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Une nouvelle fois, l’écrivain afrikaner André Brink prend le pouls de la société sud-africaine, trente ans après le somptueux roman qui l’avait classé au Panthéon – vivant – des auteurs engagés : Une saison blanche et sèche (1979), œuvre dans laquelle il dénonçait les lois raciales alors en vigueur en Afrique du Sud. A l’heure de la « nation arc-en-ciel », les enjeux ont changé mais, de façon plus insidieuse, la couleur compte toujours.
Dans le miroir (2008), suivi de Appassionata, met en scène des personnages de la classe intellectuelle, bien-pensante, blanche et aisée du Cap – des « bobos » sud-africains. Steve est un architecte qui a « réussi » : talentueux, ambitieux, séducteur. Une femme magnifique – journaliste –, deux fillettes douées – apprenties pianistes –, et une jeune fille au pair alléchante – allemande. Il mène une vie satisfaite, sans aucune remise en question, jusqu’au matin où, dans le miroir de la salle de bain, il découvre que sa peau est devenue noire. Noire, de la tête aux pieds.
Commence alors une journée de doute. Comment les autres vont-ils le percevoir ? comment vont-ils réagir ? au boulot ? à la maison ? Et lui-même ? qui est-il vraiment ? Le simple aperçu de se son reflet éveille en Steve une profonde quête d’identité ; il s’observe, comme au-dehors de lui-même, d’un point de vue dont il ne sait s’il est celui de l’ancien ou du nouveau, du vrai ou du faux Steve, changer d’attitude en fonction de la seule certitude – et encore, en est-il sûr ? – qu’il a changé d’apparence. Lui qui croyait en la « nouvelle Afrique du Sud », celle de la diversité née des cendres de l’apartheid, le voilà qui voit tout sous un jour nouveau.
Dans ce roman, André Brink ne cherche à faire ni le procès ni l’apologie de l’Afrique du Sud post-arpatheid pour laquelle il s’est tant battu. Il se contente, avec subtilité, de soulever un coin d’hypocrisie, de révéler ce qu’on pourrait appeler une « conscience de peau » qui dicte une certaine vision des choses, dans un pays marqué par des années d’une ségrégation raciale radicale – mais serait-ce différent ailleurs ? Il ressort de Dans le miroir une terrible impression de justesse, l’auteur ne forçant jamais le trait – hormis une odieuse et libératrice scène de huis clos où surgissent tous les non-dits enfouis sous la bonne figure de façade de la société blanche.
Dans le miroir est aussi un roman sur l’apparence, l’illusion, le regard, la tromperie. Cet aspect de l’œuvre prend toute son ampleur dans le second récit, Appassionata. Dans le même milieu – toujours blanc, toujours aisé, la touche artistique en plus –, Derek, pianiste d’une cinquantaine d’années, coureur de jupons invétéré, est pris de fascination pour une intouchable soprano, Nina. Histoire d’un amour tourmenté et destructeur, dans laquelle apparaissent parfois les personnages de Dans le miroir, alors que Derek et Nina étaient eux-mêmes évoqués dans le premier récit…
A travers ces chassés-croisés, la vérité se transforme selon qui la raconte – Steve et Derek sont les narrateurs de leurs propres histoires –, au fil des anecdotes, des dialogues et des points de vue. Tout comme le regard de Steve était brouillé par le reflet que lui renvoyait le miroir dans le premier récit, Appassionata sème le trouble dans l’esprit du lecteur, qui ne sait plus à qui se fier. Qu’il se laisse donc guider par ce formidable conteur qu’est André Brink.
Dans le miroir suivi de Appassionata
Titres originaux : Mirror et Appassionatad’André Brink
traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Bernard Turle
Actes Sud, 2008
215 p., 20 euros
Lire aussi les impressions d'André Brink à la veille des élections d'avril 2009 en Afrique du Sud, qui ont vu la victoire de Jacob Zuma : "L'immense déception d'André Brink"
Une autre chronique de Dans le miroir sur le blog Les Livres de Nathalie