Descendant l'esplanade en pente douce qui mène au centre Pompidou, Chérie de Sammy et moi-même avons été attirés par un attroupement de personnes assises, assistant vraisemblablement à un spectacle. Nous approchant, nous nous rendons compte qu'il s'agit d'un artiste de rue. Pantalon noir, chemise blanche et bretelles qui s'avéreront très utiles pour tous les effets de comique visuel qu'elles permettent, il prend à partie le public, imitant les touristes asiatiques, singeant voire poursuivant les malheureux qui passent dans son périmètre et regroupant autour de lui un public nombreux auquel nous nous joignîmes.
Alors que nous avions finalement décidés de nous assoir, il s'avise de notre arrivée et s'approche en vociférant, désignant un emplacement au sol : asseyez-vous LA ! Noooon ! Làààà ! déclenchant de nouveaux rires de la foule. Amis des arrivés discrètes, passez votre chemin ! Le spectacle continue, ou plutôt commence, car il se met bientôt à expliquer qu'il va sélectionner parmi le public des collaborateurs (vieille ficelle pour s'assurer l'attention de l'auditoire) pour participer à la réalisation d'un épisode de Dallas à la chinoise... Il choisira donc successivement un italien barbu qu'il ornera d'un nunchaku et un tibétain qui prendra la fuite dès qu'il aura le dos tourné, qu'il remplacera aussi sec par un américain chauve (sans doute pour contrebalancer la barbe). Le malheureux se verra affublé d'un béret, d'un revolver découpé dans du carton et d'une française qui jouera l'héroïne de ce street-soap opera.
Il adjoint à ce petit monde un clapman -c'est celui qui est chargé de gueuler (c'est le terme le plus approprié) le numéro de la scène entre chacune des prises virtuelles- auquel il projette de faire exécuter sur les pavés des bonds de cabri et autres fantaisies gracieuses et aériennes. La première victime sur laquelle il avait primitivement jeté son dévolu s'excuse, remonte une jambe de son pantalon et dévoile une attelle qui l'empêchera de faire toutes les choses grandes et magnifiques que l'on attend de lui. Qu'à cela ne tienne, notre metteur en scène hystérique va choisir quelqu'un d'autre dans le public... Inutile de faire durer plus longtemps un artificiel et vain suspens, c'est bien évidemment vers moi que son index tendu va se pointer !
Votre serviteur, agrémenté pour la circonstance d'un chapeau trop petit (le maître de cérémonie aura sans doute mal évalué la taille de ma caboche) a par conséquent fait l'andouille pendant vingt bonnes minutes devant un parterre hilare et bigarré, sautant, courant, traversant la "scène" à pas chassés en tournant le dos au public, ou regardant mon temporaire et hilarant chef avec une frayeur feinte. J'avoue que j'ai pris un plaisir certain à en rajouter au passage ce qui me valût force mimiques et autres moqueries de l'artiste, mimant tantôt l'homme ivre, tantôt le fou, tantôt le fumeur d'herbes exotiques... Dans mes moments d'inactivité (je n'avais finalement qu'un rôle fort modeste) j'ai observé la fascinante facilité qu'ont les gens -moi compris- mûs par le charisme du clown et la pression du groupe, à obéir aux ordres les plus incongrus que l'on peut leur donner.
Après ce quart d'heure de gloire improvisée, nous nous dirigeons enfin vers le musée convoité, devant lequel nous serons restés assis à peine plus longtemps que prévu. La prochaine chronique ne pourra dès lors qu'être parisienne et artistique. Et un petit peu pluvieuse. Mais les grands artistes ne se soucient pas de considérations aussi mesquines que l'eau tombant du ciel...