Extraits du livre de Jean During Quelque chose se passe, le sens de la tradition dans le moyen Orient.
Qu'est-ce que le hâl ? C'est la passion (shur) dans la performance.
La principale fonction des arts classiques islamiques, et en particulier de la musique, est de communiquer une impulsion qui transporte le sujet d'un état à un autre, ou -ce qui revient au même- d'un niveau du monde à un autre. De là le caractère magique des arts, souligné par Bürgel (1988). Qu'il s'agisse de l'éloquence ou de la musique, l'important est d'agir sur les émotions et les représentations, de changer la nature des choses, de les transmuter symboliquement en les faisant passer d'un plan à un autre. Ce processus est fondamental dans l'esthétique islamique, du moins dans les cultures considérées, et notamment dans la musique où il est exprimé par les concepts de tarab (chez les arabes) et de hâl (chez les Persans). (...) Il s'agit soit d'intensifier un sentiment, soit dans certains cas de le dissiper, de l'oublier ou l'atténuer. (...)
Le concept de hâl intègre l'ancienne théorie des éthos reprise des grecs par les arabes, mais renonce à établir des catégories et des classifications de ces effets en harmonie avec l'ordre du monde.
Ici est soulevé le paradoxe de l'émotion et de son expression. Il paraît contradictoire d'exiger de l'artiste une sensibilité exacerbée et en même temps d'attendre de sa musique qu'elle engendre l'équilibre et le calme. On peut résoudre ce paradoxe de plusieurs manières. La pratique de la musique est inséparable d'une connaissance des états émotionnels. Son but est de communiquer une émotion (du moins d'un certain type), de faire partager un état (hâl), et pour y parvenir, l'artiste doit trouver en lui-même les fondements de cette émotion, "avoir un coeur brûler", "avoir connu l'amour", etc... Mais l'exigence de richesse intérieur implique qu'il ait assumé cette déchirure et acquis une certaine maîtrise de son potentiel émotionnel. Car si sa connaissance s'enracine dans le vécu personnel, la performance musicale, quant à elle, est une représentation esthétique qui se situe dans le domaine collectif, c'est-à-dire qu'elle passe par une langue de communication. Il faut donc modérer et sublimer ses sentiments et ne pas se laisser déborder par eux (...).
Chaque mode possède un éthos particulier, exprimé par le terme hâlat.(...)