Sur son blog “Rroms: carnet de bord d’un camp de déplacés“, Médecins du Monde publie l’ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny du 20 juillet 2009 (Lire l’ordonnance sur le blog MDM) qui rejette l’assignation de MDM par l’Etat (ou plus précisément la Direction des routes d’ïle-de-France) en vue d’obtenir l’expulsion du terrain et la condamnation de l’association, sous astreinte, aux frais et dépens.
Dans son ordonnance, le juge des référés retient que :
« l’association Médecins du Monde est intervenue dans un but humanitaire pour secourir des populations en difficulté en leur fournissant notamment une aide médicale et matérielle en leur installant des tentes pour qu’elles puissent bénéficier du couvert, compte tenu de l’urgence et dans l’attente d’une solution pérenne ».
Le Monde nous avait retracé le 27 juin les longues prérégrinations d’expulsion en expulsion en Ile-de-France de ce groupe de Rroms roumains.
En dernier lieu, le 23 mai, un incendie s’était déclenché dans un hangar de Bobigny où s’étaient réfugiées des familles Rroms, coûtant la vie à un enfant de 10 ans. Au cours des deux derniers mois, la préfecture les avait expulsées à plusieurs reprises.
Le groupe est constitué de près de vingt familles (une soixantaine d’adultes et autant d’enfants). Ces citoyens européens sont originaires de Roumanie, principalement de Tandarei, une localité proche de Bucarest.
Devant l’impossibilité de trouver une solution d’hébergement et devant la maltraitance institutionnelle, MdM avait décidé d’apporter “une aide immédiate” à ces 116 personnes, dont 41 enfants, 11 nourrissons et 5 femmes enceintes en créant dans la nuit du 26 au 27 mai 2009 un camp de « déplacés européens » sur un terrain trouvé par les rroms eux-mêmes à St Denis en utilisant le matériel habituellement destiné pour les urgences internationales. Les équipes de MdM ont aussi mis en place une veille sanitaire.
Le camp se situe aux portes de Paris en bord de Seine, quai de Saint-Ouen, à Saint-Denis, au pied de l’A 86 (”un camp de “déplacés” s’installe aux portes de Paris“, 26 mai).
Or, fait peu commun, l’Etat a assigné, via la DIRIF, l’ONG en justice en vue d’obtenir l’expulsion du camp. A l’évidence cette procédure s’inscrit dans le cadre de la répression du mouvement social, particulièrement lorsqu’il soutient les étrangers en situation précaire ou irrégulière.
L’association Droit au logement en avait déjà été la cible de cette répression lorsqu’elle avait été condamnée à 12 000 € d’amendes et à la confiscation de 318 tentes et de matériel de couchage, lors du campement des 374 familles sans logis de la rue de la Banque, entre octobre et décembre 2007 par un juge de proximité en novembre 2008 (voir ici) avant d’être relaxée en appel et d’obtenir la restitution des tentes et du matériel de couchage saisi par la préfecture de police (voir ici: le DAL relaxé en appel ).
A chaque sortie médiatique, les enfants de Don Quichotte font aussi l’objet d’une pression policière constante et omni-présente.
En l’espèce, il résulte de l’ordonnance que MdM avait été assigné le 18 juin 2009 par la DIRIF, service de l’Etat qui relève de l’autorité du ministre de l’Ecologie et des transports. On relèvera que l’Etat était représenté par un avocat.
L’assignation visait à obtenir l’expulsion du campement du terrain occupé sous l’autoroute A 86 à St Denis, avec une demande d’astreinte - hallucinante - de 12 000 € par jour de retard et la condamnation de l’ONG à 2000 € de frais de justice et aux dépens.
L’audience s’est déroulée le 6 juillet 2009 (voir les détails sur le blog de MdM).
Se poser d’abord un problème de compétence du juge judiciaire. On aurait en effet pu penser que le juge administratif était compétent pour prononcer, via un référé mesure-utile, l’expulsion d’occupants sans titre du domaine public. L’Etat est en effet propriétaire du terrain situé sous l’autoroute qui est géré par la DIRIF.
Mais, en l’espèce, le juge des référés se déclare compétent sur le fondement de l’article L.116-1 du code de la voirie routière (”La répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative”).
Or, le tribunal des conflits a estimé que relève que l’attribution de la compétence ddu juge judiciaire sur le fondement de cette disposition les cas dans lesquels une contravention à la police de la conservation du domaine public routier est constituée “que cette contravention ait été poursuivie ou non” (v. TC 24 avril 2006, C 3493 Société Bouygues Batiment).
En l’occurence, pour le juge des référés, l’occupation sans titre d’une dépendance du domaine public de l’Etat constitue une contravention prévue et réprimée par les textes. La procédure instituée par la loi Besson du 5 juillet 2000 sur l’accueil des gens du voyage ne s’applique pas en l’espèce.
Le juge judiciaire était donc, pour le magistrat, compétent.
Les autres exceptions de procédures et fin de non recevoir sont écartées.
MdM avait notamment fait valoir que le DIRIF ne pouvait agir en justice au nom de l’Etat sans délégation de signature. En réalité, note le juge des référés, c’est le préfet de Seine St Denis, représentant de l’Etat, qui a qualité pour agir au nom de l’Etat et non le DIRIF.
Enfin et surtout, pour rejeter l’assignation, sans se prononcer sur le fond, le juge des référés se contente de noter que MdM ne pouvait être assigné, en sa qualité d’association humanitaire, en lieu et et place des personnes occupants le terrain.
Or là était bien le noeud du problème: au lieu d’assigner individuellement les 116 personnes occupant le terrain, l’Etat a assigné l’association ayant organisé cette occupation et leur apportant une assistance matérielle, morale et sanitaire.
Le juge se contente de relever, comme cela a été déjà dit, que:
« l’association Médecins du Monde est intervenue dans un but humanitaire pour secourir des populations en difficulté en leur fournissant notamment une aide médicale et matérielle en leur installant des tentes pour qu’elles puissent bénéficier du couvert, compte tenu de l’urgence et dans l’attente d’une solution pérenne ».
Dès lors, elle ne peut être considérée comme représentante des personnes occupants le terrain. C’est un peu l’application - inversée - de l’adage : nul ne plaide par Procureur (autrement dit “nul n’assigne par Procureur”…). L’Etat ne pouvait assigner une association pour obtenir l’expulsion de l’ensemble des occupants sans titre du domaine public que l’association soutient activement.
Dans son communiqué, MdM note:
“Une prise de conscience de la gravité de la situation sanitaire des Roms commence à émerger. Ce jugement est un signe plus que positif dont MDM se félicite, même s’il reste à trouver une solution pérenne pour les familles accueillies sur le camp de MDM. Pour répondre de manière adaptée à l’urgence, MDM demande à nouveau l’organisation d’une Table Ronde réunissant tous les acteurs à l’échelle régionale”.
On ne peut que se satisfaire de décision qui assure aux associations défendant ces “déplacés européens” une immunité juridictionnelle contre ce que MdM avait qualifié de “nouveau délit de solidarité“. Les associations revendiquent aussi - en vain compte tenu de l’autisme du ministre de l’Immigration - une immunité de l’ensemble des personnes prêtant, sans but lucratif, assistance ou aide à des étrangers en situation irrégulière. Le ministre du déni va d’ailleurs devoir relever un nouveau défi : modifier un texte fondant une incrimination qui, selon ses dires, n’existe pas… Mais nos lecteurs connaissent sa crédibilité juridique…
__ ___
- L’ordonnance du 20 juillet 2009 TGI Bobigny
ordonnance-tgi-bobigny-20-juillet-rroms-mdm.1248176315.pdf
- http://carnet-rroms.blog.lemonde.fr/
- “De La Courneuve à Saint-Denis, l’errance des Roms, citoyens européens “
LEMONDE.FR | 27 juin 2009.
- “Portraits de Roms aux portes de Paris“, LEMONDE.FR | 26 juin 09.
Sur la situation des Rroms dans les pays de l’est:
- “Ottawa impose un visa aux Tchèques “, LE MONDE | 16 juin 09
- “Démons et fantômes de la Hongrie” , LE MONDE | 17 juin 09.