Au dépôt ! ou pris dans la souricière: les fouilles intégrales et répétées sont inhumaines et dégradantes (avis CNDS 30 juin 2009)

Publié le 24 juillet 2009 par Combatsdh

Le Monde d’hier a rendu public le contenu de l’avis de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) du 29 juin 2009 sur le dépôt et la souricière dans les sous-sols du Palais de justice de Paris, en particulier les fouilles intimes répétées et humiliantes pour accéder ou sortir du Palais. Elles sont dénoncées par l’autorité administrative indépendante comme constituant un “traitement inhumain et dégradant” au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (”Les fouilles à nu au dépôt du tribunal de Paris dénoncées”, LE MONDE | 23.07.09 | 15h33).

Par suite, ces fouilles portent atteinte à la dignité des personnes concernées.

En l’absence de réponses des ministères concernés (Justice pour la souricière relevant de l’administration pénitentiaire, Intérieur pour le dépôt de la préfecture de police et Immigration pour le dépôt des étrangers), la CNDS n’a pas encore rendu publique sur son site cet avis.

Seule la parlementaire ayant saisi la CNDS, Mme Borvo, peut le diffuser. Contrairement à ce qu’écrit Le Monde, la sénatrice communiste avait saisi la CNDS bien avant la polémique lancée en avril 2009 par la conférence et l’ordre des avocats de Paris sur les conditions de privation de liberté dans ces lieux.

Combats pour les droits de l’homme avait déjà évoqué cette saisine de la CNDS au mois d’avril 2009 (”Dépôt et souricière du palais de justice de Paris : son insalubrité dénoncée par l’ordre et la conférence de stage du barreau de Paris“, 24 avril).

Nous dressons ci-dessous une synthèse.

  • Configuration des lieux

Le sous-sol du Palais abrite 3 lieux distincts

- la souricière: sous contrôle de l’administration pénitentiaire, est une zone d’attente des détenus écroués qui sont extraits des diverses maisons d’arrêt en vue de leur comparution devant une juridiction de jugement, de leur audition par un magistrat instructeur ou de toute audience devant la chambre de l’instruction ou le juge des libertés et de la détention. 14 500 détenus en 2008. Elle est composée de 60 cellules côté hommes et 16 côté femmes.

- Le dépôt du palais de Justice de Paris:  placé sous le contrôle de la Préfecture de police de Paris. Se trouvent au dépôt les personnes déférées à l’issue de leur garde à vue. Entre 60 et 90 personnes transitent ainsi en moyenne par jour par ce lieu côté hommes, une dizaine côté femmes. 20 000 personnes en 2008.

- le dépôt “femme” des étrangers, géré par des bonnes soeurs, dans lequel sont placés des étrangers souvent dans les 48 premières heures de la procédure de rétention administrative avant leur passage devant le juge des libertés et de la détention. Ils sont ensuite souvent transférés au CRA de Vincennes.

  •  Procédures pénales en nullité

Suite à la publication du rapport de la conférence des avocats de l’ordre du barreau de Paris de visite du dépôt et de la souricière le 26 février 2009 (rapport sur le blog de la conférence des avocats), le bâtonnier de l’ordre, Christian Charrière-Bournazel, avait appelé les avocats à plaider la nullité des procédures en raison de l’état de l’insalubrité de ces lieux

(Christian Charrière-Bournazel, “La Conférence , la souricière et le dépôt” , Editorial du Bulletin n°14 du 24 avril 2009.

voir ici “Insalubrité du dépôt : conclusions révisées“, blog de la conférence des avocats, 30 juin 2009)

Europe 1 avait ensuite rendu publiques des images exclusives du dépôt.

Jeudi 28 mai 2009 la 23ème Chambre 2 du Tribunal Correctionnel  avait annulé 5 procès-verbaux de comparution immédiate en considérant que les conditions de rétention au dépôt n’étaient pas décentes, sur le fondement de l’article 803-3 alinéa 1 du Code de procédure pénale.

Le tribunal, se fondant sur les constatations du juge désigné le 2 mai 2009 pour établir un rapport sur l’état du dépôt, a remis en liberté les personnes qui étaient en détention provisoire et dont les procédures ont été annulées.
Le 27 mai, le député André Valini s’était rendu au dépôt du TGI de Paris (”Insalubrité du dépôt : des PV de comparution immédiate annulées (2)“, 28 mai).

  • Ravalement de façade et coups de peinture pour cacher la misère et l’insalubrité

La regrettée Garde des Sceaux, recordman des Busiris, avait alors annoncé qu’elle ferait donner un coup de peinture dans ces bas-lieux peu conforme à son image de marque (de luxe) (lettre du Garde des Sceaux adressée au Bâtonnier) pour satisfaire l’ardeur des médias.

Ces travaux de réfection doivent être effectués pendant l’été. Il a accordé une enveloppe d’un million d’euros pour la rénovation de la souricière et la préfecture a débloqué 1,8 million d’euros pour la poursuite de la réfection du dépôt, notamment pour assurer l’intimité des fouilles.

L’achat d’un scanner thermique - pour éviter les fouilles à nu - est prévu.

NB: en 1993-1994 suite à une visite du CPT et une procédure en voie de fait (TC 1994 Dulangi et Gisti), le dépôt homme de la préfecture de Police avait fermé pour rénovation pour réouvrir quelques mois après. 10 ans plus tard le commissaire européen des droits de l’homme constatait qu’il s’agissait d’un des pires lieux de privation de liberté en Europe. Le dépôt homme a été fermé mais pas le dépôt géré par les bonnes soeurs.

  • Contenu de l’avis de la CNDS du 29 juin 2009: une atteinte à la dignité par un TID au sens de l’article 3 CEDH

Saisie par la sénatrice communiste Nicole Borvo, la CNDS s’est rendue à deux reprises dans chacun de ces lieux entre décembre 2008 et janvier 2009.

Selon le Monde et l’AFP, dans son avis du 29 juin, la Commission “a décortiqué tout le fonctionnement à l’intérieur du palais”.

Le rapport constate “que les personnes prises en charge au dépôt ou à la souricière n’étaient pas traitées avec dignité”.

Un nombre excessif de fouilles à nu

La CNDS met en avant un “nombre excessif de fouilles à nu (qui) ne peut se justifier au regard d’impératifs de sécurité” et qui “est constitutif d’un traitement dégradant”.

En fonction de son statut juridique, une personne peut être fouillée de “une à cinq fois” au cours de la même journée.

Les services de l’administration pénitentiaire, de police et de gendarmerie ne se faisant pas confiance, il n’est pas rare qu’une personne fouillée intégralement une première fois à la sortie de la prison par les premiers, fasse l’objet ensuite à l’arrivée au Palais d’une nouvelle fouille par les seconds puis plus tard d’une nouvelle fouille par les troisièmes à sa sortie du Palais.

Cela “équivaut à un traitement inhumain et dégradant” au regard de l’article 3 de Convention européenne des droits de l’homme, estime la CNDS.

Conditions des fouilles

Selon la CNDS, les boxes de la souricière - qui relèvent de l’administration pénitentiaire, “mesurent environ trois mètres sur un mètre”.

Il peut aussi “arriver que les détenus soient enfermés à trois dans la même cellule pendant trois ou quatre heures, ce qui est inacceptable”.

Par ailleurs,  la salle dite de “pré-fouille” du dépôt - géré par la préfecture de police - “mesure environ 30 m2 et peut accueillir jusqu’à soixante personnes”. Elle est seulement munie de quatre bancs “sur lesquels peuvent s’asseoir une vingtaine de personnes”. L’attente peut y durer plusieurs heures.

Déroulé des fouilles:

Le rapport décrit le déroulé des fouilles, qui durent de dix à quinze minutes.

- Au dépôt, deux personnes peuvent être fouillées dans une même pièce. Quatre policiers sont en général présents. Cela constitue aussi, pour la CNDS, un “traitement dégradant”. Une policière précise qu’il “était demandé aux femmes de s’accroupir et de tousser trois fois, les jambes écartées”. Les hommes doivent se pencher en avant et tousser.

Une fois que les cheveux, la bouche, l’anus de la personne ont été contrôlés, elle se rhabille puis passe sous un portique détecteur de métaux”, explique le rapport qui constate que l’on retire les dentiers, les lunettes, les lacets et les soutiens-gorge.

La préfecture de police indique que ces objets sont désormais restitués avant les audiences.

Dans l’Exécution, Robert Badinter explique à quel point son client, Roger Bontems, avait été incommodé au cours de son procès par la confiscation de ses lunettes.

  • Les avancées

Face aux critiques, police, gendarmerie et administration pénitentiaire ont établi un protocole pour limiter les fouilles.

Un détenu, déjà fouillé à la sortie de la maison d’arrêt, devrait faire l’objet d’une simple palpation de sécurité à son arrivée au Palais.

De la même façon, une personne fouillée par un policier à son arrivée au dépôt, qui subissait jusqu’alors une deuxième fouille en le quittant, par un gendarme du Palais de justice.

L’intervention de chaque autorité pouvait avoir pour effet de réitérer les fouilles. Il y a une volonté de réduire les fouilles au strict nécessaire”, assure Stéphane Scotto, sous-directeur à l’administration pénitentiaire.

Cela est d’autant plus indispensable que très récemment la France a de nouveau été condamnée par la Cour européenne pour ces fouilles répétées et humiliantes.

Les récentes condamnation par la Cour de Strasbourg

Rappelons que dans l’affaire Khider, un détenu particulièrement signalé (DPS) faisant l’objet de fouilles intégrales « pratiquées de manière systématique » et qui « ne paraissent pas être justifiées par un impératif convaincant de sécurité » subit, selon la Cour, un « sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associés, et celui d’une profonde atteinte à la dignité ». Le cumul de ces conditions de détention « s’analyse(nt), par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 CEDH (”Régime carcéral des détenus particulièrement signalés (DPS) : condamnation de la France (CEDH 9 juillet 2009 Khider c/ France)” , CPDH, 10 juillet 2009).

En 2007, la France avait déjà été condamnée pour traitement dégradant pour ce motif (Cour EDH, 2e Sect.12 juin 2007, Frérot c. France, req. n° 70204/01).

  • Un recours en référé-liberté devant le tribunal administratif

Dans une décision du 14 novembre 2008 PhilippeMahmous ES et OIP, le Conseil d’Etat a reconnu la possibilité de contester par la voie du référé-liberté le régime de fouille intégrale

Dans cette affaire le requérant avait fait l’objet, lors d’extractions liées à plusieurs comparutions devant les juges judiciaires, d’une décision le soumettant à un régime de fouilles corporelles intégrales, opérées quatre à huit fois par jour.

Saisi en cassation d’une ordonnance de référé-liberté de rejet, le Conseil d’Etat a estimé que ce régime, mis en œuvre par l’administration pénitentiaire, se rattachait non pas à la conduite de la procédure judiciaire, qui relève du seul juge judiciaire, mais au fonctionnement du service public pénitentiaire, chargé d’assurer la sécurité des opérations d’extraction judiciaire.

Le juge administratif est donc compétent pour se prononcer sur les décisions relatives à ce régime de fouilles corporelles.

Le Conseil d’État a ensuite rappelé les conditions dans lesquelles ce type de régime peut être appliqué, sans être contraire à l’article 3 de la CEDH.

La nécessité de préserver l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire justifient en effet le recours à des fouilles corporelles intégrales, mais à une double condition.

L’administration pénitentiaire doit justifier:

- de suspicions fondées, liées au comportement du détenu, à ses agissements antérieurs ou aux circonstances de ses contacts avec des tiers,

- de l’adéquation, de la fréquence et de la proportionnalité des modalités de fouille retenues.

Evidemment, dans le cadre de la procédure de référé-liberté », il est nécessaire que les deux conditions cumulatives d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et d’urgence soient remplies pour aboutir au prononcé de la suspension de la décision de l’application du régime de fouilles intégrales (CE, 14 novembre 2008, n° 315622 voir Focus n°3 - Le Conseil d’État est compétent pour se prononcer sur le régime de fouille intégrale auquel un détenu est soumis lors des extractions de prison pour comparution devant les juridictions judiciaires).