Par Liza Rives
On a vu, chez Alain Mabanckou par exemple, ou plus encore chez Léonora Miano, que la question de la couleur de peau pouvait être – et était souvent – au cœur de la littérature africaine, notamment chez les auteurs vivant loin de l’Afrique. Sous un angle tout autre – scientifique et non littéraire –, l’historien Pap Ndiaye s’est penché sur cette « question noire » en France. Pour « Encres noires », Liza Rives, diplômée de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialisée en sociologie de l’immigration, a lu son essai, intitulé La Condition noire. Résumé et commentaires.
Mais que signifie l’expression « les Noirs en France » ? Pap Ndiaye la définit avec beaucoup de clarté, remettant en cause toute notion qui pourrait faire le jeu d’arguments ethnicisants. Etre noir, selon l’historien, ce n’est pas le fait de partager une culture et encore moins une nature, mais l’expérience commune d’être considéré comme un Noir. Etre noir est ainsi le résultat d’une expérience sociale.
Dans une perspective de déconstruction, il explique par ailleurs, avec beaucoup d’intelligence, toutes les notions utilisées dans son titre. Pourquoi parle-t-il de minorité noire plutôt que de communauté par exemple ? Parce que la communauté, notion particulièrement utilisée dans la société américaine, encadre un groupe politiquement organisé et institutionnellement reconnu et qu’être noir en France métropolitaine n’a pas la même implication. Être noir en France ne reflète pas des liens culturels communs, ni un choix identitaire, encore moins une reconnaissance institutionnelle, mais une assignation identitaire. Être noir en France, c’est donc le partage d’une expérience sociale par un groupe : la minorité.
La référence à la recherche américaine est essentielle dans cet essai. Outre-Atlantique, les sciences humaines ont depuis longtemps étudié les processus de catégorisation des Noirs, alors qu’en France l’ouvrage de Pap Ndiaye reste précurseur dans ce domaine. En effet, en France l’absence d’évaluation quantitative de cette population, la crainte de l’essentialisation d’un groupe, la place centrale de la question des classes sociales dans les sciences humaines ont longtemps passé sous silence, entre autres, l’étude de la population noire.
Malgré ces cadres de pensée traditionnels de la recherche française, la comparaison avec le développement des sciences humaines américaines relatives à la population noire, ainsi qu’une étude menée auprès d’hommes et de femmes noirs en France, permettent à l’auteur de suggérer de nouveaux champs d’étude à exploiter : le colorisme, l’histoire de la population noire, la construction du racisme anti-noirs ou encore l’histoire et les principes théoriques de la solidarité noire en France. Si la comparaison est un outil qui permet de mettre au jour les ressemblances, elle pointe aussi les dissemblances. Ainsi Pap Ndiaye explique, tout au long de cet essai thématique et non historique, de quelle manière ces objets d’étude, autrement dit les black studies, doivent s’appréhender à travers la spécificité de la société française.
La Condition noire, Essai sur une minorité françaisede Pap NdiayeCalmann-Lévy, 2008370 pages, 21,50 euros