116ème semaine de Sarkofrance : le culte du chef, le silence du peuple.

Publié le 25 juillet 2009 par Juan

Les parlementaires partent en vacances. La session s'achève. Pour Nicolas Sarkozy, les congés démarrent mercredi. Il peut partir tranquille au Cap-Nègre, dans la résidence de sa belle-famille. Malgré d'apparentes difficultés, il est parvenu à parfaire son nouveau régime: majorité UMP, sondages, communication, tout est sous contrôle, et le peuple est silencieux.

Les godillots du Parlement

Ces dernières semaines, Nicolas Sarkozy a dû maintenir la pression sur son camp. Cette seconde année parlementaire depuis l'élection présidentielle a été parfois rude. Une partie de la majorité du 6 mai n'y croit plus, mais suit faute d'alternative ou par crainte de représailles politiques. A l'automne, Sarkozy a échoué à faire sauter l'obligation de 20% de logements sociaux par commune. Des voix UMP se sont aussi faites entendre contre le travail dominical, au point de repousser de 6 mois son examen. Des sénateurs centristes ont réclamé davantage de justice fiscale alors que le chômage s'envolait. HADOPI a frisé le fiasco. La loi de programmation militaire 2009-2014, finalement adoptée, a jeté le trouble, avec son extension du secret-défense.
Grâce aux élections européennes, le président français a pu reprendre la main. Lors de cette courte session exceptionnelle, du 1er au 24 juillet, nombre de textes symboliques ou inutiles ont été adoptés. La communication politique a envahi les textes de lois. Côté "rupture", les députés-godillots ont rendu les fonctionnaires plus "mobiles" (on pourra les muter où on veut) et "licenciables" après trois refus de propositions de reclassement. Ils ont également voté le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur. La centralisation des moyens de sécurité, de renseignement et de contrôle est un élément essentiel du dispositif sarkozyen.
Côté communication, le "Grenelle 1" est le plus beau des symboles: une loi d'orientation sur les priorités écologiques de la France, épaisse de 57 articles, qui n'engage à rien mais promet tout. Il a déjà fallu ... plus d'un an pour l'adopter. Le premier texte avait été déposé en juin 2008. L'Etat "favorisera", "incitera", "prévoira". C'est "l'urgence écologique", rappelée en préambule, mais on ne parle ni contrainte, ni financement. Ceux-là peuvent attendre. Même la taxe carbone, une promesse présidentielle depuis 2007, n'y figure pas. Un exemple ? La loi instaure le principe d'une taxe sur le transport routier pour ... 2011, et sans en préciser les modalités, comme s'en est inquiété France Nature Environnement. Sarkozy fait traîner le débat écologique. Il lui permet d'occuper le terrain.
Second symbole, le travail dominical. Nicolas Sarkozy n'est plus à l'écoute de sa majorité. Il veut qu'elle obéisse. Cette semaine, la pression a donc été forte sur les sénateurs centristes et UMP pour qu'ils votent sans broncher ce dernier vestige de la promesse du "travailler plus". Le texte a été adopté, "en l'état", avec 6 misérables voix de majorité. Mardi, le président a aussi rappelé aux dirigeants UMP qu'il voulait un mode de scrutin à un tour pour les futurs conseillers territoriaux. Cette réforme est pour septembre. Elle lui permettra de reprendre le contrôle politique des collectivités locales, majoritairement détenues par la gauche. Ces futurs conseillers siègeront à la fois dans les départements et les régions. Sarkozy prône la prime au leader: un scrutin proportionnel pour les zones urbaines, et un scrutin uninominal en zone rurale. Pour une UMP "majoritaire à 28% des voix", qui n'a plus aucun réservoir de suffrages au second tour de n'importe quelle élection nationale, le scrutin à un tour est évidemment une excellente nouvelle. Et pour affaiblir le parti socialiste, plus affecté par la concurrence centriste ou écologiste dans les grandes villes, un scrutin proportionnel est idéal. La manipulation des sondages ne suffit pas. Il la faut également électorale
Gabegie monarchique ?
Les monarques modestes et économes n'existent pas. Nicolas Sarkozy est un bel exemple. On louera la transparence (relative) qu'il s'est imposé à l'Elysée en laissant la Cour des Comptes auditer ses frais élyséens. Mais c'est pour mieux pour nier à quiconque tout droit à la critique. Cette transparence lui permet de s'afficher en chevalier blanc de la "rupture", contre ses prédécesseurs. Par un laconique "c'était pire avant", une assertion impossible à prouver, Sarko repousse la contestation de ses propres pratiques. La polémique sur les dépenses de l'Elysée s'est ainsi rapidement éteinte. Pourtant, il y avait de quoi discuter. D'après la Cour des Comptes, l'Elysée ne sait pas ce qu'est un appel d'offre. Le code des marchés publics est quasi-systématiquement violé; les frais de déplacements explosent; chaque voyage privé du Président nécessite un accompagnement sécuritaire coûteux, et le Monarque a même dû rembourser 14 000 euros (près de 100 000 francs) de dépenses personnelles injustement payées sur les denirs publics. Mercredi, le magazine Auto Plus se régalait de quelques exemples de dépenses automobiles apparamment injustifiées dans certaines administrations. Même Brice Hortefeux est visé. Son ministère lui aurait acheté deux voitures à 50 000 euros pièce, ce qu'il dément. Jeudi, le Monarque a encore utilisé un jet présidentiel, cette fois-ci pour aller regarder le Tour de France l'espace d'une après midi. Au micro de France 2, il s'est réjoui des performances de Lance Amstrong, un "exemple" dans la lutte contre le cancer. Il a joué de la grosse voix contre le dopage. Il souriait. Le Tour de France, c'est populaire.
Nicolas Sarkozy est très à l'écoute de l'opinion. Trop peut être. Il avait surtout besoin de s'assurer la maîtrise du débat politique. Le matraquage sondagier que les Français subissent depuis deux ans sert à ça. A l'Elysée, un conseiller occulte était rémunéré 1,5 millions euros pour ce boulot. Le schéma est simple et imparable : Patrick Buisson suggère les questions, l'Elysée paye l'enquête, OpinionWay la réalise, le Figaro la publie. La polémique a duré quelques jours en fin de semaine dernière. Qu'importe si ces sondages, quand ils portaient sur des élections proches, étaient carrément illégaux... Mercredi, quelle surprise d'apprendre que François Fillon aussi utilise un cabinet privé. Paul Giacometti, un ancien d'IPSOS, facture un peu moins, 358000 euros, pour des prestations qui peu ou prou sont déjà assurées par le Service d'Information du Gouvernement de Thierry Saussez, pour 25 millions d'euros par an. Rien n'est trop beau en Sarkofrance ! Philippe Cohen et Daniel Bernard démontent cette "affaire d'Etat" dans l'édition de Marianne du 25 juillet. Le budget que l'Elysée dédie à son entreprise de communication est faramineux : 25 millions pour le SIG (dont 3 millions de sondages), 100 millions de publicités gouvernementales, 284 millions d'aides à la presse, 3 millions pour les WebTV.
Rachida Dati a créé son propre cabinet, «La Bourdonnais Consultants» , immatriculé le 20 juillet 2009 à Paris, et logé dans le riche 16ème arrondissement de Paris. Son objet social est vaste («En France et dans tous les pays, le conseil en stratégie, la réalisation d’études, la participation et l’organisation de colloques et de conférences»)... Elle a raison, c'est visiblement un marché en croissance...
Monarque silencieux ?
L'optimisme reste de rigueur chez les chargés de communication du gouvernement. Christine Lagarde s'est ainsi félicité du regain de consommation des ménages en juin. Quelques journalistes lui ont rappelé que c'était la période des soldes. Depuis septembre, les Français ne consomment plus que pendant les soldes. Faut-il vraiment se réjouir ? D'autres grincheux ont bien voulu l'interroger sur l'échec de la baisse de la TVA sur la restauration (coût : 2,5 milliards d'euros par an). Trois semaines après l'entrée en vigueur, les prix baissent rarement, les restaurants n'embauchent pas davantage. "Il faut laisser du temps au temps" répond-elle le sourire crispé.
Le secrétaire d'Etat aux PME, Hervé Novelli, était tout aussi souriant. Déjà 182 000 Français sont devenus auto-entrepreneurs depuis la mise en place du dispositif en janvier dernier. Grâce à ce statut, on bénéficie d'une forfaitisation des impôts et cotisations sociales sur la base du chiffre d'affaires effectivement réalisé. On ne connaît pas aujourd'hui quel est l'impact économique de ces micro-créations. Le pôle emploi est lui engorgé. Le nombre de chômeurs enregistrés dépasse les 3,65 millions. Mais Laurent Wauquiez est content : pôle emploi a annoncé mercredi qu'il confierait quelques 320 000 chômeurs à des prestataires privés, un bonne nouvelle pour Addeco, l'entreprise d'intérim frappée par la crise depuis 15 mois, qui fait partie des heureux élus. Ces sociétés auront une obligation de résultat. Elles seront rémunérées, jusqu'à 3500 euros par emploi retrouvé. Faut-il s'en réjouir ? l'objectif affiché est de leur confier 150.000 licenciés économiques, bénéficiant essentiellement d'une convention de reclassement personnalisé. Premier problème: si moins de 10 000 licenciés bénéficient d'un tel soutien depuis janvier, où vont-ils trouver les 140 000 autres ? Le solde, soit 170 000 chômeurs, seront de "longue durée". Pour ceux-là, comment s'appliqueront les contraintes de l'offre raisonnable d'emploi ? Les chômeurs ainsi confiés au privé seront-ils également sanctionnés après deux refus "déraisonnables" ? Jeudi, Laurent Wauquiez est allé dans Calvados signer sa "première convention d'activité partielle" avec une entreprise nationale: 92% du salaire versé et formation pour les employés en chômage partiel. Au total, le gouvernement espère en signer une vingtaine, pour un coût annuel de 150 millions d'euros portés par l'UNEDIC. Une goutte d'eau : de février à mars, plus de 200 plans sociaux ont été recensés chaque mois par le Ministère de l'Emploi, du jamais vu depuis 20 ans.
On n'a pas entendu le gouvernement commenter bien longuement les explosions de colère qui pullulent en Sarkofrance parmi les salariés licenciés. La semaine fut pourtant riche en gronde sociale : séquestration de dirigeants (chez Michelin ; chez SKF; à Roissy), menaces "à la bombone de gaz" (chez les cadres de Nortel de Châteaufort; à New Fabris à Chatellerault; et chez JLG à Tonneins), ou destruction de matériels de la part de licenciés excédés. François Fillon a préféré tacler le militaire irresponsable qui a déclenché accidentellement les incendies de garrigue aux abords de Marseille. Le premier ministre est resté également discret sur les mauvais chiffres de la délinquance, publiés opportunément en pleine semaine du 14 juillet. Les violences aux personnes ont encore augmenté. Elles n'ont "jamais été aussi nombreuses" depuis ... 1996 ! Sur un an, entre juin 2008 et juin 2009, la délinquance progresse partout : vols avec violences, +12,84%; violences aux personnes, +5,35% ; violences gratuites, +3,15% et infractions économiques et financières, +1,69%.
Nicolas Sarkozy aura d'autres raisons d'être silencieux. Mardi, la nouvelle est tombée: suite à l'arrêt du Conseil d'Etat en avril dernier, qui imposait la mise en place d'un décompte du temps de parole présidentiel, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a publié une nouvelle règle. A compter du 1er septembre, "les temps d’intervention de l’opposition parlementaire ne pourront être inférieurs à la moitié des temps de parole cumulés du chef de l’Etat et de la majorité présidentielle. Ils seront automatiquement augmentés avec la prise en compte des interventions du Président de la République et de ses collaborateurs." Catastrophe ! Henri Guaino et Claude Guéant devront s'épargner quelques émissions de radio et télévision...
Cette semaine, une autre figure de la Sarkofrance a perdu sa langue. Frédéric Lefebvre, député-suppléant, a perdu son mandat de ... député. Il attend le strapontin ministériel que lui a promis Sarkozy, mais ... "personne ne veut de Frédéric Lefebvre dans les ministères", a confié un conseiller du gouvernement. Le délai de trente jours depuis le remaniement ministériel de juin est expiré. Le titulaire du mandat, André Santini, a repris sa place.
La vie est dure.
Ami sarkozyste, où es-tu ?&alt;=rss