Sortie : 29 Janvier 2008
3,5/5
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Qu'on veuille bien m'excuser de parler ici d'un album qui est sorti il y a presque un an, mais les années sont bien trop courtes pour qu'on réalise tout ce qu'il s'y passe. Pour sûr, on écoute certains groupes, on les manque pas, on est obligé de subir des choses fades dont tout le monde parle pour se rendre compte finalement qu'il faut faire attention aux mouvements de foule. Mais, dans le même temps, on rate pleins de trucs, et c'est soudain, quand on en arrive à faire le classement des meilleurs albums de l'année qui agonise, qu'on se demande si on a pas traversé l'année musicale comme un touriste au sein d'un voyage organisé. Alors la quête des albums qu'on aurait manqués commence, on erre entre les sorties, et parfois, par chance, on tombe sur un oublié de l'histoire, et si l'on comprend bien que personne n'en ai parlé, on se dit tout même qu'on aurait pu faire attention.
Le premier album de Diebold fait parti de ceux là, et c'est in-extrémis et par hasard qu'il m'est tombé dans l'oreille, par la magie de notre Internet tentaculaire, en ayant seulement connaissance de l'alléchant line-up de ce duo montréalais : d'un coté, Ian Ilavsky, qui joue de la batterie et de la basse, de l'autre Sophie Trudeau, chargée de la basse et de la batterie (les ordres sont importants). Pour ceux qui n'ont donc pas ouvert grands les yeux à la vue de ces noms, ces deux personnes ne sont pas n'importe qui : non seulement elles sont membres du groupe A Silver Mt. Zion, mais de plus Ian fit partie de Sofa, groupe sombre et rock bien trop méconnu signé sur l'influent label Constellation dont il est de surcroît le co-fondateur, et Sophie a été membre du légendaire collectif Godspeed you! Black Emperor, entre autres projets passionnants. Duo basse-batterie quasiment instrumental, Diebold a été fondé en 2002 avec pour principe (en gros et d'après eux) "de régler en musique les conflits d'ordre politique qui pouvaient opposer les deux membres du groupes quand ils vivaient ensemble en les maximisant par le son" (pour la question du sérieux de cette affirmation, c'est vous qui voyez). Et s'il a été enregistré de façon "live" sans public, sans aucun mixage ni overdubs (à part des voix dans le premier morceau) en 2005 et 2006, il aura fallu attendre le mois de Janvier dernier pour que cet album sorte sur le minuscule label crée par Sophie, Bangor Records (label sur lequel était déjà sorti un génial album du trio The Mile End Ladies String Auxiliary en 2005, dont je vous parlerais bien si seulement c'était mon sujet).
Il ne faut pas s'attendre ici à un énième album de post-rock ou des bruits épars émaillés de laborieux passages de musique concrète tout au long d'un album triste comme un sapin de Noël en février. Non, soyez prêt, Listen To My Heartbeast porte bien son nom, et est un album de rock, de gros rock, quasiment de stoner rock, avec des relents de noise rock, un album menaçant et brutal, pas si éloigné dans son esprit du duo Lullabye Arkestra (qui est lui même signé chez Constellation, tout se recoupe). Les six titres de cet album de 35 minutes (durée parfaite) sont pour la plupart assez simples : d'un coté, une basse sale mais pas fatigante non plus, souvent jouée par Sophie, qui lance des gros riffs passés parfois ensuite en boucle dans des pédales de delay pour construire des architectures primitives. De l'autre, une batterie qui tape et ne fait que ça, n'hésitant pas à faire des breaks hard rock façon groupe qui joue dans un garage.
Quand l'album commence, on est agressé par USaid et son ambiance gros metal lourd et ses cris sans fins. Tout est sale et bruyant et l'auditeur lambda se demande ce que l'il est venu faire là. Pourtant, si on se prend au jeu, il y a quelque chose d'absolument jouissif dans la manière dont ces morceaux agressifs sont joués, et derrière cette grosse déflagration sonique, il y a des sortes de jams géniaux qui sont au delà du cool. Ecoutez par exemple des morceaux comme Sure ou Baboum Kaka Chic, et tout de suite l'ambiance change, on est quelque part entre les gros grooves hardcore et des métriques irrégulières, on est happé par cette répétition hypnotisante de riffs. Comme dans une espèce de version déglinguée et rock'n'roll de Neu!, on sait que ce qu'on entend n'a rien de terriblement original, on sait qu'on écoute depuis 3 minutes le même riff, mais on s'en fout, la fureur est là. Encore mieux, parfois on décolle carrément comme avec le formidable morceau Opéra, qui évolue d'une composition garage sur laquelle on secoue la tête pour aboutir en grande apogée majeure, final façon mini-Lightning Bolt dont on a expurgé les doubles-croches. Et même durant le morceau-titre final qui joue beaucoup plus sur les larsens dans un ensemble expérimental à faire peur, il y a soudain cette batterie qui se met en branle et tourne en boucle, rappelant le premier album des Liars ou bien même une version lo-fi de PiL.
Sorte de pas de coté étrange de deux musiciens dont on aurait jamais cru qu'ils seraient un jour si primitifs et bruts, l'album de Diebold, s'il n'est en rien un classique instantané ou un chef d'œuvre en péril, est une découverte tout à fait réjouissante, qui concilie en un même tout cohérent une violence sonique assez physique et une ingéniosité plus cérébrale : c'est exactement ce que l'on peut espérer d'un album dont le volume reste dans le rouge constamment. C'est bien simple, si vous ne prenez aucun plaisir à écouter ces raids de sons crachés par des amplis bousillés, rendez vous à l'évidence : vous n'êtes pas rock. Pis! Vous êtes trop vieux.
Émilien.
Un lien : www.myspace.com/bangorrecords
Extrait audio :
Diebold - Sure