Le travail garde sans doute un peu la trace des conditions dans lesquelles il s’est fait, il enregistre les moments, les fréquentations, les lectures. Et les tableaux deviennent les jalons, les témoins de l’histoire que l’on trace. Je me souviens très bien du petit atelier que j’occupais la dernière année à Paris dans une cave de la rue des Marronniers. Très exactement 2mètres de large et 5 mètres de long. Un petit lavabo entartré, une fenêtre aveugle. Le sol brut qui ressemblait à de la terre battue, les couloirs infinis à longer pour l’atteindre. Et la cave à côté de la mienne avec nom et paillasson parce que quelqu’un y habitait. L’angoisse le soir dans ce labyrinthe glauque craignant que la minuterie me laisse à mi-chemin sans lumière à devoir tâter les murs humides pour rejoindre la sortie. Les numéros sur les portes rappelant les indications chiffrées sur les caisses de matériel militaire, des caves à n’en plus finir, moi la 22. L’odeur de la poussière et de la peinture passée la porte. Les transports des tableaux pour aller accrocher les expos. Je m’étais trouvé une planche avec des roulettes pour charger deux ou trois tableaux à travers les couloirs. Fallait manœuvrer serré. J’y ai préparé entièrement l’exposition papiers d’atelier en 2007. J’écoutais la série de François Bon sur Led Zeppelin et l’imaginais enregistrant une rue derrière dans les étages de la maison de la radio. Ces histoires se racontant d’une boite à une autre, isolés et reliés. Je préparais cette année là l’agrégation sur l’autre rive et il n’y avait qu’à passer le pont pour aller y suivre les cours. Je rentrais le soir en moto par les quais jusqu’à Montparnasse. J’avalais ma liberté le long du fleuve en dépassant les Invalides et la dame de fer. En tout je n’ai réalisé que deux toiles dans cette cave sans recul, les paysages 35 et 36. Deux vues d’un même lieu sur la côte en contrejour. Je retrouve quelques photos prises à l’époque avec ce tableau intermédiaire que le 36 à recouvert. Une percée dans les branches sur la trame stricte et délicate d’un immeuble. Fouillant d’autres photos je m’aperçois que dessous encore avait débuté tout autre chose : la tombe de Le Corbusier. L’histoire se construit ainsi, avec des morceaux choisis et des recouvrements. On vit comme on raconte des histoires.