J'ai été récemment " tagué " par Humanidem et H16 dans une " chaîne " où il s'agit, comme notre président de la République, de poser une ou plusieurs questions commençant par : " Est-ce qu'il est normal... ? ". Remarque liminaire : la véritable formulation sarkozyenne est : " Est-ce que vous trouvez normal... ? ". Passé ce détail, et puisqu'il faut honorer cette chaîne, l'actualité me donne l'occasion de poser une question qui me semble capitale : est-il normal que, dans un pays démocratique, existe une loi - et ses filles - instituant un délit d'opinion ? La loi Gayssot est de ce genre. J'ai déjà écrit ici que je suis favorable à son abrogation :
Je suis contre toute forme de loi " mémorielle ", de la loi Gayssot à celle sur le génocide arménien, en passant par la loi Taubira sur l'esclavage [...] ou encore celle sur le rôle positif de la présence française outre-mer. [...] Ce n'est pas au législateur d'écrire l'histoire, c'est aux historiens de valider ou d'invalider une analyse historique. De telles lois sont dangereuses, car écrites selon les préoccupations du moment, dont la périlleuse volonté de satisfaire telle ou telle communauté, comme la loi sur le génocide arménien le prouve bien. Non seulement restreignent-elles la liberté de l'historien, mais elles ouvrent pour ainsi dire la " boîte de Pandore " de la concurrence victimaire et de la surenchère mémorielle.
L'interview donné par Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), à Mediapart, en fin de semaine dernière, me donne l'occasion de revenir sur la question. Pour M. Prasquier, le procès Fofana n'aurait pas dû être confié à Philippe Bilger*, parce que l'avocat général est opposé, à titre personnel, à la loi Gayssot. Et cette inclination personnelle expliquerait pourquoi il aurait, selon M. Prasquier, " minimisé l'antisémitisme " ayant motivé le meurtre d'Ilan Halimi, alors que cette charge a été retenue contre Fofana (au passage, j'aimerais qu'on m'explique en quoi un crime est plus grave lorsqu'il a une motivation raciste). Il n'a visiblement pas effleuré M. Prasquier que si Philippe Bilger est contre la loi Gayssot, c'est peut-être parce qu'elle est, d'une part, liberticide, mais encore, et c'est le plus grave, la mère de toutes les lois liberticides de ce genre. Que, plus simplement, être opposé à cette loi scélérate n'impliquait nul négationnisme ni antisémitisme.
La perversion de la loi Gayssot va plus loin : en rendant pénalement condamnables des propos révisionnistes et négationnistes, dont le score électoral troublant d'une liste notoirement antisémite dans des villes de banlieue prouve qu'ils rencontrent une certaine audience, elle oblige les antisémites à maquiller leur discours et à le rendre acceptable à une frange manipulable de l'opinion publique. Ce faisant, elle empêche que l'on puisse, au grand jour, savoir qui est réellement négationniste et antisémite en France. Et comme elle constitue une loi d'exception, elle sécrète en retour de l'antisémitisme. Élisabeth Lévy a eu raison d' écrire ceci : " Quant au spectacle de "responsables communautaires" sommant le Garde des Sceaux d'ordonner au Parquet de faire appel et de celle-ci s'exécutant - pouvait-elle faire autrement ? -, il ne peut avoir que des effets dévastateurs dans l'opinion et en particulier dans la fraction de celle-ci qu'il s'agit de rééduquer, je parle de nos jeunes antisémites de banlieue. Ils pensaient que les juifs sont puissants et tirent les ficelles de la politique ? Ils ne sont pas près de réviser leur jugement. " Il est navrant que M. Prasquier, qui s'alarme à juste titre de la montée de l'antisémitisme, n'ait pas le peu de clairvoyance nécessaire pour voir que la loi Gayssot n'est pas une sauvegarde, mais bien au contraire un verrou, qui occulte la réalité du phénomène qu'il entend combattre. Il y a aussi cette tendance si française à avoir toujours une " guerre de retard " : et à penser que la montée de l'antisémitisme est due à on ne sait quelle nostalgie de l'État français de Vichy, et non, comme cette affaire l'a prouvé aux belles âmes, à une importation du conflit entre Juifs et musulmans du fait d'une immigration extra-européenne massive et de la re-tribalisation de la société. Que seuls les Juifs sont concernés par ce péril, et non également ceux qu'un maire socialiste qualifiait très récemment de Blancs, de Whites, de Blancos.
Roman Bernard
* Que j'ai eu l'honneur d' interviewer en avril dernier.
À mon tour de taguer Didier Goux, Hank, Le Chafouin, Paul Guignard, Pierre Robès et Reversus.