Un entretien vaut-il mieux que deux tu l'auras ?

Publié le 25 juillet 2009 par Tudry

Voici, ci-dessous, l'entretien que j'ai accordé à Stéphane François dans le cadre de sa thèse de doctorat en science politique. Le livre publié ensuite, en 2006, chez L'Harmattan en est un condensé. J'ai réctifié quelques éléments à mes réponses de l'époque (2005, environ). Pourquoi ? Tout simplement parce que déjà, lors de cet entretien, le chercheur qui m'interrogeait, me posait des questions orientées pas ses propres interrogations, interrogations sur un "milieu" auquel je ne me sentais n'avoir jamais "appartenu", milieu dans lequel j'avais, certes, vécu nombres d'expériences mais qui, par bien des aspects m'était (et m'est) étranger, autant que je lui suis étranger. Aussi, loin d'aller au bout des questions qui m'était posée, je me suis souvent contenté de répondre par ce qui pouvait paraître le moins "déroutant" ... Trois ans sont passés, trois... c'est un chiffre admirable et un chiffre de déchiffrement, aussi il m'apparaît utile, en particulier en lien avec mes investigations actuelles de dévoiler certaines éléments ...

Une partie de ma thèse traite des rapports entre la “ musique industrielle ”, les droites radicales et l’ésotérisme, en particulier avec le néo-paganisme. Par conséquent, votre parcours m’intéresse. Vous en parlez sommairement dans votre introduction “ sous influence ” dans Que vous a apporté René Guénon. Pourriez vous développer ? Qu’entendez vous par votre jeune intérêt pour le totalitarisme ?

Adolescent, j’ai, en effet, été “ attiré ” par “ l’esthétisme ” des régimes totalitaires, en particulier au collège, en suivant les cours d’une femme, professeur d’histoire-géographie, qui, bien que clairement socialiste, ne cachait pas sa  fascination esthétique  pour les grandes mises en scène fascistes ou national-socialistes. Par la suite, l’étude de ces mouvements politiques m’a longtemps retenu, en particulier en raison de leur caractères, je dirais, “ religieux ” et surtout, par, justement, la “ fascination ”, la quasi “ obsession ” qu’ils avaient pu exercer sur nombres de personnes d’origines et de milieux très dissemblables. C’est de l’étude de leurs “ bases idéologiques ” qu’est né mon attrait pour la philosophie de Nietzsche puis, plus tard, celui pour l’histoire des Indo-Européens. De cette période, s’est développée une forme de rejet pour l’historiographie officielle. Je commençais de percevoir que cette histoire, qui passait pour très objective, était, en définitive, à l’image des régimes totalitaires, intimement liée à l’idéologie des “ vainqueurs ”. Je dirais que, dans ces mêmes années, j’éprouvais (“ instinctivement ”, “ naturellement ”) une sorte de haut-le-cœur devant la manière dont était abordée toute la période pré- et post-révolutionnaire en France … sans pouvoir clairement définir mon point de vue sur la question. J’étais encore, tout de même, très “ perméable ” à tous les mouvements modernes, bien qu’ayant continuellement refusé de me trouver encarté, et pourtant, dans cette période mittérandienne, ce ne sont pas les sollicitations qui manquaient. Certains, trouveront sans doute cela paradoxal, mais mon attrait et mes études des régimes autoritaires, m’avaient ouvert à cette intime conviction qu’aucun système ne peut être intégralement satisfaisant pour la bonne raison qu’il est ce qu’il est : “ un système ”, c’est-à-dire, un circuit clos de la pensée… non pas que la dialectique ait été, déjà, une référence pour moi, mais je crois que, dès lors, je percevais le dénominateur commun de ces “ systèmes ” : la modernité ; et, sans la citer nommément, je ressentais alors mon inadéquation avec celle-ci. Mon attrait fut, en premier lieu, “ esthétique ”, si je puis dire, aussi, la découverte chez Gustave Le Bon d’une immense analyse du pouvoir des images, “ l’image saisissante ”, me fis réagir et débusquer partout cette tentation du pouvoir par l’image, par l’impression … Bien sûr, il y avait dans tout cela une bonne dose de provocation, une volonté de se démarquer, et fermement, pour le coup. Toutefois, je n’ai jamais adhéré à aucune formation et je passais le plus clair de mon temps avec des personnes de mon âge qui, clairement, ostensiblement, militaient à gauche ou à l’extrême gauche, et les idées de ce que l’on appelle encore aujourd’hui l’extrême droite ne m’ont jamais séduit, pas plus que celles de l’extrême gauche, d’ailleurs. Mon but affiché était d’être “ autre ”, mais, dans les milieux lycéens et étudiants de l’époque ( de 1985 à 1990 environ), il était quasiment impossible d’être autre chose qu’un “ gauchiste ”, cela ne se discutait même pas. Il était inconcevable de s’exprimer différemment, de formuler un autre discours … L’idéologie “ Touche pas à mon pote ” était passée par là et, par la suite, on en était venu à la technique politique de “ Ras l’front ” et autres groupuscules délationnistes, une gentille atmosphère de Goulag pour boys-scouts en somme... Ces événements ont redoublé en moi ce besoin d’y aller voir moi-même, de ne pas m’en laisser conter et, au bout du compte, j’ai trouvé plus de “ tolérance ”, plus d’ouverture d’esprit, plus de liberté, plus de pensée “ indomptée ”, chez les gens dits de “ droite ” que chez ceux dits de “ gauche ”, avec lesquels, du reste, il était devenu impossible de dialoguer ; avec eux, le débat se muait en “ passage à la question ”, les arguments en condamnation … cela ne me convenait pas. Aussi, à force de “ fouiller ” dans les livres, les articles, les plus divers et disparates, j’en suis venu à m’en aller voir à d’autres altitudes, et là de rencontrer Georges Dumézil, Mircea Eliade, Alain Daniélou, puis Julius Evola, René Guénon, Ananda K. Coomaraswamy, Christian et Françoise Guyonvarc’h … je ne m’en suis jamais remis … Dans ce parcours il n’y a pas “ d’évolution ” (cette idée, décidément, ne me convient pas), mais un affinement de la pensée en même temps qu’un élargissement. Depuis longtemps il s’agit d’aiguiser ma pensée afin de la dépasser, qu’elle soit si fine et si tranchante qu’elle en vienne à ne plus apparaître, quelque chose de très, très éloigné, me semble-t-il, de tout totalitarisme, systèmes clos de la pensée, fût-il de droite (il faudrait d’ailleurs clairement définir si le fascisme et le national-socialisme, peuvent être considérés comme des idéologies de “ droite ”, ce qui n’est pas si évident, à mon sens), de gauche ou libéral, comme l’actuelle idéologie des droits de l’homme.

Que vous a apporté la “ musique industrielle ” sur le plan intellectuel ?

Rien de façon directe et beaucoup de manière indirecte. Cette forme de “ mode ” prend vite les allures d’un “ système ” justement, ses codes, ses “ valeurs ” vous obligent à afficher des références, souvent incomplètes d’ailleurs, sans aucun discernement. Toute “ réaction ” qui ne repose pas sur des Principes intangibles, qui n’emprunte rien à la modernité, se voit rapidement “ récupérée ” ; non pas, nécessairement de façon claire et évidente, mais, les présupposés de sa “ révolte ” n’excédant jamais la provocation et le désir de choquer à tout prix, elle est rapidement intégrée par un monde, par une société, à laquelle, finalement, elle n’a jamais cessé d’appartenir … Les musiques dites “ industrielles ”, et tout ce qu’elles ont généré, n’échappent pas à cela. Les “ inventeurs ” de cette “ forme ” musicale, que ce soit Genesis P. Orridge, Monte Cazzaza, Cabaret Voltaire, S.P.K …, ont pu rejeter certaines déviations de la pensée moderniste mais jamais ils n’ont remis en cause globalement les bases même de la modernité, bien au contraire, eux-mêmes se déclarant appartenir à l’avant-garde. Quand au phénomène “ dark-folk ”  ou “ néo-folk ”, autour de Death In June ou Current 93, il faudra attendre la fin des années 80 ou le début des années 90 pour qu’il s’oriente franchement vers un certain néo-paganisme ; mais, là encore, les auditeurs sont allés plus loin que les musiciens eux-mêmes et ont donné une ampleur à cet aspect des choses sans commune mesure avec l’engagement des auteurs eux-mêmes. Ensuite, les choses se font “ d’elles-mêmes ” et les rapprochements s’opèrent ; certains peuvent alors voir un intérêt particulier à établir de tels rapprochements … mais, en définitive, je n’ai rencontré que quelques rares personnes pour qui tout cela a de véritables implications, je veux dire tant intérieurement qu'intellectuellement …

La scène “ industrielle ” fut longtemps un véritable capharnaüm  culturel. On y trouve encore de tout et tout s’y mélange. La plupart du temps, il n’en sort rien … Mais, au hasard, comme cela fut le cas pour moi, vous pouvez glaner quelques noms, quelques références, des indications qui stimulent la curiosité. A cette époque (1988-1992), on parlait beaucoup d’Aleister Crowley et, comme je venais de terminer Là-bas  de Joris-Karl Huysmans, je me suis mis en quête des travaux les plus sérieux sur le sujet. De cette sorte d’occultisme on peut aboutir partout ; encore une fois, tout s’y mêle comme dans un maelström culturel et politico-philosophique. Donc, si l’on veut, sur un plan strictement intellectuel cette période m’a surtout appris à discerner, c’est là que j’ai vraiment rencontré les noms de René Guénon et Julius Evola, pour la première fois, mais noyés au milieu de mille autres références …

La musique industrielle m’a aussi appris à me méfier des “ techniques ” musicales, il fallait rejeter tout cela en bloc, mais aussi tout ce que la musique “ contemporaine ” officielle (Pierre Boulez, Pierre Schaeffer, Yannis Xenakis, etc ) pouvait incarner, c’est-à-dire un “ intellectualisme ” qui contrevenait au jusqu’au-boutisme affiché des musiciens “ indus ” de l’époque. Je crois que c’est dans ce cadre qu’il faut envisager tout ce qui concerne l’attrait pour la magie, le paganisme, dans ce milieu. Au départ, cela fut lié à cette volonté de sauvagerie totalement débridée : repousser des limites tant “ artistiquement ” que physiquement ; de là, la fascination pour le tatouage, le piercing (qui a vraiment fait son apparition “ publique ” dans ce milieu de “ l’indus ”), puis, de façon parallèle, il a fallu donner un peu plus de cohérence à tout cela et l’on a pris pour références Aleister Crowley, Austin Osman Spare, le shamanisme … mais l’amalgame n’a pas de valeur proprement spirituelle. Je crois que, finalement, à part quelques rares exception, tout cela à pris l’apparence de ce que l’on cherchait à éviter : un intellectualisme morbide.

Pour ma part j’ai vite pris mes distances avec ce domaine car avec René Guénon et Julius Evola j’avais trouvé une réelle vision du monde, intégrale et intégrée, en lieu et place de toutes ces idées ou théories hétéroclites et morcelées. Vision qui, elle aussi, évidemment, tourne vite, très vite, en système clos. Disons, tout de même, que toute cette agitation m’a donné les armes faites pour m’en séparer; néanmoins je retiens nombre d’éléments positifs de cette période, j’y ai fait un apprentissage que je n’aurai pu faire ailleurs … mais je crois vraiment, intimement, que je n’ai fait que découvrir ce que je devais découvrir. Comme je l’indiquais précédemment je ne crois pas en une quelconque “ évolution ”, il me fallait seulement écarter un certains nombres de voiles recouvrant l’essentiel.

Comment êtes vous passé de l’“ indus ” à l’orthodoxie et au royalisme  ?

Posé en ces termes le passage semble assez “ abrupt ”, en effet, mais on ne passe pas de “ l’indus ” à l’Orthodoxie, le premier est un style musical moderne, la seconde une voie spirituelle, en outre, il n’est pas interdit, ou exclut, d’être Orthodoxe et de faire de la musique “ industrielle ” ou autre, par conséquent, je préfère ne pas dire que je suis “ passé ” de l’un à l’autre … J’ai toujours été chrétien, bon gré mal gré parfois, ce n’est que trop vrai, mais, néanmoins, BAPTISÉ, je le suis depuis l’âge de deux mois et je n’ai jamais cessé de l’être … Là encore, il m’a fallu traverser un certain nombres “ d’épreuves ” et passer à travers moults voiles pour le redécouvrir. Nous sommes, là, face à un domaine intérieur qui ne se dévoile pas si aisément, quand bien même le voudrions-nous.

Sans doute, fallait-il que je passe par une forme particulière de “ renoncement ”, de rejet, de “ dénudation ” pour me trouver, ensuite, capable de dévoiler, à mes propres yeux, l’intériorité de la tradition qui m’avait vu naître. Il me fallait épuiser un certain nombre de possibilités d’ordre, je dirais, “ inférieures ”, creuser un vide, une distance, un écart, oui un écart à combler ensuite, ou pas … Très concrètement, bien sûr, l’œuvre de René Guénon n’est pas étrangère à cela, mais, et nous sommes nombreux à l’affirmer, elle ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà, intimement. A l’heure actuelle je n’ai pas fini de lire et d'étudier l’œuvre de René Guénon, et je ne pense pas le faire dans l'immédiat, et pourtant je suis chrétien, je dirais donc qu’il y eut, dans mon cas, collaboration de la tradition, de la Grâce et de l’œuvre écrite de René Guénon… une vraie synergie. En somme, la lecture de Julius Evola m’a poussé à investir de manière privilégiée le champ des traditions polythéistes quand celle de René Guénon m’a assuré et stabilisé dans la tradition qui, toujours, fut la mienne. Le premier m’a conduit vers certaines hauteurs intellectuelles et éthiques de la Tradition, le second m’a réellement ouvert les voies d’une spiritualité traditionnelle vivante même si, à dire vrai, cette ouverture se fit en réaction à certaines de ses options doctrinales, et même, spécialement, contre celles-ci. Il m’a aussi donné accès à une méthode intellectuelle de discernement et aux outils primordiaux que sont les symboles.

Concernant mon attachement au Roi, je crois pouvoir dire également, que je l’ai toujours ressenti au fond de mon cœur. Tout enfant, je ne rêvais ni à la république ni à la Nation, ni à la Patrie, pas même au Pays, mais, bel et bien, au Royaume. Avançant en âge, il m’a semblé de plus en plus évident que mon cœur d’enfant avait bien raison, qu’il était, comme disent les Anglais, “ à la bonne place ”. C’est une chose que j’ai très rarement évoqué pour la bonne raison que cela ne me semblait pas essentiel, surtout à notre époque. Encore aujourd’hui, je ne choisis aucun prétendant, ce n’est pas à moi de le faire mais, selon moi, à Dieu seul, comme Il l’a déjà fait, la personne, le lieu et l’heure, ma seule action en tant que royaliste est donc d’essayer de me tenir prêt …Ainsi, vous le constaterez, je ne pense pas être passé de quelque chose à autre chose, il s’agit de domaines différents, il n’y a donc là rien de très impressionnant. Le plus curieux, peut-être, serait de se dire qu’un Orthodoxe royaliste “ baigne ” dans les eaux troubles de la scène musicale dites “ industrielle ” … ?

Pourriez vous développer votre conception du royalisme ?

Elle est la plus simple et la plus banale qui se puisse trouver. Je ne sépare pas le Roi du Roi des Cieux, j’acquiesce à l’idée qui veut que “ le roi de France est le Lieu-tenant du Christ ” …; mais dans le strict domaine temporel ...

Que pensez vous du néo-paganisme développé par des groupes ou des acteurs de la scène europaïenne/dark folk/indus ?

Je pense que la majorité de ces groupes ne sont que des “ poseurs ”, ils suivent une mode que d’autres font et certains ont trouvé là-dedans un véritable filon, mais on ne sort pas de l’esthétique et du discours creux ou très intellectuel (rationnel). Pour quelques-uns, cela peut aller jusqu’à un véritable engagement ; ils me semblent tout de même assez rares. Et, quand bien même s’engageraient-ils, je crois que leur néo-paganisme n’est que l’une des formes de l’apostasie généralisée, une pseudo-spiritualité pour les enfants de “ laïcards ” militants, pour quelques poètes romantiques blasés par le néo-réalisme et pour des philosophes en manque de “ divin ” qui craignent de sacrifier leur liberté, cette liberté qu’ils croient avoir durement gagnés en s’affranchissant de la “ tutelle ” de la religion … En clair, le néo-paganisme restera toujours ce qu’il est et ne sera jamais une véritable tradition spirituelle puisqu’elle est faites de main d’homme …, il est, en outre, un mouvement entièrement moderne, donc, strictement non-traditionnel. Il ne m’appartient pas d’analyser ce qu’il représente chez les jeunes Européens d’un point de vue sociologique, politique ou psychologique, mais, de mon expérience passée je peux vous dire que, spirituellement, il serait absolument nul et désastreux, s’il n’était, pour quelques très rares personnes, l’occasion de rencontrer les noms de René Guénon, Julius Evola ou Ananda Kentish Coomaraswamy … quant à ce qu’ils feront de cette occasion … il paraît qu’elle fait le larron ; alors …

Votre intérêt pour le celtisme est-il lié à une période néo-païenne de votre vie ?

Non au contraire, je n’ai véritablement commencé à étudier la tradition celtique qu’après avoir rejeté toute sorte de tentation “ néo-païenne ”. Je n’ai jamais vécu et affirmé un néo-paganisme quelconque mais il est vrai que, des années durant, j’ai mis de côté mon attachement au christianisme à cause de mon intérêt pour les traditions pré- ou non chrétiennes, Odinisme, Hindouisme, Islam … Cet intérêt, très profond, et très fort, était essentiellement intellectuel au sens “ rationaliste ” du terme, il s’agissait, en définitive, d’érudition. Une certaine curiosité qui me poussait à aller voir toujours plus près. Aussi, la foi ayant reflué en moi, j’étais assez libre et offert spirituellement à toutes sortes de suggestions. Il m’aura fallu environ sept années de débats personnels, et avec des amis proches, de questionnements douloureux, de méditations mais aussi d’études, pour, finalement, revenir à mon point d’origine, mais, sans aucun doute, plus riche.

Ces incursions à proximité du “ camp néo-païen ” m’ont permis de découvrir bien des éléments que j’aurais, sans cela, ignorés. Aujourd’hui, je ne crains pas de dire que, pour comprendre intérieurement les grandes traditions pré-chrétiennes, il est préférable de ne pas être “ néo-païen ” … ce courant est intimement lié à la modernité et à ses différents courants de pensées, il est sclérosé par toute sorte d’idéologies et par les luttes de celles-ci entres elles … à son origine même il est un mouvement typiquement moderniste, en quoi il rejoint les pseudo-fondamentalismes.

Il me semble que vous avez une approche du celtisme assez similaire de celle de Michel Raoult1. Est-ce exact ?

Certainement pas, pour la simple et bonne raison que Michel Raoult professe ouvertement une certaine “ perpétuation ” de la tradition celtique à travers les “ conventicules néo-druidiques ” … ce que je tiens pour une absolue absurdité. C’est non seulement méconnaître la plus simple histoire des religions mais c’est aussi nier toutes les traditions qui reconnaissent la doctrine des cycles pour fondamentale, comme ce fut le cas pour la tradition celtique. C’est aussi faire la preuve d’une incompréhension invraisemblable de ce que recouvrent exactement l’ésotérisme et les doctrines initiatiques. Nous retrouvons là tout ce que René Guénon a superbement mis en lumière, à savoir les différences essentielles, qu’il convient de ne pas perdre de vue, entre l’ésotérisme et l’occultisme.

En outre Michel Raoult a déclaré que le druidisme serait une “ religion naturelle ”… ce qui est à l’exact opposé de mon approche. D’une part, et je citerais, au passage, William Blake : “ il n’existe pas de religion naturelle ” et, d’autre part, il n’est, dans la tradition celtique, presque jamais question de “ druidisme ” ou bien dans des textes tardifs, donc chrétiens, où le terme s’applique à la sorcellerie. Lorsqu'il apparaît un terme que l’on pourrait, éventuellement traduire ainsi, dans des textes plus anciens (ainsi dans la version du Book of Leinster de la Táin Bó Cúalnge, « druidecht, druidechta, druídechta »), il désigne, en fait, les seules techniques magiques des druides, partie inférieure de la tradition, et non la doctrine dans son ensemble … Vous conviendrez, à ce bref aperçu, que je suis très loin de partager votre point de vue quant à la similarité de nos approches …

Avez vous des liens avec la nébuleuse néo-droitière ?

Je peux avoir des liens, je préfère dire des contacts amicaux ou des affinités avec des personnes pas avec des nébuleuses, le terme me paraît inutilement négatif. Sans doute, ai-je quelques amis, qui ne sont pas insensibles aux théories de la Nouvelle Droite, comme d’autres s’enthousiasment pour le courant alter-mondialiste, mais, en amitié, je ne sache pas qu’il soit nécessaire ou utile de partager toutes les idées de ses amis …, en outre, juger quelqu’un à l’aune de ses amitiés ne me semble pas être un procédé très digne ni très honorable …

Puis-je vous considérer comme un “ traditionaliste de la Nouvelle Droite ” ? Etes-vous proche de ceux-ci ( ou d’ancien néo-droitiers pérennialistes) ?

Absolument pas ! D’une, je ne me considère pas comme un “ traditionaliste ”. Etant chrétien je n’ai pas même à l’être : je vis la tradition qui est la mienne, dans laquelle je suis venu au monde, j’essaie de la vivre intérieurement et intégralement en l’étudiant et en la pratiquant dans toute son ampleur … donc également dans son “ aspect ” ésotérique, alors peut-être peut-on me considérer comme étant un ésotériste, ce que, toutefois, je ne revendique à aucun titre ; mais dans tout les cas, comme je l’ai déjà dit, la pensée, et plus encore la Sagesse ne peut être assujettie aux cadres restreints et très étroits du mental, or, ces appellations, ces “ étiquettes ” s’il faut bien s’en servir pour pouvoir parler, ne désignent qu’une infime partie de la pensée traditionnelle … De deux, je ne crois pas que la Nouvelle Droite soit un vivier de traditionalistes, si certains de ceux-là ont pu publier dans les revues et magazines de la ND cela est du, je crois, à l’ouverture d’esprit des comités de rédaction non pas à l’existence d’un “ courant ” traditionaliste au sein de celle-ci … mais ce n’est là que mon point de vue.

Quelle est votre conception de la Tradition? Puis-je vous considérer comme un "vrai conservateur", c'est-à-dire sur les plans politique, social et spirituel ?

En tant que chrétien j'attends non pas la conservation de ce monde, Création divine, certes, que j'aime et admire pour cette raison, parce qu'elle me parle de Dieu et de Son œuvre , parce qu'elle m'invite à me faire modestement, avec humilité, son imitateur, mais création chutée d'autre part, dont le régent est le Prince de ce monde ... ainsi, mon espérance se tient dans le Second Avènement, la Parousie, la venue du Paraclet, la Résurrection et l'établissement de la Jérusalem Céleste, et cette œuvre n'adviendra pas de mains d'hommes, nul ne peut hâter le plan de la divine Providence ... et rien de ce qui est aujourd'hui ne sera plus, tout et tous seront transfigurés dans le Christ et son Esprit Saint, le divin Paraclet ... que voudriez-vous donc que je veuille, moi, conserver ?

Pour le reste je ne peux que prier pour que mes frères se fassent plus proches du Seigneur et de Sa Volonté, pour que tout ce que le monde inflige comme blessures aux hommes et aux femmes de bonne volonté se fasse moins cruel ... pour tout le reste, les idées de droite comme de gauche (avec leurs extrêmes et leurs centres ...), ce ne sont que des idées "traditionnelles" déviées, déformées et défigurées. Il ne saurait être question de vouloir les conserver, mais, au contraire, dans une certaines mesure, et toujours en ayant en vue que, si l'on agit positivement ce n'est qu'avec le concours de la Grâce, au contraire donc, de les rectifier, de restaurer leur vrai visage. Ainsi, peut importe que les idées viennent de droite ou de gauche, plus elles sont en adéquation avec les principes immuables de la "tradition", meilleures elles sont. Mais, pour l'heure actuelle, autant dire qu’on ne saurait trouver de telles idées ni à droite ni à gauche.

A mon sens, aucune critériologie politique ou sociologique ne peut cerner, définir ou encadrer la réelle pensée traditionnelle ou pérennialiste, elle échappe à tout les critères modernes, justement... Que tel ou tel de ses "représentants" (et la représentation contient en elle-même un principe de dissemblance) ait choisit, à un moment ou à un autre, de se tenir à plus ou moins grande proximité d'un bord ou de l'autre, cela concerne l'individu et lui seul. Qu'a un moment X ou Y la "tradition" ait été mieux entendue d'un côté que de l'autre, cela dépend des contingences seules, et, peut-être, aussi, de l'adéquation (ou de la plus ou moins grande distances), avec les idées originelles, comme signalé précédemment, de telles ou telles théories (théories qu'il convient de distinguer des doctrines) ...

Vous considérez-vous comme faisant partie de la droite radicale ? Vos textes sont publiés chez des éditeurs “ marqués ” comme Pardès, Dualpha, …. ?

Ce qui “marque” doit être ce que l’on fait, nullement chez qui on le fait, sauf, naturellement, si une quelconque compromission influe sur la façon de faire et sur le fond de celle-ci. Les éditeurs aujourd’hui “marqués”, comme vous dites, se trouvent bien souvent correspondre à ce que j’ai avancé tout à l’heure en évoquant les capacités de “tolérance”, l’ouverture d’esprit et la liberté de pensée indomptée. Les éditeurs que vous nommez, pour ce qui les caractérise positivement, font preuve de cet esprit… Maintenant, comme je m’intéresse plus aux réalisations qu’à ceux qui les promeuvent, je vous avouerai que certaines publications de Pardès me semblent consternantes et, malheureusement, même chez les éditeurs les plus scrupuleux à certains égards, nous pouvons trouver des productions médiocres, tellement médiocres qu’elles ne seraient pas désavouées par certaines maisons d’édition moins “marquées”, je veux dire “de gauche”. Je me permettrai de vous faire observer que chez Pardès, vous rencontrerez aussi bien des auteurs issus de l’extrême droite, que d’autres venus, quant à eux, de l’extrême gauche… Au fond, peu m’importe. La question n’est évidemment pas la “droite” ou la “gauche”, mais le parti pris par rapport au monde moderne et à son entreprise de déshumanisation. Alors, disons qu’il y a des éditeurs qui sont “marqués” parce que anti-modernes… Mais nul de ceux qui se posent comme leurs adversaires ne consent à traiter le véritable facteur d’opposition; ce qui est normal puisque, alors, le problème des compromissions ne pourrait que s’imposer… Or, qui est compromis — de manière “radicale” — avec le système, quel que soit le système? Voilà la question qui me semble réellement pertinente… Je vous demande d’y répondre vous-même et de dire si vous vous considérez comme “faisant partie” de quelque chose…

1 Michel Raoult s’est intéressé au celtisme après une quête spirituelle qui le fit rencontrer une Petite Eglise mélangeant orthodoxie et druidisme [Cf. T. Jigourel, Les druides, op. cit., pp. 105-107] de fait, il existe en France une tradition de christianisme celtique apparue au XIXe siècle. Ainsi, Jean Sicart/Yann brekilienn développe une conception similaire.