ROMANS ADO (à partir de 12 ans)
Editions Thierry Magnier, "photo roman",2009
Tout d'abord un petit mot sur cette belle collection : de courts romans qui lient écriture et photo ; les photos ont un lien avec le récit comme le dit la
quatrième de couverture : "une série de photographies dont il ignore tout est confiée à un écrivain. Il s'aventure alors dans l'écriture d'un roman où ces photographies croiseront la vie du
héros pour la transformer"
Ce récit est un bijou de sensibilité et de poésie. Martin n'a jamais connu sa maman qui a "fugué" lorsque qu'il était tout petit. Lorsqu'il participe à un atelier photo intitulé "Souvenirs
d'enfance", il est bien embarrassé car personne n'a de photos de son enfance. Qu'à cela ne tienne, il va faire avec ce qu'il a ; lorsque l'animateur de l'atelier demande de photographier "sa
mer", Martin l'interprète différemment ; lui, il va tenter de photographier sa mère, de la trouver dans le paysage, l'atmosphère, le ciel, la lumière....
Mais cela n'est révélé que progressivement : car tout commence un soir ainsi ; par un mail de la maman disparue qui déclare à
son fils qu'elle a beaucoup aimé ses photos sur son blog...Martin n'en croit pas ses yeux. Très perturbé par cette réapparition, il part tout seul dans la nuit pour mettre au clair ses
idées....
Au fur et à mesure qu'il déambule dans la nuit, il se remémore tout ce qu'il a inventé pour se souvenir de sa maman disparue : enfiler sa robe de mariée quitte à être pris pour un homosexuel et
ce fameux jour où il a tenté de photographier "sa mer" ou plutôt "sa mère"....
Les paragraphes font alterner monologue intérieur de l'adolescent à la découverte de ce mail surprise et les souvenirs liés à sa mère
lorsqu'il essayait sa robe de mariée ou le passé proche comme la naissance de l'expo photo.
Si bien que le lecteur découvre peu à peu la signification des photos prises par Corinne Mercadier : de magnifiques clichés marins alliant ciel, terre et atmosphère, aux silhouettes floues, où la
mer est loin, à l'horizon....
La mer comme métaphore de la figure maternelle que l'on cherche désespérément ....Très belle idée poétique de l'auteur d'avoir pris l'art photographique comme manière de dire et de chercher
l'absence, comme catharsis.
Nous avons l'impression de lire un peu une énigme que nous déchiffrons peu à peu : pourquoi cette robe flottant dans l'atmosphère sur ces photos, pourquoi cette persistance du flou ?
Une intrigue très subtile à l'écriture vaporeuse qui décrit des atmosphères nocturnes ou maritimes ; l'auteur excelle dans la description de l'intime à travers le monologue de Martin : phrases
très syncopées traduisant son désarroi dans la nuit ou au contraire description poétique des souvenirs, phrases courtes qui respirent, au rythme des alinéas, créant une typographie originale. La
fin reste totalement ouverte.
Une belle évocation des fêlures de l'enfance.
"Quand je ferme la fenêtre, Agathe dit je n'ai jamais vu la mer, moi non plus je réponds. Agathe me semble si proche que je réponds moi non plus, je dis
n'importe quoi, j'avais entendu mère.
Photographier votre mer, pourquoi il dit ça Pierre, encore une fois j'entends de travers, et ça me semble impossible.
....Nous passons nos heures sans les autres, nous ne disons pas grand-chose, rien de particulier, il y a le vent, le soleil, le ciel, surtout le ciel, ce week-end là, je découvre le ciel.
Le vent vient de l'ouest, il a tout lessivé, a poussé les nuages, les a tassés vers l'eau.
Le ciel est vide.
Et bleu.
Je fais quelques photos, de ce ciel lumineux, de cette lumière d'hiver qui me réjouit, pourquoi.
Cette sensation de saisir enfin, mais quoi.
Tu es absente.
Tu es absente de ce bord de mer
Et je respire
A fond
Il y a l'air qui circule, beaucoup.
Je sais qu'ici je ne te trouverai pas et le ciel s'élargit.
Ton corps, tes yeux, ta bouche ? Du vent tout ça, du vent
Tout disparaît, tu disparais.
Le ciel se libère de ta présence.
Le ciel est dépeuplé de toi, enfin, je le sais, je m'en fous, la lumière est si belle et Agathe est là.
De plus en plus Agathe est là.
...La mer est dans l'air, quoi, elle imprègne l'air totalement, c'est une évidence, nous sommes en bord de mer mais on ne la voit pas, toujours quelque chose empêche. Un digue, une dune, un mur.
La mer est derrière, brouillée, indéterminée, inaccessible. On ne peut la voir nettement. On la devine plus qu'on ne la voit.
Reste le bleu du ciel et la dérive de la lumière.
Reste la lumière des réverbères et la dérive de la nuit.
Jusqu'à cette photo. "