Pavement - Brighten the Corners: Nicene Creedence Edition
Label : Matador Records
Sortie : 9 Decembre 2008
Sortie originale : 11 Février 1997
L'album original : 5/5
La réédition : 4/5
Stephen Malkmus & The Jicks - Real Emotional Trash
Label : Matador Records
Sortie : 4 Mars 2008
4/5
Le premier morceau que j'ai entendu de Pavement, c'était We Dance. En intro, il y a une guitare acoustique jolie, des petites notes de piano éparses. Soudain, la voix de Stephen Malkmus se lance, légère, et débute un "There is noooo..." émotif et un peu freluquet. Mais, patatras, la seconde d'après, la suite d'accord s'effondre sur un accord de septième pas prévu, et Malkmus finit sa phrase : "...castration fear". Tout Pavement est là. Cet art de tomber à coté de ce qui est attendu pour donner quelque chose d'autre, d'infiniment plus cool. Les incompréhensibles paroles lâchées dans le phrasé mou de Malkmus, les guitares bizarres et noisy, l'ambiance enfumée de jeunes glandeurs, tout cela a fait de Pavement le groupe ultime du rock indépendant des années 90. Inspirant des tas de gens, un peu partout (ceux qui n'entendent pas du Pavement chez Blur à partir de 1997 sont sourds), le groupe a sorti 5 albums bordéliques, pop, brillants qui sont déjà rentrés dans le panthéon de la période, avant d'imploser au tournant du millénaire. Après quoi, il n'aura fallu que 3 ans pour que le processus de réédition-deluxe-boxset-machin se mette en marche, Matador ressortant progressivement toute la discographie du groupe dans des coffrets agrémentés de tas de faces b, d'inédits, de lives, de tout ce que vous voulez.
Quatrième album à bénéficier de ce traitement de luxe (avec une remasterisation qui ne s'entend pas, ahem), Brighten The Corners est sorti en 1997 après le très consistant Wowee Zowee. S'il allait vers des choses moins éparpillés, plus calmes, c'était en enrichissant le répertoire de Pavement de morceaux plus lents et mélancoliques, pour ce qui est peut être le meilleur album du groupe. Oh, évidemment, cette affirmation se discute, Malkmus lui même ne considérant pas l'album comme un "classique de Pavement". Mais Brighten The Corners montre Pavement dans son meilleur équilibre entre groupe un peu potache de rock décalé et musiciens brillants sachant parfaitement construire des morceaux plus complexes qu'on ne croit. La preuve dans un morceau comme Transport Is Arranged, dont la progression de jolie ritournelle triste à gros passage rock se fait avec une aisance incroyable, ou l'immense duo final Stralings of the Slipstream/Fin qui met en lumière des jeux de guitares parfaitement travaillés, illuminant des morceaux mélancoliques. Même dans ses passages les plus lents comme sur Type Slowly, le groupe réussi à produire de longs instants instrumentaux absolument magnifiques. Et pour ceux qui trouveraient que Pavement est un groupe mou, on leur fera écouter le tube ultime et tordu qu'est Stereo, l'hilarant Embassy Row, ou les chœurs pop de Passat Dream, histoire de bien leur montrer leur erreur. Malkmus est au sommet, sortant des phrases aussi parfaites que "You've been chosen as an extra in the movie adaptation of the sequel to your life", et à la basse, Mark Ibold (qu'on a vu récemment jouer en live avec Sonic Youth) n'a jamais été ausssi parfait avec ses lignes groovy que sur un morceau comme Blue Hawaiian.
Mais, et les ajouts de la réédition à coté de ce chef d'oeuvre mésestimé? C'est toujours le même problème. On a des morceaux/jams qui ne peuvent être appréciées que par un fan ultime qui les a, de toute façon, déjà entendues, et le Pavement-phile modéré devra donc faire le tri entre l'anecdotique et les trésors cachés parmi les 32 (!) bonus. On rigolera sur la version country de Type Slowly, ou sur des morceaux foutraques comme Cataracts, Wanna Mess You Around ou Westie Can Drum, mais il faudra surtout se pencher principalement sur les quelques perles cachées en face-b à l'époque : Then (The Hexx) et ses impressionnantes 7 minutes en apesanteur, le très beau Harness Your Hopes, les ensoleillés et pop No Tan Lines et Roll With The Wind ou le formidable Roll with the Wind. Ces quelques morceaux auraient mérités d'être sur l'album, et ce n'est que justice de pouvoir les découvrir aujourd'hui. Quand aux versions démo ou live, aux jams pas super utiles et juste rigolos enregistrés pour les radios, ça s'écoute une fois à tout casser, comme la majorité des trucs que les maisons de disques se sentent obligés de refourguer quand ils font des rééditions. Cela n'enlève rien au fait que c'est peut être le meilleur album pour découvrir Pavement, et en tout cas une des meilleures choses des années 90 qui méritait amplement cette réédition collector très bien faite.
Mais toute cette mythologie, matinée de nostalgie collective, nous ferait oublier que Stephen Malkmus fait toujours de la musique et a même parfaitement digéré l'après-Pavement, comme le prouve son dernier album, sorti cette année avec son groupe The Jicks, un backing band impeccable qu'a rejoint récemment l'excellente Janet Wess (batteuse de groupes merveilleux comme feu Sleater-Kinney ou Quasi). Vous allez me dire que je suis un Philippe Manœuvre en puissance qui parle toujours de "rock" (il faut bien prendre le relais d'un Rock&Folk agonisant qui met Guns n' Roses ou Kings Of Leon dans ses albums du mois, oh la la), mais Real Emotional Trash est justement un excellent album de rock, et je pèse mes mots, un album avec des solos de guitares parfois psychédéliques et super longs, des gros accords et des riffs tueurs, de la batterie qui tape fort et fait des breaks trop cools, et le tout sur un peu moins d'une heure.
Ce sera trop pour certains. Tout le monde ne goûtera pas les 10 minutes de l'épique morceau-titre par exemple, qui débute par une ballade très réussie mais qui, progressivement et via une accélération parfaitement calibré, se transforme en un tube implacable, se concluant par un solo virtuose entouré par des pianos martelés. On peut comprendre. On plaindra ces gens là. Dans cet album, Malkmus n'a rien coupé, il a laissé les solos (certains sur Hopscotch Willie ou Baltimore sont d'ailleurs assez impressionnants de maîtrise!), il a gardé tout les jams, et ce grand ado fan de prog-rock ne se refuse rien, quitte à bourrer son album jusqu'aux amygdales de passages instrumentaux qui n'ont aucun autre objectif que d'être jouissifs à l'écoute. Encore faut-il rentrer dedans. Mais n'allez pas croire que c'est un album de Steve Vai, dieu du ciel non, il y a aussi de la pop ici, comme du temps de Pavement (ah! vivre avec une légende sur le dos, quel fardeau!), marié avec un coté rock à guitare 70's dont on aurait enlevé tout le superflu : Dragonfly Pie qui ouvre l'album est à cet égard parfait, alternant guitares distordues et refrain sautillant ultime. C'est quand l'album joue sur ces deux aspects qu'on a le droit à des petits chef d'œuvres : Cold Son, Elmo Delmo, ou ce Wicked Wanda final, avec chœurs féminins et guitares qui touchent le ciel. Il est parfois même émouvant et doux à grand coup de pianos électriques, comme sur Out Of Reaches avec sa coda tristoune. En définitive, aucun morceau vraiment plus faible que les autres, des morceaux à la fois classiques mais jamais emmurés dans la tradition, avec l'ajout de "beaucoup de détails à discerner", des musiciens qui se comprennent parfaitement. Cela fait de Real Emotional Trash une des meilleures choses de l'année, tout simplement, et voilà pourquoi il fallait que nous vous en parlions, même 9 mois après.
Et puis, franchement, que voulez-vous, c'est Stephen Malkmus, c'est une voix, c'est une façon de chanter, c'est un type, c'est des mélodies parfaites, c'est une façon de lâcher un solo et c'est quand on se retrouve à répéter tout seul devant sa stéréo en secouant la tête des phrases comme "Shake me off the knife because I want to go home" ou "My baby baby baby baby baby gave me malaria, hysteria-ah" qu'on se rend compte qu'il est, et a toujours été, le mec le plus cool.
Emilien.
liens :
http://www.myspace.com/pavement
http://www.myspace.com/stephenmalkmus (on peut entendre son album en entier sur cette page)
Extraits audio-vidéo-stéréo de l'album:
Pavement - Stereo. Anti clip hilarant d'un tube parfait, qui vaut le coup rien que pour le plan absolument hilarant sur une cymbale au début du refrain, alors qu'on s'attendant à voir TOUT sauf ça.
Stephen Malkmus & The Jicks - Hopscotch Willie. Et ses solos fous, tout plein, partout!