Label : Domino Records
Sortie : 5 Mai 2008
5/5
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Les musiciens intègres d’Animal Collective ne cessent d’aller de l’avant. Sur cet EP, ils retrouvent le foisonnement expérimental de leurs albums sortis dans l’anonymat avant Sung Tongs, et prolongent en parallèle l’extase pop de Feels et de Strawberry Jam. S’il peut être considéré comme leur disque le plus abouti à ce jour, il est aussi le plus énigmatique. C’est un peu comme un film de David Lynch : les plus consternés par les milles enchevêtrements d’idées compliquées abandonneront dès le milieu, les autres tenteront de se déconnecter de leur confort habituel, pour tenter de s’acclimater à l’anormal et de comprendre l’inexplicable.
D’entrée de jeu, ce premier paragraphe pourrait faire passer Water Curses comme une musique complètement rasoir et décourageante. Mais il faut savoir que nos quatre sorciers font partie des plus grands faiseurs de mélodies vocales de notre époque. Leur musique repose avant tout sur cela : des suites de ritournelles enjouées, euphorisantes, imprévisibles, libérées de tout maniérisme. Et les paysages électroniques minutieux et bouillonnants qui tournent autour apportent une dimension éminemment visuelle.
Après le manège infernal du premier morceau Water Curses (il faut reconnaitre qu’on ne sait plus trop où donner de la tête après ces trois minutes tourbillonnantes), on entre dans des eaux troubles d’un calme trop suspicieux. Car en réalité, il y a dans ces vingt minutes de musique plus d’inventivité que dans la grosse majorité des albums indie surévalués que les Inrocks essaient de nous vendre chaque semaine. Si bien qu’il faut plusieurs écoutes pour être envahi par les ondes chamaniques du groupe. Ce mini-album n’est pas fait pour les auditeurs distraits : il s’écoute attentivement, pour s’imprégner de chaque son émanant des boucles électroniques marécageuses, des notes de piano en pluie et du chant méditatif ou illuminé d’Avey Tare.
Un voile de brouillard semble obscurcir notre esprit pendant tout le disque. L’effort nécessaire pour l’évacuer se révèle être un jeu passionnant. Pour saisir pleinement la force hypnotique de ce labyrinthe aquatique, il faut travailler l’écoute, s’accrocher aux mélodies, les penser, prendre ses repères. Beaucoup vont le reprocher : l’écoute de Water Curses n’a rien d’instinctif. Et c’est ainsi qu’on ira contre l’idée qu’une musique n’est valorisable que par ses simples effets directs sur l’auditeur. Une fois la partition déchiffrée, on comprend que tout est magistralement orchestré, structuré, que chaque morceau a un début, un milieu et une fin. On s’étonnera alors à se balader aisément parmi les chemins de traverses et les passages tortueux, comme si c’était notre propre terrain de jeu, et s’émerveiller devant les pics mélodiques saisissants (le gospel tropical à la fin de Cobwebs, les notes glissantes de Seal Eyeing), qui nous avaient totalement échappées auparavant. Après ce passage presque obligé, cette musique complexe peut alors se vivre pleinement. Qui mieux que les chamanes d’Animal Collective pouvaient transposer sur disque le principe du rite initiatique ?
François.
www.myspace.com/animalcollectivetheband
Extrait de l'album :
Animal Collective – Water Curses