Sortie : 6 Octobre 2008
4/5
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Je ne vous apprendrais rien, mais entre les années 60 et les années 70, il y a eu une bonne grosse poignée de visionnaires qui ont chacun de leurs cotés redéfinit la musique et l'ont amené dans des directions différentes. Je ne vous ferais pas l'injure de donner des noms. Après quoi, dans le sillage de ces types, certaines directions furent prolongées par un nombre plus ou moins grands d'héritiers, eux même plus ou moins légitimes. Et puis dans le même temps, il y avait aussi les types qui n'ont inspirés absolument personne sur le moment et qui ont très longtemps avancés en solitaire sans qu'aucun petits nouveaux ne les pillent allègrement. Ainsi donc, pendant très longtemps, absolument personne ne s'est inspiré de Van Dyke Parks. Tout le monde s'en foutait de ses arrangements fous et riches, inspirés par la musique populaire américaine et la musique classique. Personne n'écoutait son premier album et chef d'oeuvre Song Cycle qui avait fait un bide impossible et avait été un gouffre financier pour la Warner. Qui se souciait de ses albums absolument paumés de musique calypso alors qu'on était en pleine période du glam-rock? Aussi, qui s'inspirait de Randy Newman? Oh, on écoutait ses morceaux oui, mais pas grand monde ne reprenait leurs arrangements surannés. Et la free-folk de John Fahey (ou d'autres), on l'entendait chez les artistes pop? Absolument pas. Il a fallu attendre les années 90 pour entendre enfin l'influence de l'oeuvre de ces artistes, et encore, chez peu de gens, juste un épisodique Jim O'Rourke dans sa période pop, qui lui même sur le moment n'a inspiré presque personne.
Aujourd'hui, c'est différent. On a redécouvert ces artistes. On les a enfin mis sur le pied d'estal qu'ils méritaient. On a pu télécharger leurs albums introuvables. En conséquence de quoi, les voilà enfin inspirateurs de jeunes groupes. En effet, quand on écoute In Ear Park de Department Of Eagles, on les entend ces influences, elles sont là, vivantes, renouvelées. Le jeune duo américain l'a même parfaitement assumé et a mis le nom de quelques uns de ces artistes dans la liste de leurs influences. C'est ce qui fait que cet album est à la fois irrésistible, totalement paumé dans son époque et d'une richesse étonnante. Dire qu'on y entend l'influence de Van Dyke Parks serait un euphémisme : le morceau Teenagers mêle exactement de la même façon des mélodies venues du easy listening des années 50 avec des tas de petites idées musicales. La voix même, nasillarde et passée dans un pré-ampli étrange fait sonner l'ensemble comme un morceau inédit du compositeur dans les années 60. Quand le groupe se lance dans le petit tube No One Does It Like You, on entend des chœurs qui auraient pu être fait par Harry Nilson et Paul Mc Cartney à la grande époque (avec des "dom dom dom" graves façon Mills Brothers dans un music-hall) sur une ligne de basse toute simple au groove explicitement rétro. Et sur Balmy Night, ce banjo aux arpèges mélancoliques accompagné par des guitares acoustiques, c'est le même que celui qu'on peut entendre chez John Fahey dans les années 70, on en mettrait sa main à couper. Et pourtant, non, nous sommes en 2008, et In Ear Park a merveilleusement utilisé toutes ces influences venue de la culture folk des Etats-Unis pour créer un album à la fois paresseux et rêveur, qui fonctionne comme un tout, comme un espèce de voyage un peu lent dans une musique bizarre, aux ambiances juste ce qu'il faut de familières.
Mais dans le même temps, cet album ne s'est pas non plus fait uniquement dans un processus de mimétisme passéiste. Il y a aussi, et c'est là que cela devient vraiment intéressant, des éléments plus modernes dans cet album, et des influences plus récentes. Il faut dire que l'un des membres du duo est aussi présent au sein du groupe Grizzly Bear qui, si il a de commun avec ce side project un même goût des arrangements riches et des atmosphère douces, est un groupe qui penche plus vers l'électricité. C'est pour cela qu'en soit, on peut entendre du Grizzly Bear ici, mais on y entend parfois aussi des bribes de musique folk comme peut en faire Vic Chesnutt ou des morceaux pop aux influences Beach Boys mais passées par un filtre étrange comme chez Animal Collective. Il sera d'ailleurs bien ardu pour le critique de pouvoir clairement expliquer dans quel genre se place cet album, tant il navigue toujours à mi-chemin entre la pop, la musique folk, le rock (mais très doux) et un certain goût pour l'avant garde. Le très beau Classical Records est partagé entre une introduction hors rythme remplie de petits drones avant de se lancer dans des arrangements bizarres, comme une version pop d'un morceau de Gastr Del Sol. Et si cette chronique s'apparente finalement à un veritable name-dropping, ce n'est pas à tort et à travers. On entend ici une véritable somme d'influences parfaitement digerées ; le seul problème venant donc dans l'absolu du fait qu'on les entend autant, les cyniques disant qu'on n'entend que ça.
Mais dans l'absolu, peut-on blamer un groupe de vouloir se placer dans la continuité de tas d'artistes en même temps? Il me semble que non, bien au contraire, c'est même la force de cet album d'être parfaitement tributaire de musiques d'un passé proche tout en essayant de faire les choses de manière personnelle et originale, en mélangeant tout pour créer des choses magnifiques comme Phantom Others qui se termine en douce apothéose absolument parfaite. Parce qu'il est une étrangeté tout à fait accessible, parce qu'il contient de très beaux morceaux, parce qu'il forme un tout à part entière, In Ear Park est un très bon album, recommandé à tout ceux qui aiment la musique pop, tout simplement.
Emilien.
lien : http://www.myspace.com/deptofeagles
Extrait vidéo :
Un live sur un toit, à quatre, du morceau No One Does it Like You