Tant de discours et d’expositions sur l’écologie peuvent être si ennuyeusement didactiques et prétentieux; en trouver une de qualité est comme une bouffée d’air frais. C’est le cas dans ce curieux musée, installé dans une vieille maison alors transformée en bunker sur ce qui fut la ligne frontière internationalement reconnue entre Israël et la Palestine de 1948 à 1967 et qui n’est plus qu’un chantier pour le futur tramway qui doit relier les colonies de peuplement juives dans les territoires occupés et le centre de Jérusalem. Le Museum on the Seam, entité ‘progressiste’, est aujourd’hui au sein d’un quartier ultra-orthodoxe où, le jour de ma visite, des fanatiques protestant, entre autres contre l’ouverture d’un parking le samedi, bloquaient la circulation, brûlaient des ordures et lançaient des pierres sur les quelques policiers présents, d’ailleurs très placides et tolérants à leur égard (bien différents de ce qu’ils sont 500 mètres plus à l’Est en cas de manifestation). C’est donc de manière assez incongrue dans la fumée des ordures que j’ai visité cette exposition sur la nature et l’écologie. D’ici à ce que le musée se fasse attaquer…
L’exposition explore la relation de l’homme et de son environnement et la plupart des pièces sont très pertinentes, tout en conservant une distance critique qui renforce leur valeur artistique. Mais, comme nous sommes à Jérusalem, rien n’est innocent et on ne peut faire abstraction de la situation d’occupation, même si elle est ici abordée plus du côté des ‘bons sentiments’ que du militantisme pur et dur. Au dessus de l’entrée du musée, cette inscription trilingue en néon de Dani Karavan “Les oliviers seront nos frontières” est une utopie nécessaire, loin des réalités quotidiennes et pleine d’espoir rêveur.
Dans une des premières salles, c’est l’accrochage, la juxtaposition de trois photographies qui est politique, tout autant que les photos elles-mêmes. A droite, Ministerium, Germany d’Andreas Gefeller : un grand format monotone, des cursives, des portes toutes identiques, un espace géométrique structuré, ordonné, avec à peine, ici et là, une touche de fantaisie, une affichette, un placard. En face, du même, une composition tout aussi méticuleuse, tout aussi quadrillée représentant le Mémorial de l’Holocauste : ces deux espaces classifiés, normatifs se font face dans un dialogue hermétique et tragique. Entre eux deux, le commissaire a choisi d’accrocher une vue du camp de réfugiés de Balata du photographe israélien Nir Kafri : désordre chaotique d’un misérable camp de réfugiés, scandé par des terrasses toutes homothétiques et des antennes paraboles; du linge flottant au vent, des gravats apportent une touche plus humaine dans ce paysage désespéré. Derrière le désordre apparent apparaît une forme d’organisation : cette photographie de l’occupation se trouve placée entre l’administration et l’histoire, entre le pouvoir et la mémoire, entre la répression et l’instrumentalisation et cet accrochage est tragique.
Ce n’est donc pas d’écologie au sens étroit qu’il s’agit ici, mais bien plus de l’interaction entre l’homme (la nation, dit le titre de l’exposition) et la nature. Une grande photographie de Wim Wenders a un titre tout à fait ‘classique’, évoquant une gravure du XVIIIème siècle, un tableau romantique ou une photographie de pèlerins à la fin du XIXème siècle : Jérusalem vue depuis le Mont des Oliviers. C’est bien Jérusalem et le Dôme du Rocher qu’on voit au fond, mais le premier plan est une décharge d’ordures : comment la modernité consumériste n’épargne rien, ou simplement un rappel que cette ville trois fois sainte est aussi habitée par des hommes et des femmes à la vie plus ou moins ordinaire, comme partout ailleurs.
La terre est, sous ces cieux, une obsession permanente et un objet de conflits constants (l’eau aussi, d’ailleurs) et cette ’sculpture’ de Rania Akel montre, sur un rayon de ruche, le mot terre, ‘Ard‘ en arabe. La violence de l’inscription et la simplicité du motif sont très impressionnants : la terre est aussi un enjeu politique, l’écologie est aussi une arme (on le voit avec la politique d’Israël créant des réserves naturelles en Palestine pour en chasser les habitants sous prétexte de protection de la nature, annexant de facto ces territoires).
Beaucoup de belles photographies de Roi Kuper et de Gilad Ophir (la série Necropolis, signe de l’empreinte militaire sur le paysage), de Nir Kafri (le mur de séparation, encore et toujours) et de Miki Kratsman (avec d’étranges petites cibles de tir dans un paysage idyllique). Une vidéo (Microcosm) et une composition (d’après Le Jardin des Délices de Bosch) de Miao Xiaochin pour nous interroger indirectement sur la destruction industrielle de la nature. Et cette superbe installation (What) de Micha Ullmann, dont j’avais raconté il y a un an les performances de transplantation de terre entre un kibboutz et le village arabe voisin : ici, nous avons toujours de la terre, rouge, grasse, fertile sans doute, mais elle est enfermée dans un caisson cercueil. Des dépressions coniques ont été creusées dans cette mer rouge pulvérulente, et au fond de chacune, un trou, plus ou moins grand, par lequel le sable a pu s’écouler : ce sont les orifices du corps d’une femme, c’est un paysage humain, c’est une réflexion tragique sur la maternité et la mort, la vie et l’écoulement. Le creux, le cône inversé prend ici une dimension poétique, presque mystique très émouvante.
Un autre creux, plus immédiatement dramatique, apparaît dans l’escalier menant à la terrasse sur une toile de Xu Shun, The Pit. Sommes-nous en Chine, à Sderot ou à Gaza ? Ce trou mystérieux et menaçant au milieu du village est-il le résultat d’une bombe, d’un missile, d’un effondrement ? Est-il dû à la violence des hommes ou à leur incurie ? Les teintes douces et floues du tableau semblent contredire la violence de l’image énigmatique.
Sur la terrasse, malgré les cris des manifestants et la fumée des ordures qu’ils brûlent, le Laboureur d’Ahmad Canaan, cet homme-charrue, surplombe la ville, magnifiquement : cette terre est celle de ceux qui la cultivent avec amour, qui transforment les épées en charrues; où sont-ils ?
Toutes les photos (excepté Ahmad Canaan, de l’auteur) courtoisie du MOTS.
Ce blog va fonctionner au ralenti pendant les prochains quinze jours, je suis en Palestine.