des Etats-Unis au XXème siècle, après celle de l'Europe - exsangue après 45 - au XIXème siècle ; domination occidentale qui se terminera peut-être avec l'aide du décès de l'OTAN vers le milieu de notre XXIème siècle.


I- L'OTAN « ORIGINELLE » (1949-50 A 1989-91)

L'OTAN a été voulue, originellement, par les Européens de l'Ouest pour bénéficier du « parapluie » militaire américain face au danger soviétique (1949- 50).

L'OTAN ainsi créée, va donner aux Etats-Unis, désormais superpuissance, l'outil militaro-politique leur permettant de placer, pour l'essentiel, la sécurité de cette Europe de l'Ouest sous leur leadership, sinon sous leur contrôle (1950-80).


1- La création de l'OTAN : ou la volonté des Européens de l'Ouest, face au danger soviétique, de bénéficier du « parapluie » militaire américain

On se souvient du contexte de l'après 2ème guerre mondiale : la France, qui entend alors se prémunir contre un nouveau séisme sur le sol du vieux continent provoqué par l'Allemagne, tente d'organiser la sécurité de l'Europe en s'alliant à la Grande-Bretagne : c'est l'objet du Traité de Dunkerque du 4 mars 1947.

Mais, dès juillet 1947, ce n'est plus tant outre-Rhin que paraissent se dessiner les préoccupations pour demain que plus à l'Est. En effet, l'URSS et les démocraties populaires refusent - comme le font les pays de l'Europe occidentale - de bénéficier du vaste programme de relèvement économique financé par les Etats-Unis (Plan MARSHALL) et de participer à l'organisme créé pour gérer cette aide : l'Organisation Européenne de Coopération Economique (OCDE).

Le « coup d'Etat communiste de Prague », le 25 février 1948, avive les inquiétudes des puissances de l'Europe occidentale - elles ont cherché à y répondre dans le cadre du Traité de Bruxelles du 17 mars 1948 (France, Belgique, Royaume-Uni, Pays-Bas, Luxembourg).

Mais il est clair que ces différents pactes européens ne suffisent pas à empêcher un sentiment d'insécurité parmi les Etats de l'Ouest européen et on craint « la ruée des chars soviétiques vers l'Atlantique à travers des pays à demi ruinés et totalement désarmés » (1). En effet, la politique expansionniste de l'Union Soviétique s'accuse à cette époque : qu'on se souvienne du blocus de Berlin, décrété par Moscou, à partir du 24 juin 1948 ; qu'on pense à la « soviétisation » des pays de l'Est, à l'attitude agressive du mouvement communiste international (affaire DUCLOS, guerre civile en Grèce,...), à la création en du Kominform, etc.

Aussi bien, face à ce danger soviétique croissant, les politiques et les militaires de la vieille Europe « libre » appellent de leurs vœux l'implication des États-Unis dans la défense de l'Europe de l'Ouest, le seul appui extérieur crédible étant bien alors celui de l'Oncle Sam. Cette implication militaire, les Européens vont l'obtenir dans le cadre du Traité de l'Atlantique Nord, signé le 4 avril 1949 à Washington, par 12 nations : les cinq membres de l'organisation de Bruxelles, les États-Unis et le Canada, plus le Danemark, la Norvège, l'Islande, le Portugal et l'Italie. Le rôle du Pacte Atlantique est clairement défini dans l'article 5 : il s'agit avant tout d'apporter une garantie d'assistance en cas d'agression contre l'un des membres. Pour ce qui regarde l'organisation de ce Pacte Atlantique et pour l'application, en particulier, de cet article 5, le Traité du 4 avril 1949 prévoyait (article 9) d'établir un « Conseil Atlantique » qui constituera les « organismes subsidiaires » qui pourraient être nécessaires et notamment un « comité de défense ». La « guerre froide » s'aggravant, la menace soviétique s'intensifiant dès l'année suivante (la guerre de Corée commence le 25 juin 1950), les membres de l'Alliance Atlantique mirent sur pied effectivement :

  • d'une part, une « Organisation du Traité de l'Atlantique Nord », l'OTAN, dirigée par un « secrétaire général », supervisé par un « conseil permanent » où tous les pays membres sont représentés et disposent d'un important appareil administratif ;
  • d'autre part, un appareil militaire conséquent.

Il est clair que le système ainsi créé « Alliance-OTAN », qui a une vocation purement défensive - pour garantir l'intégrité de l'Europe occidentale face à la menace de l'URSS -, est un système qui est dans le « giron des États-Unis » (ce sont les Américains qui sont au coeur de ce système qu'ils dirigent, inspirent, animent : sièges, commandements, moyens,...), au point qu'on a pu parler, dès l'origine, à juste titre, d'un « dispositif politico-militaire atlantique américain ».

2- Le développement de l'OTAN : ou la sécurité et la défense de l'Europe de l'Ouest sous le contrôle et le leadership de la superpuissance américaine (des années 50 aux années 80)

Les États-Unis acquièrent - après la deuxième guerre mondiale - le statut de superpuissance, dans tous les domaines : économique, financier,... militaire. Il est certain - pour en rester à ce dernier volet - que le système défensif de l'Europe occidentale qui se met en place dans les années 50 ne vaut que grâce aux « poids » militaire apporté par les Américains ; par la permanence de leur présence en Europe et le caractère automatique de leur engagement en cas de conflit ; leur appareil thermonucléaire (et sa prédominance va assurer tout un temps le véritable « ciment » de la coalition militaire occidentale) étant déterminant pour contrebalancer et équilibrer la puissance de l'URSS sur le continent européen.

Mais il est certain aussi que les pays de la vieille Europe occidentale, se plaçant ainsi, pour leur défense, à cette époque, sous la protection des Américains qui s'implantent au cœur de leur territoire et de leurs ensembles de sécurité, la défense de l'Ouest européen ne va cesser, dans ces décennies d'après-guerre, d'apparaître et d'être un ensemble de sécurité européen aux mains et dans les mains des États-Unis, avec alignement, pour l'essentiel des pays européens sur les choix américains.

C'est particulièrement vrai dans les années 50 où l'influence des États-Unis sur l'Alliance Atlantique et l'OTAN - et donc sur la sécurité européenne - atteint son apogée, en liaison avec le monopole nucléaire américain de l'après 2ème guerre mondiale et l'énorme supériorité de l'Oncle Sam en matière d'armes stratégiques. En décembre 1954, le Conseil Atlantique adopte officiellement la « stratégie des représailles massives immédiates » qui vise à compenser la supériorité conventionnelle soviétique par la supériorité nucléaire américaine et à dissuader, donc, les Russes de se lancer dans des entreprises guerrières sur le sol du Vieux continent. Il y a donc bien, dans cet « âge d'or » des représailles massives, un fort « lien », un fort « couplage », entre le théâtre européen et le système central américain qui permet aux pays Européens de compter vraiment pour leur défense sur le « parapluie » nucléaire des États-Unis dans le cadre de l'Alliance Atlantique.

A partir des années 60, en liaison avec la fin de la supériorité nucléaire américaine, va apparaître, pour les Européens, le « spectre » d'un certain « découplage ». L'URSS se dote, en effet, de la bombe atomique et de fusées balistiques intercontinentales (1949 1953). Aussi bien, à mesure que se fait plus forte la crainte de destructions irréparables, les États-Unis vont avoir tendance à diminuer leur garantie nucléaire envers leurs partenaires européens. On va passer ainsi de la stratégie des « représailles massives anti-cités » à la « stratégie flexible ou graduée » qui signifie que l'Oncle Sam n'entendait plus répondre, dès cette époque, automatiquement, par son armement stratégique central, à une agression de l'URSS sur le centre Europe.

On sait que les Européens n'ont pas subi, inertes, cette évolution de la stratégie de l'OTAN via les États-Unis au fur et à mesure que s'établissait une certaine parité nucléaire entre les Américains et les Russes.

La France va chercher à obtenir un meilleur partage - en vain - du leadership américain sur l'OTAN. On rappelle que l'Hexagone est, dans les années 50, « l'ombilic » de l'Alliance Atlantique (2) : elle accueille des institutions politico-militaires (Conseil de l'Atlantique Nord, Assemblée interparlementaire, Association du Traité de l'Atlantique Nord,..., Collège de Défense) et des états- majors de l'OTAN. Le territoire français est la plaque tournante logistique et 50.000 soldats alliés - dont la moitié d'Américains - y sont basés.

De retour au pouvoir en 1958, le Général DE GAULLE dote notre pays de la bombe atomique et d'une stratégie nucléaire de dissuasion, tout en demandant que soit institué, dans le cadre de l'Alliance Atlantique, un partage équilibré des responsabilités (3), dans le cadre d'un « directoire à trois nations » ou « comité exécutif du monde libre » (États-Unis, Royaume-Uni, France). EISENHOWER ayant répondu négativement à cette requête de l'Homme du 18 juin, ce dernier devait prendre une série de décisions bien connues : retrait des forces navales françaises de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), en mars 1959 pour celles de la Méditerranée et en juin 1963 pour celles de la Manche et de l'Atlantique et, surtout - décision historique de 1966 -, retrait de notre appareil défensif des commandements militaires intégrés de l'OTAN.

Par ailleurs, des initiatives allaient être prises - souvent sous impulsion française - pour donner naissance à une dynamique de sécurité et de défense plus « européanisée », sinon complètement « européenne ». Les nations d'Europe occidentale vont, en effet, dès les années 50, manifester leur volonté de créer une architecture de sécurité plus spécifiquement européenne. Il faudrait d'abord, bien sûr, dans cette perspective, rappeler l'initiative de la « Communauté Européenne de Défense » (CED), qui sera rejetée par le Parlement français, le 30 août 1954. Pourtant, l'Europe occidentale ne veut pas - et ne peut pas - rester sur cet échec et on va donc s'orienter vers une solution plus acceptable préservant mieux les souverainetés nationales : il s'agit de « l'Union de l'Europe Occidentale » (UEO), dont la naissance intervient le 23 octobre 1954.

Dans les années 60, les efforts pour une identité européenne de sécurité et de défense plus avérée vont s'inscrire dans un cadre franco-allemand. On voudrait, bien sûr, rappeler d'un mot le Plan FOUCHET (1961), puis tous les développements qui vont s'inscrire dans le prolongement du Traité de l'Élysée (22 janvier 1963) jusqu'aux années 80 : brigade franco-allemande, conseil de défense et de sécurité franco-allemand,... Dans cette décennie 80, l'Union de l'Europe Occidentale va être en outre réactivée : réunion ministérielle de Rome en 1984, plate-forme de La Haye sur les intérêts européens en matière de sécurité (27 octobre 1987).

Mais nous voilà déjà à la fin de la décennie 80. On connaît la suite, à savoir les énormes bouleversements géostratégiques des années 1989-91 : chute du mur de Berlin et réunification allemande, effondrement de l'URSS, dissolution du Pacte de Varsovie.

L'Alliance Atlantique et l'OTAN - nées de la guerre froide et dont l'objectif premier était de contenir les soviétiques - n'avaient plus de raison d'être. Et pourtant, l'Alliance Atlantique et l'OTAN - devenues, au sens propre, sans objet puisque créées pour faire face à l'ennemi soviétique - vont non seulement survivre, mais elles vont trouver - sous l'impulsion des États-Unis - un nouveau souffle et un nouveau visage dans la décennie 90 - la « nouvelle OTAN » -, permettant aux Américains de renouveler leur domination militaire sur le nouvel « ordre » mondial.

II- LA « NOUVELLE » OTAN (DECENNIES 1990-2000)

De nombreux facteurs militaient pour la continuation d'une Alliance renouvelée. Il y avait, en particulier et surtout, la « demande de sécurité » des nouveaux pays de l'Est, après la dislocation de l'URSS et du Pacte de Varsovie. Mais de nombreux pays de l'Europe de l'Ouest restaient aussi preneurs du « parapluie » américain qui leur évitait d'avoir à mettre en place leur propre politique de défense. Et, au-delà de l'Europe, les Américains - désormais seule superpuissance : « l'hyper puissance », selon l'expression juste d'Hubert VEDRINE - avaient besoin d'un instrument militaire complémentaire à leurs propres forces pour stabiliser le « petit village » planétaire. À l'heure de la mondialisation libérale sous domination économique, financière,... américaine, les États-Unis vont donc s'attacher à « globaliser » l'OTAN initiale euro-atlantique pour se donner un outil militaire mondial en adéquation avec leur nouvelle prééminence mondiale : c'est la « deuxième » naissance de l'OTAN, une « nouvelle » OTAN, globale, mondialisée.

On verra ensuite, là encore, comment la France va chercher - difficilement - à accompagner cette refondation de l'OTAN qu'elle tentera même de réintégrer, tout en travaillant à l'émergence d'une défense européenne plus autonome.

1. la nouvelle OTAN, instrument politico-militaire global de l'hyperpuissance américaine à l'heure de la mondialisation libérale

On ne va pas rappeler longuement la « transformation » de l'OTAN initiale opérée, sous l'influence et l'orientation des États-Unis, depuis le début de la décennie 90 jusqu'à nos années 2007-2008 (à travers les différentes réunions et Sommets : de Londres, en 1990, à Bucarest, en 2008).

Ce qui est sûr, c'est que le centre de gravité de la « nouvelle » OTAN est bien toujours l'Europe, la « nouvelle » Europe après guerre froide ; mais la « nouvelle » OTAN, c'est désormais, au-delà, l'OTAN tous azimuts se reconnaissant en responsabilité de tous les problèmes de la sécurité de l'ensemble du monde.

La « nouvelle » OTAN et la « nouvelle » Europe

  • L'OTAN transformée n'oublie pas, d'abord, ses racines initiales, à savoir qu'elle a été à l'origine un système voué à assurer la sécurité et la défense des pays de l'Europe de l'Ouest.

Les États-Unis devront - dans la décennie 90 - s'attacher à lui garder cette mission en veillant à une meilleure association des alliés traditionnels de l'Europe de l'Ouest à l'Alliance Atlantique. Dans cette perspective, les Américains ont été amenés à reconnaître (dès 1991, puis en janvier 1994) le bien-fondé d'une - vocabulaire désormais officiel de l'Alliance - « Identité Européenne de Sécurité et de Défense » (IESD) au sein de l'Alliance Atlantique, la légitimité d'un « pilier européen de l'OTAN », en l'occurrence l'Union de l'Europe Occidentale, avec affirmation de la coopération étroite et croissante entre l'OTAN l'UEO posées comme structures complémentaires et non antagonistes. Par ailleurs, l'Oncle Sam a accepté d'identifier au sein de l'OTAN des éléments militaires spécifiquement européens avec les « Groupes de Forces Interarmées Multinationaux » (GFIM) : accord de Berlin en 1996. Enfin, les États-Unis ont, dans ces années 90, affiché leur volonté d'une rénovation des structures militaires intégrées de l'OTAN, avec la réforme des grands commandements, donnant plus de place aux « Européens ».

  • Mais aussi, simultanément à cette volonté des États-Unis d'une Alliance plus équilibrée, d'une OTAN « européanisée », les Américains vont s'attacher à prendre en compte les problèmes de sécurité des nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale et les problèmes de l'ex-URSS.

C'est ainsi qu'au Sommet de Rome (1991) est créé un COnseil de COopération de l'Atlantique Nord (COCONA), ouvert aux pays de l'ex Pacte de Varsovie. Au sommet de Bruxelles, en janvier 1994, on donne une nouvelle dimension à la coopération avec ces pays avec le « Partenariat pour la Paix » (PpP). A la fin de 1994 - session ministérielle du conseil atlantique du 1er décembre 1994 -, l'Administration américaine cède à l'insistance de ces PECO et met en route pour eux un processus d'adhésion à l'OTAN qui va véritablement s'engager en 1997 (Hongrie,...). Concernant plus particulièrement la Russie, les États-Unis se sont attachés à lever une partie des préventions russes en définissant une relation de coopération et de partenariat matérialisée par « l'acte fondateur OTAN-Russie », signé à Paris, le 27 mai 1997. Par ailleurs, une « charte sur le partenariat spécifique entre l'OTAN et l'Ukraine » a été ratifiée en juillet 1997, lors du Sommet des Chefs d'État et de gouvernement à Madrid.

La « nouvelle » OTAN et la sécurité du monde

Les États-Unis vont, dans le même temps - très au-delà du « serment » de sécurité collective, contracté à Washington en avril 1949, très au-delà du champ géographique et du domaine de compétences traditionnel de la « 1ère » OTAN - faire de la « 2ème » OTAN un grand « machin » sécuritaire qui a vocation à aller partout et à s'occuper de tout.

La nouvelle OTAN a vocation à aller partout ?

Les États-Unis - après les bouleversements de 89-91 - se sont efforcés de faire admettre que les interventions de l'OTAN peuvent déborder de l'espace géographique stricto sensu, c'est-à-dire des frontières des membres de l'Alliance. Et, en particulier, les USA ont souhaité faire accepter l'idée, la réalité, que l'OTAN puisse agir en dehors de la zone euro-atlantique lorsque le maintien de la sécurité et de la paix est en jeu, avec une version extensive du concept stratégique puisque, pour Madeleine ALBRIGHT, l'OTAN doit devenir « une force de paix du Moyen-Orient jusqu'à l'Afrique centrale ». Et c'est bien hors de la zone de l'article 6 que l'OTAN va mener ses premières opérations militaires, en 1993. Depuis, l'OTAN s'est autorisée à intervenir ouvertement hors de la zone euroatlantique et s'est imposée, dans la réalité, comme organisation compétente sur tous les continents et d'utilisation planétaire. L'Alliance... contre l'URSS est devenu une « Alliance... contre X. ».

Mais elle est censée aussi, désormais, dans le même temps, faire face à « tout ce qui n'a pas de nom » (selon l'heureuse expression de Lucien POIRIER), ce qui traduit une extension du champ « fonctionnel » de l'OTAN.

La nouvelle OTAN a vocation à s'occuper de tout ?

Bien sûr, on assure que la mission première et essentielle de l'OTAN est et reste - article 5 du Traité initial - la défense collective des Etats membres contre toute menace extérieure grâce à une alliance militaire qui s'appuie sur la dissuasion nucléaire.

Mais - ajoute-t-on - les conditions de l'après-guerre froide des années 90 obligent à élargir le champ des missions de l'Alliance pour la transformer en instrument de gestion des crises et de maintien de la paix (nouvelles missions dites « mission hors article 5 » encore appelées techniquement « le domaine du non 5 »), en instrument de gestion des menaces dites « nouvelles » (expression « fourre-tout » recouvrant des domaines aussi divers que le terrorisme, la prolifération des armes à haute technologie, la criminalité, les trafics de stupéfiants et le blanchiment d'argent sale, voire la protection de l'environnement).

2. La France au coeur de la « nouvelle OTAN » et de la « nouvelle Europe »

La France et la « nouvelle OTAN »

La France n'a cessé, dès les années 70-80, et surtout depuis le début des années 90, de se rapprocher de l'OTAN au point de la réintégrer quasiment de fait, sinon officiellement.

On pense, en ce sens, à la tentative de François MITTERRAND, en 1990-91, et surtout aux efforts - au milieu des années 90 - de Jacques CHIRAC.

C'est ainsi qu'en septembre 1994, M. LEOTARD, alors Ministre de la Défense, participait à une réunion informelle avec ses homologues de l'OTAN. Ce rapprochement « à petits pas » s'est accéléré ensuite en 1995-1996. Le 5 décembre 1995, au Conseil Atlantique, la France a annoncé, en effet, plusieurs décisions importantes : participation aux réunions des ministres de la Défense ; pleine participation au comité militaire ; renforcement de notre présence auprès des commandements ;... Dans le même esprit, M. Gérard ERREA, Ambassadeur de France auprès de l'OTAN, a annoncé, le 17 janvier 1996, lors de la réunion du Conseil Atlantique, à Bruxelles, que Paris acceptait - pour la première fois depuis 1966 - de parler de nucléaire au sein de l'OTAN. Et le Président Jacques CHIRAC - lors de sa visite aux États-Unis, en février 1996 - appelait à un « partenariat renouvelé entre l'Europe et l'Amérique ». On se souvient aussi que ce processus de « réintégration » a été interrompu suite au refus américain de voir confier - comme le souhaitait Jacques CHIRAC - à un officier européen le commandement en chef du Sud Europe à Naples. Il n'empêche, on va bien avoir - décennie 90- 2000 - poursuite - avec des hauts et des bas - de ce mouvement de rétablissement des contacts et des relations avec l'OTAN, d'une façon implicite ou officielle, avec, notamment, la participation progressive de notre pays à des instances de l'OTAN de plus en plus nombreuses, un engagement sans précédent de la France dans le dispositif militaire atlantique dans la période 2002-2004, si bien qu'aujourd'hui, la France est ainsi le premier contributeur de la « force d'action rapide » (NRF) de l'OTAN ; elle participe à toutes les opérations extérieures de l'Alliance (dans les Balkans, en Afghanistan,...) ; nous commandons certaines de ces opérations ; nous avons des officiers presque partout et, en particulier, depuis 2003, des officiers français sont à nouveau « insérés » au sein du SHAPE (état-major des puissances alliées en Europe). Bref, à ce jour, la France est redevenue un « bon élève » de l'OTAN et, petit à petit, a repris dans l'OTAN, presqu'en catimini, la place que le Général DE GAULLE lui avait fait quitter en 1966.

Reste à ajouter que si, pour l'essentiel, notre pays a accepté - voire appuyé - la « transformation » de l'OTAN, la France ne cesse de mettre en garde, ces dernières années, contre ce qui apparaît, à ses yeux, comme une « dérive » de l'OTAN, à savoir son élargissement « tous azimuts » qui lui fait faire concurrence à l'ONU4. On l'a bien vu au Sommet de Riga, les 28 et 29 novembre 2006 ; au Sommet de Bucarest (du 2 au 4 avril 2008), au vrai, depuis le Sommet du 50ème Anniversaire à Washington (avril 1999).

On sait que la France entend plaider dans le même sens à Strasbourg-Kehl, en avril 2009, en officialisant sa réintégration dans l'OTAN, tout en espérant « engranger », à cette occasion, des progrès dans « l'Europe de la défense ».

La France et la « nouvelle Europe »

Dans le même temps où - on vient de le voir - la France s'est rapprochée de l'OTAN, notre pays va chercher - surtout depuis les changements géostratégiques 1989-91 - à doter la « nouvelle Europe » (« l'Europe de l'Ouest » plus les pays de « l'Europe de l'Est ») d'un système de sécurité plus « européanisé », sinon totalement européen, non sans difficultés : 21 des 27 pays de l'Union Européenne d'aujourd'hui sont, en effet, membres de l'OTAN et estiment, pour beaucoup, que le partenariat stratégique entre l'OTAN et l'UE doit rester le fondement de la sécurité de l'Europe. Il n'est de sécurité collective européenne que dans et avec l'OTAN. Les pays de l'Est, en particulier, ne font confiance en matière de défense - en dernier ressort - qu'à l'Amérique. Et l'absence, au final, du principe de défense collective dans la liste des missions dites « de Petersberg » adoptées par l'UEO en 1992 et, en 1997, par l'UE (Traité d'Amsterdam) a été le prix à payer pour satisfaire les pays dits « atlantistes » et les neutralistes membres de l'UE.

Comme, par ailleurs, les États-Unis ne cessaient de rappeler les « bornes » à ne pas dépasser par le « pilier européen de l'alliance » - on pense aux 3 conditions mises en avant par la Secrétaire d'État américaine, Mme ALBRIGHT : pas de « découplage », pas de « duplication », pas de « discrimination » -, on comprend que la voie pour tenter d'édifier un outil militaire et une politique de défense européenne plus autonomes ait été une voie très étroite ; et que, au total, suite aux efforts des années 1990-2000 au niveau du couple franco- allemand, au niveau de la France et de l'Angleterre (Sommet de Saint-Malo, le 4 décembre 1998), au niveau de l'UEO, au niveau de l'UE, la « politique européenne de sécurité et de défense » (PESD) d'aujourd'hui se résume, pour l'essentiel, à une capacité européenne de gestion des crises à l'extérieur des frontières des Etats membres. La France espère, on le sait, dans le cadre de sa PESD, relancer « l'Europe de la défense », en accroissant, en particulier, les capacités de planification et de gestion de crise de l'Union Européenne, en rendant plus efficaces et plus opérationnels tous les mécanismes qui existent déjà, la structure politico-militaire de l'Union Européenne.

III- DEMAIN L'OTAN ? (DES ANNEES 2008-2009... AUX ANNEES 2030-2050)

On ne peut pas - compte tenu de la liaison consubstantielle entre l'OTAN et les États-Unis - ne pas replacer la réflexion sur le devenir de l'OTAN dans le cadre de la réflexion sur le devenir de la puissance américaine. Il est sûr que, depuis le début des années 2000 (2004 ? ...), nous sommes rentrés dans une phase de déclin relatif de l'hyperpuissance américaine qui ne peut pas ne pas se traduire, à court et moyen termes, par un certain « repli » de l'OTAN.

Au-delà, lorsque nous serons dans une période de « post-occidentale », il n'est pas interdit d'envisager la disparition de l'OTAN.

1. Le repli de l'OTAN dans la phase transitoire de déclin relatif de l'hyperpuissance américaine

L'ère de l'unilatéralisme et de la domination sans partage des États-Unis est terminée. Bien sûr, les États-Unis vont rester encore durant deux décennies environ le principal acteur de la scène mondiale et leur stratégie sera et restera déterminante pour les relations internationales durant cette période. La Chine - en compétition pour le premier rang mondial - n'est pas encore en état de prétendre prendre la place de l'Oncle Sam comme « cœur » du monde et d'une autre « économie monde » (BRAUDEL).

Mais la crise de nos années 2007-2008 confirme bien, voire accélère, ce recul relatif des États-Unis, surtout si elle se prolonge - comme beaucoup l'avancent - par une longue période de récession outre-Atlantique, supérieure à 10 ans (comme celle que le Japon a connue après l'éclatement de sa « bulle » immobilière). Dans tous les cas, elle contribue à faire vaciller encore davantage « l'ordre » international sous domination américaine, puisqu'il faut la lire, au total, comme l'expression d'un transfert de puissance dans un monde dont les équilibres sont en train de changer - de continuer à changer - et de se déplacer vers l'Asie.

Très clairement, dans ce contexte, les États-Unis vont donc devoir - qu'ils le veuillent ou non -, accepter une réévaluation durable - vers le bas - de leur engagement sur la scène internationale, se résigner à un monde plus multipolaire et plus équilibré, avec un meilleur partage du pouvoir au sein des organisations internationales réformées (ONU, FMI,...).

Du point de vue de l'OTAN - et on verra mieux ces perspectives se dessiner au sommet du 60ème Anniversaire de Strasbourg-Kehl, en avril 2009, autour du nouveau concept stratégique,... -, il n'est donc pas sûr que les États-Unis continuent à vouloir - et surtout à pouvoir - faire de cet instrument politico-militaire, qui reste pour beaucoup dans leur orbite, un outil toujours plus « mondialisé », orienté vers les nouvelles menaces « globales » en Eurasie, au Moyen-Orient,..., une organisation tentaculaire bonne à tout faire, sorte d'union des démocraties et des peuples libres ou libérés, le promoteur de la démocratie et du libre marché,... même si demeure la tentation - dans une vision anglo- américaine : « The west against the rest » - de multiplier les interventions, la tentation d'étendre l'OTAN à des opérations hors d'Europe et hors de la zone Atlantique (en associant des pays d'Asie Pacifique : Japon, Corée du Sud, Singapour, Australie, Nouvelle-Zélande,...) pour mieux contenir la montée en puissance d'une Chine perçue comme rivale « globale ».

Les engagements de l'OTAN en cours seront-ils bien maintenus, ou revus, revus, si c'est le cas, selon quelles modalités : on pense bien sûr à l'Afghanistan où deux empires ont échoué et où on voit bien, dès maintenant, qu'une victoire militaire est parfaitement illusoire. Donnera-t-on suite à des perspectives d'engagements nouveaux : pour régler le problème de l'Iran ?

Il se pourrait, au vrai, que l'OTAN de demain, avec la fin de la domination sans partage des États-Unis, rabatte, donc, en partie, les ambitions « mondiales » de la « nouvelle » OTAN d'hier - on a déjà dit les réticences de la France, sinon des Européens, à ces extensions des missions de l'Alliance et de l'OTAN -, et se recentre, à l'avenir, sur ses origines euro-Atlantiques.

Les Européens - la grande majorité des Européens - continuent et continueront, demain, à souhaiter bénéficier de la sécurité collective « OTAN- États-Unis », surtout si - après l'affaire géorgienne et le réveil de l'ours russe - devait se confirmer une nouvelle « guerre froide » sur le sol du Vieux continent. Les Américains continueront à être pourvoyeurs de cette sécurité collective européenne, en contrepartie de l'implantation de certains éléments de leur défense antimissiles de ce côté-ci de l'Atlantique, défense antimissiles qu'ils ont réussi à faire reconnaître comme « otanienne ».

Mais il est sûr que l'effort de défense européen de l'ensemble « OTAN-ÉtatsUnis » n'aura plus, globalement, à l'avenir, l'ampleur qu'il a pu avoir avec l'OTAN « originelle » et qu'il avait en partie gardée - même de façon réduite sinon résiduelle - avec la « nouvelle OTAN ». Les Américains, d'ailleurs, n'ont plus, dès maintenant, semble-t-il - alors qu'ils avaient verrouillé jusqu'ici toute initiative en ce sens - les mêmes objections qu'hier au projet - au-delà du « pilier européen de l'OTAN » - d'une défense européenne plus autonome, si ce projet devait leur permettre de mieux partager le fardeau... tout en maintenant le lien transatlantique.

Reste que l'allié de toujours - la Grande-Bretagne - n'entend pas laisser la France profiter de ce « relâchement » de l'emprise américaine pour prendre éventuellement le leadership d'une « Europe de la défense » que Paris tente, on le sait, de relancer durant le 2ème semestre 2008 où notre pays assure la présidence de l'Union Européenne. Et on verra - au Sommet du 60ème Anniversaire, en 2009 - si le Président Nicolas Sarkozy a gagné son pari de pouvoir réintégrer officiellement les structures militaires intégrées de l'OTAN, compte tenu, en particulier, des avancées obtenues dans « l'Europe de la Défense ».

2. La fin de l'OTAN avec l'avènement de la Chine dans une ère post- occidentale

Historiquement, la circulation des cartes de la puissance et le basculement des hégémonies se sont traduits par des « guerres de 30 ans » (5). Il faut espérer, les armes étant désormais ce qu'elles sont, que nous n'aurons pas le grand affrontement militaire Etats-Unis-Chine que certains considèrent comme inévitable. Et que, dans les années 2030-2035, le bouleversement de la hiérarchie du monde se sera effectué de manière pacifique. Les États-Unis - qui disposaient, au début de la dernière décennie du 20ème siècle, de tous les attributs d'une totale suprématie - auront laissé la place à la Chine qui prendra ainsi la suite du long cycle de domination de l'Occident ouvert au XVIème siècle et clos par le XXème siècle américain.

Nous serons alors dans un nouveau monde post-occidental « uni- multipolaire », avec un centre dominant : la Chine et l'Asie, et 4-5 grandes zones. Tout le problème - pour notre réflexion autour de l'OTAN - est de savoir quelle sera l'évolution, dans la longue période, des relations entre les États-Unis et l'Europe. Il est des observateurs pour penser que la nécessité de se regrouper pour un Occident en perdition amènera une fusion transatlantique États-Unis- Europe entre deux espaces proches en termes de vision du monde, de culture,... l'OTAN, dans cette perspective - avant de disparaître - pourrait être le vecteur, la colonne vertébrale - militaire, politico-militaire - de la création de ces futurs « États-Unis d'Occident », de cette nouvelle « grande communauté atlantique » à caractère super-étatique et supra-national.

Ce scénario d'une entité politique transatlantique naissant d'un processus fédératif à partir de l'OTAN ne peut être purement et simplement écarté. Mais on peut et on doit regarder également - ce serait bien sûr, là aussi, la disparition à terme de l'OTAN - une autre hypothèse que la constitution de ce bloc occidental Etats-Unis-Europe, politiquement et militairement unifié. Certains assurent, en effet, qu'on assistera - dans ce monde de demain qui aura basculé vers l'Orient - à un « éloignement » , un « détachement » entre les États-Unis et l'Europe ; et, partant de l'idée que la Russie est d'abord et surtout un État européen, à impliquer donc, totalement, dans le jeu européen, on aura la constitution d'une grande Europe « de l'Atlantique à l'Oural » ; bref, la constitution d'un ensemble « euro-russe », mieux, d'un ensemble « euro-russo-méditerranéen » (élargi, en effet, à la Turquie et aux pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée). Il y a là le grand pôle susceptible de maintenir « l'Europe » au niveau des grandes zones mondiales des années 2050.

Pierres PASCALLON

Source du texte : IPSE

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NOTES  :

(1) GALLOIS (P-M) : L'adieu aux armes, A. Michel, 1976, p55.

(2) MONGRENIER (J-S) : « L'OTAN au cœur des relations franco américaines », Tribune, Institut Thomas More, octobre 2008.

(3) « L'OTAN est un faux semblant. C'est une machine pour déguiser la mainmise de l'Amérique sur l'Europe. Grâce à l'OTAN, l'Europe et placée sous la dépendance des Etats-Unis sans en avoir l'air », DE GAULLE, cité dans PEYREFITTE (A) : C'était de Gaulle, Fayard, 1994.

(4) Cf. PASCALLON (P) : L'OTAN, demain, sous l'impulsion des Etats-Unis, va-t-elle remplacer définitivement l'ONU ? », Revue Politique et Parlementaire, oct-déc 2006.

(5) Wicht (B) : Guerre et hégémonie. L'éclairage de la longue durée, 2002.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE  :

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