J’arrive à Bucarest par un temps d’été. Un temps chaud, mais supportable et je trouve parmi les livres accumulés un ouvrage que j’ai également reçu en présent il y a quelques années : « La Roumanie vue par les Français d’autrefois ». Je m’étais bien entendu posé alors la question et de ces « Français » là et de « l’autrefois » en question.
L’ouvrage est ouvert par la préface d’un ambassadeur, Jean-Marie Le Breton, dont le nom fleure bon la France et qui possède le talent de son excellence, celui de trouver les mots les plus ornés pour décrire une connivence durable. « Ce n’est pas cette belle contribution à la pensée universelle que ce livre évoque mais il ne néglige pas ce qui en constitue le fondement. Les Français qui ont écrit sur la Roumanie ont, pour la plupart, souligné combien les liens entre Roumains et Français, dans leur spécialité, dans leur sphère d’intérêt, étaient profonds et riches. »
Je ne ferai ce soir aucun commentaire sur la manière peu glorieuse dont la France néglige d’aider les nouvelles générations roumaines à conserver la pratique et la culture du Français, mais je ne peux bien entendu pas oublier que ce pays qui a souhaité accueillir l’un des derniers sommets de la francophonie, vit certainement les années ultimes de cette connivence, au moins sur le plan de la pratique linguistique.Que font d’ailleurs les éditeurs francophones eux-mêmes pour donner une image tant soit peu cohérente de la littérature roumaine contemporaine aux lecteurs dans ma langue ?Bref, la nostalgie s’insinue là où le chantier s’arrête faute d’ouvriers spécialisés.
Année après année…et c’est bien le cas d’utiliser cette expression puisque cela fera bientôt un an que je n’avais plus atterri à l’aéroport Henri Coandǎ…je rassure ma propre connivence avec ce pays que je présente pourtant régulièrement par ses écrivains, sa mémoire troublante, ses cinéastes…et finalement si peu par son paysage.
Si peu en effet, sans doute parce que j’ai oublié de le parcourir comme je l’ai fait à la fin des années quatre-vingt dix grâce aux merveilleux amis qui m’ont ouvert leur porte et leur cœur. Trois années déjà depuis que j’ai pu faire une plongée émerveillée dans la profondeur de la Transylvanie. Bien plus d’années malheureusement en ce qui concerne le Maramures qui restera pour moi la plus belle des découvertes de ces quinze dernières années, à égalité avec les monastères et les églises peintes de Bucovine.
Je voudrais pourtant prendre plus de temps, un jour, pour décrire comment un agnostique comme moi a pu ressentir la force d’un lieu et la conviction de ses moniales, comme cela a été le cas par trois fois à Hurezu.
En dînant à l’arrière du bâtiment, puis en passant samedi soir devant le magnifique Palais Cantacuzinu – Musée ou Mémorial Georges Enescu, comme on préfère – à peine éclairé, mais dont les yeux des deux lions semblaient percer l’obscurité sous le reflet d’un auvent de toute beauté, je ne peux faire autrement que de revenir à Paul Morand.
« La leçon que nous offre Bucarest n’est pas une leçon d’art, mais une leçon de vie ; il enseigne à s’adapter à tout, même à l’impossible. » écrit en 1935 le futur ambassadeur en Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale, marié à une Roumaine, nommé par Laval, académicien français dont l’hostilité du Général de Gaulle repoussa le statut d’éternel jusqu’en 1968.
D’ailleurs si le début de la phrase est prémonitoire - laissons de côté la leçon pourtant magistrale d’art et d’architecture qu’offre la ville, la suite est tellement insupportable de bêtise que je ne veux même pas la citer. En substance, « Bucarest est resté gai » en accumulant comme une bête patiente tous les malheurs du monde. Bravo !
Bucarest est plutôt ce soir comme un fleuve paresseux, en vacances, où les plus jolies filles du monde coulent sur les boulevards, en sachant qu’elles sont les plus belles !Mais celles-là, à qui on souhaite une vie heureuse, parleront l’anglais et se ficheront bien de Paul Morand !
« La Roumanie doit travailler avec nous à la renaissance du latinisme ; elle doit, au contact du monde slave, jouer le rôle d’un filtre. Et celui qui écrit ces lignes, pénétré de gratitude pour un accueil inoubliable, n’a d’autre dessein que de collaborer modestement à cette tâche, heureux surtout s’il pouvait appeler sur la Grande Roumanie, sur la Roumanie enfin unifiée, l’attention et la sympathie des jeunes Français. »
Celui qui écrit ces lignes en 1925, peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’unité roumaine, sans savoir ce que voudrait dire un jour une récupération politique de la « Grande Roumanie » se nommait Edouard Herriot. Il était alors Ministre d’Etat.
Je m’attendrais à entendre des paroles comparables en provenance de mon pays ! J’ai peur d’attendre longtemps.