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« Complices de l’inavouable », de Patrick de Saint-Exupéry

Publié le 05 mai 2009 par Encres Noires

« Complices de l’inavouable », de Patrick de Saint-ExupéryCe n’est pas le livre d’un auteur africain, ce n’est même pas un roman. Mais, venant de refermer Complices de l’inavouable (2009) de Patrick de Saint-Exupéry, je ne pouvais faire l’impasse sur cet essai implacable dont le sous-titre est : La France au Rwanda. Tout un programme…
Le Rwanda, Patrick de Saint-Exupéry, alors journaliste au Figaro, y était en 1990 puis en 1994, pendant le génocide qui fit quelque 800 000 morts entre le 6 avril, date de l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, et le 22 juin, date de lancement de l’opération Turquoise. Dans Complices de l’inavouable, il explique la politique secrète menée au Rwanda avant, pendant et après le génocide, par quelques responsables des pouvoirs politique et militaire français. Ou comment la France forma, arma et protégea les tueurs.
A cette époque, François Mitterrand est président de la République, Edouard Balladur est Premier ministre, Alain Juppé est aux Affaires étrangères, François Léotard à la Défense. Ces noms s’étalent sur la couverture du livre, accompagnés de beaucoup d’autres : le juge Jean-Louis Bruguière, le gendarme Paul Barril, le journaliste Pierre Péan, mais aussi Hubert Védrine, Jean-Christophe Mitterrand… Autant de « complices de l’inavouable », autant de noms que pourrait salir la vérité sur le rôle de la France dans le génocide rwandais, autant d’acteurs d’un « jeu de cache-cache » qui n’a que trop duré.
Complices de l’inavouable est une réédition revue et augmentée de L’Inavouable, la France au Rwanda, paru en 2004. Fruit d’un travail de dix ans, d’une enquête qui a mené l’auteur des collines rwandaises jusqu’aux cabinets ministériels français, ce premier ouvrage a eu pour élément déclencheur une phrase prononcée en septembre 2003 par Dominique de Villepin sur RFI, une phrase mentionnant « les génocides » rwandais.
« Les génocides » rwandais. Ce pluriel est insupportable pour l’auteur, car il cache une logique de négation du génocide perpétré par les Hutus contre les Tutsis. Une logique qu’ont pourtant faite leur le juge Bruguière – dont le rapport sur l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, sorti en 2006, met en cause des membres du Front patriotique rwandais (FPR, tutsi) dont l’actuel président rwandais Paul Kagame – et le journaliste d’investigation Pierre Péan – auteur de Noires fureurs, blanc menteurs (Mille et une nuits, 2005), dans lequel il réfute les accusations portées contre la politique française au Rwanda, et du Monde selon K. (Fayard, 2009), dans lequel, selon Patrick de Saint-Exupéry, le journaliste cherche à « carboniser » Bernard Kouchner, l’actuel ministre des Affaires étrangères, coupable aux yeux de Péan d’être l’un des rares hommes politiques à reconnaître que la France a commis au Rwanda « une erreur criminelle ».
Ce n’est pas un roman, disais-je, mais cet essai, ce réquisitoire est doté de qualités littéraires certaines. Complices de l’inavouable est écrit sous la forme d’une longue lettre ouverte à Dominique de Villepin, que Patrick de Saint-Exupéry appelle « Monsieur » et qu’il prend par la main et entraîne avec lui, en même temps que le lecteur, « quelque part, là-bas, il y a longtemps ». Soit dans le Rwanda de 1994.
Ensemble, le 1er juillet, sur la colline de Bisesero devenue un charnier à ciel ouvert, ils voient un officier du GIGN portant une vareuse de l’armée rwandaise, s’effondrer, en pleurs. Le doute, le soupçon, commencent à s’instiller en eux. C’est le début d’une quête qui les mènera à Kibuye, au bord du lac Kivu, parmi les soldats d’une opération Turquoise dite « humanitaire » mais dotée de moyens militaires sans commune mesure avec sa prétendue mission ; à Goma, en République démocratique du Congo, enfer peuplé de zombies où se sont réfugiés, sous protection française, les génocidaires ; à Paris, bien plus tard, à l’Assemblée nationale, dans les débats de la mission d’information sur le Rwanda (1998). Et de recueillir des témoignages, de rassembler les pièces du puzzle, pour démonter la coupable position de bienveillance du pouvoir français à l’égard des extrémistes hutus, génocidaires certes, mais amis de la France : en un mot, la « famille ».
Derrière la mise en scène, derrière le récit, derrière l’écriture, restent les faits : précis, effarants, accablants.
Complices de l’inavouable
de Patrick de Saint-Exupéry
Les Arènes, 2009 (réédition)
314 p., 19,80 euros
« Complices de l’inavouable », de Patrick de Saint-ExupéryPatrick de Saint-Exupéry est cofondateur et rédacteur en chef de la revue XXI, après avoir été grand reporter pendant vingt ans au Figaro. Il a reçu le prix Albert-Londres, le prix Mumm et le prix Bayeux des correspondants de guerre.
« Complices de l’inavouable », de Patrick de Saint-Exupéry
A lire également :
La trilogie de Jean Hatzfeld, parti à la rencontre des Rwandais au lendemain du génocide. Dans le premier tome, il retranscrit les récits des rescapés tutsis ; dans le deuxième il donne la parole aux tueurs hutus emprisonnés ; dans le troisième, il revient à Nyamata alors que, au nom d’une politique de réconciliation, tueurs et survivants sont condamnés à cohabiter. Dans le nu de la vie, Seuil, 2000 Une saison de machettes, Seuil, 2003 La Stratégie des antilopes, Seuil, 2007

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