Ce jour de juillet 1969 fut si exceptionnel que chacun se rappelle ce qu’il faisait à ce moment, c’est devenu un lieu commun de le noter. Voilà pourquoi il s’agit sans doute de l’un de mes souvenirs d’enfance les plus présents dans ma mémoire. En dépit de l’heure avancée de la nuit (il devait être environ 3 H ou 3 H 30 du matin), mes parents, conscients de ce que représentait ce « pas de géant pour l’humanité », m’avaient laissé suivre la retransmission sur l’écran noir et blanc de la télévision familiale. J’avais regardé Neil Armstrong descendre du LEM avec les yeux, émerveillés plus qu’incrédules, de mes dix ans. Avec le recul, c’est à ma grand’mère que je pense : à 81 ans (elle avait 17 ans à la mort de Jules Verne…), elle vivait en direct un événement pour elle d’autant plus incroyable qu’elle avait connu les fiacres et les calèches dans les rues de Paris, les chandelles et les lampes à pétrole. Elle seule, parmi nous, pouvait vraiment mesurer le progrès qu’avait apporté ce XXe siècle par ailleurs largement chaotique.
Ces deux titres sont disponibles en éditions de poche (Le Livre de poche, Elcy, Gallimard-Folio, Garnier Flammarion) pour un prix modique ; on peut également les lire en ligne sur Internet ou les télécharger gratuitement depuis le site Gallica de la Bibliothèque nationale dans la mythique édition Hetzel illustrée de beaux dessins de Henri de Montaut gravés par Pannemaker (pour le premier ouvrage), d’Alphonse de Neuville et Emile Bayard, gravés par Hildibrand (pour le second).
Sans doute existe t-il un parallèle entre l’époque où furent écrits ces deux romans et la fin des années 1960 où l’homme marqua sa première empreinte de semelle dans la poussière grisâtre de notre satellite. Le XIXe siècle finissant voulait consacrer le triomphe de la science, suggérer que la quête de la connaissance qu’elle induisait allait l’emporter sur les valeurs nationalistes et religieuses, génératrices de conflits et d’obscurantisme. Le héros subissait une mutation : l’homme de guerre s’effaçait devant l’homme de science, tout aussi prêt que lui à sacrifier sa vie, mais dans un autre but, cette fois pacifique et progressiste. Cent ans plus tard, un même enthousiasme accompagnait le succès d’Apollo XI. Le souvenir de la seconde guerre mondiale et la réalité de la guerre froide prenaient seulement la place des combats de la guerre de Sécession que Jules Verne avait évoqués. Dans les deux cas, l’Histoire et l’économie se sont chargées d’anéantir ces élans utopistes ou de simple optimisme. Cependant, l’espoir demeure : les projets de retour sur la Lune et d’une exploration de Mars, pour lointains qu’ils soient, viennent aujourd’hui l’entretenir.
Il convient de préciser que l’auteur, tout comme son contemporain Flaubert, n’écrivait guère sans s’appuyer sur une solide documentation. Ses deux livres dressent ainsi un état des lieux des connaissances scientifiques de son époque. Aucune part n’est laissée au surnaturel ou aux invraisemblances flagrantes, contrairement au Voyage dans la lune de Cyrano de Bergerac (1655) ou au célèbre film de Georges Méliès (1902), qui laissait découvrir, dans un décor baroque, une hypothétique population lunaire qui l’était tout autant. Chez Jules Verne, ce n’est pas le merveilleux qui l’emporte, mais le rêve. Cette raison ne se suffit-elle pas à elle-même pour nous inviter à le relire?
Illustrations : Jules Verne, photographie - Astronaute, document NASA - Couverture dela collection Hetzel - Le Train de projectiles, gravure.