Pour la deuxième semaine consécutive, je vous propose aujourd'hui encore, ami lecteur, de nous retrouver dans le tombeau de Toutankhamon en
compagnie de Jean Capart, de la Reine Elisabeth de Belgique et de son fils, le prince de Brabant, futur Léopold III.
Samedi dernier, nous avions lu la première lettre qu'il écrivit relatant l'événement, le 18
février 1923. Penchons-nous à présent, sur celle de la fin du même mois ...
28 février 1923
Le 18 nous avons assisté à l'ouverture du caveau de
Tout-Ankh-Amon; huit jours après, le 25, nous y sommes retournés pour aller le voir une dernière fois avant qu'on le referme pour de nombreux mois. N'est-ce pas extraordinaire que cette
découverte soit si riche : les heureux fouilleurs ne savent comment faire pour inventorier leurs trésors et se voient contraints de les enterrer à nouveau pour les mettre à l'abri pendant qu'ils
traiteront les objets sortis déjà de l'antichambre ?
Nous sommes redescendus dans les salles creusées dans le roc et de nouveau lord Carnarvon et Carter nous ont permis de contempler le spectacle incomparable. Comment
apprécier la maîtrise que ces hommes ont sur leurs nerfs pour réfréner la curiosité si naturelle de déterminer le contenu de tous ces coffres encore scellés ? Il serait si facile de couper
délicatement les liens qui retiennent le bouton de fermeture et dès lors les battants des portes tourneraient sur leurs gonds, et on saurait ce que renferment ces petits tabernacles, dont un
seul, entrouvert, laisse voir deux statues de roi représenté debout sur un léopard.
La Reine, lors de sa première visite, a vu l'éventail du roi, placé dans une boîte dont le couvercle, heureusement, n'était pas scellé. Nous sommes descendus cette
fois avec Carter. Après quelques instants de contemplation, lord Carnarvon et M. Callender nous rejoignent et je me retire, car l'espace est si étroit qu'on redoute toujours de détériorer le
catafalque. Quelques brefs instants de travail suffisent pour enlever les poutres de bois disposées devant les portes de celui-ci. De l'antichambre où je suis remonté, je puis voir, grâce au jeu
de la lumière, qu'on a ouvert un des battants de la porte. Tout le monde à l'intérieur parle à voix basse, tant l'émotion est vive. C'est un nouveau mystère qui se dévoile ! Après quelques
instants, la Reine sort, et je puis à peine croire à mon bonheur quand on m'invite à redescendre, avec la comtesse de Caraman-Chimay, pour aller jeter un coup d'oeil à l'intérieur du premier
catafalque. Mes regards vont tout de suite au point central, là où se trouvent d'autres portes fermées et scellées et derrière lesquelles nous attendent des trésors nouveaux et de plus en plus
imprévus peut-être.
L'intérieur est également doré, avec des figures de divinités et des inscriptions. Tout l'espace laissé entre les deux édicules emboîtés l'un dans l'autre est
littéralement farci d'objets d'art de toute espèce, vases d'albâtre aux formes ingénieuses et différents de ceux déjà connus, vases dont le couvercle est surmonté de la figure d'un lionceau,
coffrets incrustés, sceptres, massues, insignes royaux, etc. Un grand châssis, dont les montants et les traverses déterminent des panneaux, est disposé entre les deux catafalques et servait à
soutenir une tenture constellée de rosaces dorées. La partie inférieure a cédé à la longue et les débris recouvrent les objets mobiliers, mais au-dessus la tenture pend encore et cache la
corniche du tabernacle intérieur. On voudrait percer ces obstacles et voir au-delà et sonder d'un coup tout l'inconnu de cette sépulture unique.
C'est fini ! Carter referme la porte immense qu'on n'a pu qu'entrebaîller, il repousse les verrous dans les anneaux métalliques qui les fixent et nous sortons. Tout le
monde est ému et parle peu. Ce que l'on pourrait dire en ce moment ne serait que des banalités. Dès lundi matin, les ouvriers vont se mettre à l'oeuvre pour refermer la tombe et déjà les
menuisiers préparent des pièces de bois qui serviront à ce travail. Le couloir en pente, l'escalier et la petite esplanade sur laquelle s'ouvre l'entrée vont être rebouchés, d'abord par une
clôture de madriers et de planches et ensuite par des blocs de rochers.
Ce matin, je suis allé à la vallée de Biban el Melouk et j'y ai surpris en activité un chantier de travail comme je n'en avais encore jamais vu en Egypte. Les enfants
chargés de leurs petits paniers se hâtaient, sous la surveillance des "reis" à déverser du sable et des débris de pierre sur l'emplacement de la tombe. Déjà le sol reprenait son aspect
d'autrefois. Un peu plus et l'on se croirait le jouet d'un rêve ..., tout ce que nous avons vu la semaine passée n'était que fantasmagorie, un mirage dont nous avons été le jouet. Il n'y a rien
eu dans la Vallée des Rois, sinon quelques recherches, faites le long des falaises rocheuses dans l'espoir trompeur et toujours déçu de retrouver intacte une tombe de pharaon. Comme si la chose
était encore possible, après les siècles de dévastation !
Il faut être original, comme peut l'être un lord anglais, pour jeter son argent à ce travail de Sisyphe : déplacer sans fin des déblais au milieu d'un nuage de poussière
grise.
(...)
La nouvelle de la découverte de Tout-Ankh-Amon m'avait tellement impressionné que j'avais décidé de venir en Egypte au mois d'octobre prochain, quelles que soient les
difficultés, financières ou autres, qui pourraient s'opposer à mon voyage. Il me paraissait impossible de continuer à étudier l'art égyptien et, plus encore, de vouloir l'enseigner, sans avoir vu
personnellement les merveilles que les journaux décrivaient sommairement.
Vous savez comment les circonstances ont précipité ce voyage en me donnant la joie inespérée d'être
présent le jour de l'ouverture officielle du caveau et d'y pénétrer parmi les premiers. Je n'hésite pas à le dire : la réalité a dépassé tout ce que j'avais espéré. Je croyais, par la lecture des
dépêches et l'examen des photographies, avoir pu me rendre compte assez exactement de la valeur des objets découverts. C'était une illusion, et je le déclare avec d'autant plus de plaisir que
généralement, dans la vie, nous faisons des expériences inverses. Nous avons espéré la perfection et nous ne rencontrons que la médiocrité; ici nous attendions le beau et nous trouvons la
perfection.
(Capart : 1943, 27-9)
Pour la "petite histoire", j'ajouterai simplement qu'au moment où Jean Capart rédige ces lignes, n'ont encore été "fouillées" que les deux premières salles du tombeau,
mis au jour, je le rappelle, en novembre 1922. S'ensuivirent des semaines, des mois, des années de travail délicat pour vider la tombe, inventorier son contenu et, souvent, restaurer
certaines pièces avant de les amener officiellement à la lumière du jour ...
Et ce ne sera qu'à l'automne 1925, soit trois ans après la magistrale découverte, que Carter et ses hommes soulèveront enfin, dans la chambre funéraire proprement
dite vidée de tous les catafalques qu'elle contenait initialement, l'immense et imposant couvercle en pierre du sarcophage. Ils allaient alors pouvoir admirer à l'intérieur, ébahis, les
différents cercueils anthropoïdes, dont le dernier des trois, contenant le corps du jeune souverain, était en or massif, la "chair des dieux".
Serez-vous vraiment étonné, ami lecteur, si je vous avoue tout de go qu'au moment de boucler les valises pour repartir sous d'autres
cieux, la semaine prochaine, c'est ce passionnant ouvrage de Jean Capart et de ses collaborateurs, dont je vous ai proposé la référence ci-dessus, que j'emporterai pour lire dans
l'avion ? Relire, en fait, et avec toujours autant de plaisir ...