Au lendemain d’une nuit d’orage, deux corps sont découverts sur l’îlot de Kokrini, au bord du fleuve Niger, près de Bamako. Il s’agit de Kouata, le vieux chef, et de sa deuxième coépouse, Nassoumba. Pour les habitants de Kokrini, membres de l’ethnie bozo, cela ne fait aucun doute : ils ont été foudroyés par la volonté de Maa, le Lamatin, le dieu du fleuve, auquel les Bozos sont liés par un pacte depuis des siècles – un pacte brisé.
Pour le commissaire Habib Keita et son jeune inspecteur Sosso, dépêchés sur place, c’est moins sûr. Si Kouata semble avoir succombé à un arrêt cardiaque, impossible de ne pas voir que le corps de Nassoumba présente deux coups de couteau qui n’ont rien ni de naturel… ni de surnaturel. Les deux policiers mènent donc l’enquête et celle-ci les mènera autant à l’origine du crime qu’à la rencontre des coutumes des Bozos, malgré les réticences de ces derniers, qui craignent que cela attire sur eux la colère de Maa. Une nouvelle découverte bienvenue d’une composante de la population malienne, après L’Empreinte du renard (2005), où le commissaire Habib et Sosso menaient leurs investigations en pays dogon.
A travers cette intrigue simplement mais efficacement ficelée, et dans un style sans fioritures, Moussa Konaté réussit le grand écart parfait entre tradition et modernité. La première est bien sûr incarnée par les Bozos, cette ethnie malienne musulmane dont les croyances restent teintées d’animisme et dont les chefs sont toujours respectés des nouvelles autorités politiques du pays. La seconde, c’est le commissaire Habib, éduqué à « l’école des Blancs » : un modèle de rationalité, mais aussi d’ouverture et de compréhension ; un modèle qui, on le découvrira au fil de l’enquête, a aussi ses limites et ses inconvénients.
Le grand écart parfait, disais-je. Pourquoi parfait ? Le dénouement de l’enquête vous le dira. Mais sans rien dévoiler ici, je peux quand même dire que Moussa Konaté répond brillamment à la question qu’on ne manque pas de se poser au fur et à mesure que l’enquête avance : Comment l’auteur tranchera-t-il entre la raison et la superstition ? De ce dangereux exercice d’équilibriste, il sort indemne et sans une crampe. Bref, La Malédiction du Lamantin est une lecture idéale pour occuper quelques heures de l’été.
La Malédiction du Lamantin
de Moussa Konaté
Fayard Noir, 2009
213 p., 15,90 euros
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