Chronique du prisonnier
Abonnés aux barreaux
Jean-Pierre Bellemare, prison de Cowansville DOSSIER REFLET DE SOCIETE ET CHRONIQUE DU PRISONNIER
Pourquoi un homme comme-t-il un second crime après une condamnation? La détention n’a-t-elle pas été dissuasive?
Dans le système judiciaire, on qualifie sarcastiquement les récidivistes d’abonnés, de revenants ou de réguliers. Cette catégorie de détenus est principalement composée d’hommes ayant des problèmes à répétition qu’il s’agisse de violence conjugale, de conduite avec facultés affaiblies, de vol à l’étalage ou de vagabondage. Ils ont tous un point commun: un sévère problème de dépendance. Leur lieu de rassemblement est le Palais de justice et leur cri de ralliement ressemble à celui d’un animal blessé, perdu.
Les drogués sont les plus nombreux. À peine sortis de prison, ils partent en chasse armés de leur désespoir pour trouver n’importe quelle drogue qui pourra arrêter momentanément leurs angoisses. Ils sont à risque de revenir rapidement derrière les barreaux. Le manque les pousse à commettre un délit sans préparation.
Ce n’est pas une recherche de plaisir qui les motive, mais le mal dans leur corps qu’ils tentent de combattre. Pour eux, la récidive est aussi certaine que la venue du soleil après la pluie. Ils sont aux prises avec un problème si fort que la peur d’une seconde détention leur semble superflue en comparaison. Le cercle vicieux se perpétue durant des années, tant et aussi longtemps qu’un évènement spectaculaire ne vienne renverser ces hommes comme un décès, un traumatisme, l’atteinte du fond du baril, etc.
Récidivistes volontaires
Une deuxième catégorie d’hommes reviendra à coup sûr au pénitencier: ceux qui se nourrissent d’un ressentiment contre l’injustice ou qui se «victimisent». La rancoeur constitue pour eux un moyen fréquemment utilisé pour éviter de se remettre en question et surtout d’avoir à reconnaître leurs torts. D’autres, hantés par un passé non réglé, sont incapables de tourner la page. Certains d’entre eux ont été élevés dans un environnement familial criminalisé. Leur perception du crime n’a aucune connotation négative. Pour eux, il s’agit simplement d’un mode de vie qui se transmet d’une génération à l’autre.
Il y a ceux qui reviennent en prison après avoir espéré réussir un bon coup grâce à des renseignements obtenus au pénitencier. Avant même d’être libérés, ils se préparent à revenir s’ils se font prendre. Le pénitencier est considéré comme l’école du crime. Tous ceux qui s’y trouvent se sont pourtant plantés lamentablement, même s’ils se permettent de donner des leçons aux autres. Ces futurs récidivistes croient naïvement que ceux qui les ont renseignés voulaient leur réussite. La réalité est que quand un détenu possède une information «payante», il la garde pour lui. Les informations partagées en prison sont habituellement une forme de manipulation que les gars utilisent pour en piéger un autre. Ce sont presque toujours des jeunes criminels qui tombent dans le panneau.
Il existe des détenus qui, bien qu’ils n’aient aucune ressource monétaire ou familiale, n’acceptent pas de partir du bas de l’échelle. D’autres sont des gens qui, vu la gravité de leurs crimes (pédophilie, infanticide, viol) ont été isolés de ceux qui auraient pu leur venir en aide. Quelquefois des sans-abris ou des gens aux prises avec des problèmes psychiatriques reviendront au pénitencier. Le milieu carcéral est le seul qu’ils connaissent véritablement. Le fait de connaître un environnement le rend sécurisant, aussi incroyable que cela puisse paraître parfois. Des hommes mal équipés socialement pour affronter des problèmes simples deviennent ainsi une clientèle permanente des prisons, un résultat de la désinstitutionnalisation des services psychiatriques.
La peur de la liberté
D’autres prisonniers qui ont purgé une très longue peine deviennent «institutionnalisés». Une poule encagée trop longtemps perd ses réflexes naturels comme rechercher sa nourriture, prendre soin de ses petits et marcher. Le même phénomène se produit chez l’homme. Après plus de dix ans d’incarcération, ses réflexes, sa débrouillardise et ses autres capacités sont fréquemment hypothéqués. Des choses simples comme prendre le métro entouré d’inconnus, s’avèrent des épreuves difficiles. Le contact avec les étrangers l’épuise sans raison apparente.
À l’extérieur des murs, la vitesse des voitures et le flux incessant des gens qui vont et viennent créent de l’angoisse. Même les relations avec les femmes deviennent une source de stress énorme. Elles impliquent des façons de faire et de vivre qui n’existent pas en prison. Regarder une personne dans les yeux est généralement considéré comme une provocation au pénitencier. Effleurer la fesse d’une agente correctionnelle peut entraîner un transfert dans un établissement à sécurité maximale. Ces aspects de la vie carcérale nécessitent des adaptations qui ne sont pas naturelles et le prisonnier, lorsqu’il retourne dans la société, doit tenter de s’en déprogrammer. C’est parfois impossible ou trop difficile et cela peut le mener de la dépression jusqu’au suicide. Se sentir incapable de vivre ce qui est attendu depuis si longtemps frappe de plein fouet. Plus d’un détenu libéré est devenu fou. Le rêve de la liberté devient parfois un cauchemar éveillé. Comment l’expliquer aux autres alors qu’on ne comprend pas vraiment sa propre incapacité à satisfaire ses désirs? Une minorité de ces personnes, malgré leur bonne foi et, surtout, une envie certaine de liberté, reviendront gonfler les rangs des prisonniers bien malgré eux.
Voilà une description des différents types de récidivistes avec lesquels j’ai pu m’entretenir durant mes longues années d’incarcération. La liste n’est pas exhaustive, mais elle est représentative. Je m’inclus, naturellement, dans le groupe. J’ai appris quelque chose d’extraordinaire en psychologie qui m’a permis de me rendre où j’en suis intérieurement: on peut juger un geste, mais pas une personne. Car une personne ne se limite pas à un seul geste.
Reflet de Société, Vol. 18, No. 3, Juin/Juillet 2009, p. 8-9