Dans une série de décisions sur la recevabilité, la Cour s’est de nouveau prononcée sur la conventionalité de l’interdiction du port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse telle qu’elle résulte de la loi française du 15 mars 2004 (v. Cour EDH, Déc. 4 décembre 2008, Dogru et Kervanci, req. n° 31645/04 et 27058/05 - v. Lettre d’actualité du 5 décembre 2008 ). A la rentrée de l’année scolaire 2004-2005, plusieurs élèves ont finalement été exclus après avoir refusé de retirer les tenues ou signes religieux qu’ils portaient (voile, kippa, turban mais aussi couvre-chefs portés en permanence par finalité religieuse…).
La Cour a rejeté les griefs qui arguaient du non-respect de l’art. 6 (droit au procès équitable) par la procédure prévue par la loi de 2004, les décisions litigieuses pouvant être contestées devant les juridictions administratives. Puis, au cœur de l’argumentation de toutes les requêtes, la Cour a de nouveau considéré que l’interdiction du port de ces signes ne violait pas la liberté de conscience et de religion (Art. 9). En effet, cet article « ne protège […] pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter d’une manière dictée par une conviction religieuse ».
De plus, il est rappelé « le rôle de l’Etat en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique », rôle qui lui permet de « limiter la liberté de manifester une religion, par exemple le port du foulard islamique » (v. Cour EDH, G.C. 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, requête n° 44774/98 ).
La Cour étend ici sa solution des affaires Dogru et Kervanci - qui ne concernaient qu’une exclusion des cours d’éducation physique et non une exclusion complète d’un établissement scolaire. Les juges rappellent que «l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics a été motivée uniquement par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité […] et que cet objectif est conforme aux valeurs sous‑jacentes à la Convention ainsi qu’à [leur propre] jurisprudence ». Il en résulte une marge d’appréciation conférée aux Etats en ce domaine. Ceci conduit la Cour à estimer que « la sanction de l’exclusion définitive d’un établissement scolaire public n’apparaît pas disproportionnée », notamment à la lueur des possibilités pour les élèves de poursuivre leur scolarité en dehors du cadre des établissements publics.
Par ailleurs, concernant le remplacement du signe religieux par un bonnet (ou un bandana), les juges admettent que les autorités françaises aient pu légitimement considérer qu’un « tel accessoire vestimentaire porté en permanence constituait également la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse ».
CPDH: rappelons que la circulaire du 18 mai 2004 d’application de la loi de 2004 avait défini de manière objective les signes et tenus manifestant ostensiblement l’appartenance religieuse (voile, turban, kippa, grande croix, etc.). Dans ses décisions du 15 décembre 2007, le Conseil d’Etat avait néanmoins admis, afin d’empêcher le détournement de la loi, l’interdiction de signes n’ayant pas a priori de connotation religieuse (bonnet, bandana, etc.) mais portés en permanence avec une intentionnalité religieus
v. CE, 5 décembre 2007 Ghazal, Singh, etc. (n° 285394 et n° 295671)
“Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d’une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d’autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève ; “
Dans le prolongement de son avis de 1989 il avait donc réintroduit, en sus de la définition objective des tenues et signes concernés, une définition reposant sur l’intentionnalité ou le comportement de l’élève.
Enfin, la Cour a également jugé manifestement mal-fondée les griefs alléguant d’une violation du droit à l’éducation (Art. 2 du protocole n° 1) et du droit de ne pas être jugé deux fois (Art. 4 du protocole n° 7). L’ensemble des requêtes est donc rejeté ce qui consolide la conventionalité du régime institué par la loi de 2004.
CPDH : Il s’agit donc de l’épilogue contentieux de l’affaire du “voile à l’école” commencée en 1989 avec les premières exclusions d’adolescentes voilées dans les lycées à Creil et Montfermeil, l’avis du Conseil d’Etat et l’arrêt Kherouaa de 1992.
Mais à n’en pas douter ce débat rebondira avec l’interdiction à venir des voiles intégraux (burqa, niqab, tchador, etc.). On relèvera qu’en 1989 dans son avis, le Conseil d’Etat avait déjà mentionné dans les motifs d’interdiction du voile l’atteinte à la “dignité” et à l’égalité (voir ici en pdf ).
Aktas ; Bayrak ; Gamaleddyn ; Ghazal ; J. Singh ; R. Singh c. France (Cour EDH, 6 Déc. 30 juin 2009, resp. req. n° 43563/08 ; 14308/08 ; 18527/08 ; 29134/08 ; 25463/08 ; 27561/08)
- Affaire Atkas :
en word
Actualités droits-libertés du 19 juillet 2009 par Nicolas HERVIEU
- Sur le site du Conseil d’Etat
29 avril 2009 (17:19)Cultes et fait religieux
Le Conseil d’État et la juridiction administrative ont rendu de nombreuses décisions ayant trait au fait religieux, dans des domaines extrêmement variés et mettant souvent en cause les droits et libertés fondamentaux. Le juge administratif assure ainsi le respect et la conciliation des principes de laïcité et de liberté d’expression.
- Voir aussi Délibération Halde n°2008-183 du 01/09/08
Religion - Sikhs -turban - éducation - absence de discrimination
La haute autorité a été saisie par un parent d’élève appartenant à la communauté sikhe d’une réclamation relative à l’exclusion de son enfant d’un lycée au motif qu’il porte un turban ou un sous-turban. Le Conseil d’Etat a rappelé que le port d’un sous-turban sikh ne peut être qualifié de signe discret et que le port de ce signe est contraire aux dispositions de l’article L. 145-5-1 du code de l’éducation. En conséquence, le Collège de la haute autorité constate l’absence d’éléments permettant d’établir l’existence d’une discrimination à l’encontre du réclamant pour et décide qu’il y a lieu de clore le dossier.