Sabah, Bornéo
J'ouvre la revue à côté du sac à mal de l'air. Elle s'intitule « Sabah », la province malaisienne que nous visiterons dans les prochains jours.
De l'autre côté de l'allée, Tony lie la même revue que moi. Nos faces changent spontanément. On se regarde, effrayé. Dans quoi nous sommes-nous embarqués?
Bornéo est la troisième plus grosse île au Monde après le Groenland et la Nouvelle-Guinée. Elle est aussi un des endroits à la biodiversité la plus intense de la planète. Terre d'évolution de plusieurs espèces endémiques d'animaux et de plantes, la jungle est attirante pour les amants de la nature.
Une carte de Sabah est fournie dans la revue et c'est ce qui nous fait peur. La ressemblance avec la carte d'un parc d'attractions est désespérante.
Une 'tite montagne pour les 'tits treckeux.
Une 'tite forêt pour amuser la 'tite famille.
Une 'tite île le 'tit couple en lune de miel.
En grand titre : « Romantic Sabah ». La nouvelle destination tendance pour les amoureux - de la nature? - qui vivent la jungle dans des bungalows climatisés avec salle de bain privée.
Notre épopée sur « Bornéo Wonderland » commence à Kota Kinabalu. Rapidement, on se rend compte qu'il n'y a rien à foutre dans cette ville, sinon que de manger indien dans un restaurant qui vend des médicaments contre les brûlements d'estomacs à côté de la caisse. Nous prenons ensuite un bus jaune de la compagnie « Sida Express » jusqu'à Sandakan où nous logeons dans un hôtel trouvé par hasard. Vue sur la baie polluée et face au quai où, à la nuit tombée, les rats et les coquerelles se font compétition.
« Romantic Sabah ».
La revue avait raison. Nous venons de mettre les pieds dans l'autoroute de Sabah. Le tourisme est canalisé au plaisir des vacanciers qui « n'aiment pas quand c'est compliqué » et au désarroi de tous les voyageurs indépendants.
On se ramasse donc dans un petit lodge en face des grands pour cinq jours. Le matin et le soir, nous avons le droit à une excursion en chaloupe pour voir la faune au bord de la rivière. Et bien que nous restons trois nuits de plus que le « package » normal, on nous fait faire le même trajet de bateau ; pas question de changer de direction ou de pénétrer un affluent.
Heureusement que le guide nous apprend beaucoup sur les animaux que l'on voit par ces compléments d'information plus qu'intéressants :
« Big bird »
« Elephants »
« Macaques »
« Probocis monkey »
Et il réussit même à manquer de gaz. Et fume à côté du bidon.
Puis le soir, nous avons le droit à une marche de nuit. C'est notre chance de voir des serpents, des araignées, des scorpions et si nous sommes très chanceux, des fauves. La randonnée dure 45 minutes et se résume à se promener autour du campement, à quelques centaines de mètres du village voisin. Heureusement que notre guide n'est surtout pas saoul et possède une connaissance sans fin de son environnement. Nous aurons tout de même vu un « big tree » et trois « sleeping birds ».
Déçus, on demande au guide pourquoi nous n'y allons pas plus longtemps et plus profondément dans la forêt et il nous répond que c'est à cause du danger. Mais, que l'on peut y aller sans lui et il nous prête sa lampe de poche ! On découvre rapidement que la forêt autour du camp est rapidement limitée par les palmeraies.
Nous sommes sur le long de la rivière Kinabatangan qui par chance se trouve maintenant dans « le cœur de Bornéo », une zone nouvellement protégée grâce à la « World Wide Fund » et la lueur de volonté des gouvernements d'Indonésie, du Brunei et de la Malaisie.
Ces derniers viennent probablement de se rendre compte que leur île commune est mal en point.
Si on regarde un peu en arrière, on comprend facilement la situation. Dans les années '70, on y découvrit quatre espèces d'arbres à croissance rapide ; parfaits pour le commerce du bois. De l'argent vite fait à court terme sans contrôle adéquat des techniques de reboisement, quand il y en a. En même temps, les sols dénudés sont transformés en palmeraies, car l'huile de palme est lucrative. Le marché est sans cesse grandissant puisque l'Inde, la Chine et le Pakistan sont d'excellents clients. Ajoutez à cela quelques feux de forêts en 1997 et 1998 et vous vous retrouvez, à l'heure actuelle, avec près de 50% de la forêt disparue.
Le verre à moitié vide diraient les pessimistes. Moi, je dirais davantage : le verre à moitié plein. Mais de quoi ?
Plein de problèmes, ni plus ni moins. C'est à bord du « Sida Express » que j'ai été choqué. Des palmeraies à perte de vue de part et d'autre de la route. Seulement quelques îlots de forêt vierge qui se comptent sur les doigts de la main.
Nul besoin de fouiller loin pour se rendre compte que les conséquences de la déforestation ne se limitent pas à la perte d'habitats pour les 'tits oiseaux. Les solutions sont quant à elle beaucoup plus difficiles à trouver. D'un côté, la population grandissante a besoin de sol pour l'agriculture et d'emplois. Le tourisme pourrait être une partie de la solution, mais est un couteau à double tranchant.
La notion d'éco-tourisme est trop souvent mal comprise et particulièrement ici, sur la rivière Kinabatangan, où j'ai franchement eu honte d'être un touriste au moment où les éléphants sauvages sont sortis des feuillages pour s'abreuver. À peine cinq minutes plus tard - merci aux téléphones cellulaires -, une vingtaine de bateaux remplis de touristes sortis des lodges et prenaient d'assaut les paisibles animaux. Sans même se soucier de leur laisser leur espace vital, j'ai vu des chaloupes foncer plein gaz sur la rive pour satisfaire le client en chemise dans les pantalons qui veut une photo de plus près s'il vous plaît. Mais, qui ne veut pas investir dans un appareil qui « zoom ». Un client heureux dans un éco - mon derrière - lodge consommera sûrement plus de bière le soir venu en rêvant du retour au bureau où il dira à ses collègues qui ne sont jamais sortis de chez eux : « lorsque j'étais dans une jungle à Bornéo, j'ai vu des éléphants sauvages et ma blonde était contente ».
« Romantic Sabah ».
-Will