Loi ou décret ?

Publié le 20 juillet 2009 par Malesherbes

Notre langue est particulièrement précise, à tel point qu'elle fut pendant longtemps la langue de la diplomatie. Ainsi, la conjonction de coordination et qui unit deux éléments implique qu'ils soient tous deux présents. Examinons l'article L. 3132-25 du code du travail qui stipule :

Sans préjudice des dispositions de l'article L. 3132-20, les établissements de vente au détail situés dans les communes d'intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel "

Vous pouvez admirer au passage l'habilité de la formulation, qui parvient à dissimuler la réalité, une privation, sous le masque d'un don, celui du repos. On peut aussi remarquer que les établissements ne donnent rien, ils ne font que se soumettre à ce que prescrit la loi : ils accordent un repos hebdomadaire. Mais il y a surtout lieu de s'interroger sur la localisation des établissements ainsi désignés et en particulier sur la nature de ces zones touristiques.

Si elles comprennent plusieurs communes, dont certaines sont d'intérêt touristique ou thermales, et d'autres ne le sont pas, ces dernières ne peuvent bénéficier de cet article, étant donné que, si elles sont bien dans une zone touristique, elles ne sont pas également d'intérêt touristique ou thermales. Remarquez bien l'élégance de la formulation, c'est la commune qui est éventuellement thermale, pas l'intérêt.

Inversement, si une telle zone touristique n'est qu'une partie d'une commune, deux cas se présentent : ou bien cette commune est elle-même d'intérêt touristique ou thermale, et l'article en question peut lui être appliqué, ou bien elle ne l'est pas, et par la grâce de cette merveilleuse conjonction et, elle y échappe.

En fait, il est vraisemblable que ce que nos distingués législateurs voulaient dire soit : " les établissements de vente au détail situés dans les communes d'intérêt touristique ou thermales ou dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente " et, pour lever l'ambiguïté introduite par la proximité de deux conjonctions ou, le plus simple était d'écrire : " les établissements de vente au détail situés dans les communes [...] et ceux situés dans les zones touristiques [...]

Même rédigé ainsi, cet article recèle encore plusieurs imprécisions. Qu'est-ce qu'une affluence exceptionnelle ? C'est une affluence qui fait exception. Mais exception par rapport à quoi ? Dans le temps ou dans l'espace ? S'il existe des zones commerciales qui, le dimanche, sont plus souvent ouvertes que fermées, leur affluence ne saurait être exceptionnelle. Peut-être nos députés veulent-ils qualifier ainsi une affluence importante mais, en pareil cas, il convient de définir à partir de quel niveau une affluence peut être dite importante. Autre interrogation : qu'est-ce une zone d'animation culturelle permanente ? par quoi se caractérise une animation ? quelle manifestation est culturelle, une course automobile, un tournoi de pêche, une compétition de pétanque, une brocante ? et qu'entend-t-on par permanente, tous les jours, tout au long de la journée, avec ou sans interruption ? Autant de flou laissant aux autorités toute liberté pour mettre en pièces le repos du dimanche.

Ce même article L. 3132-25 poursuit ainsi : " La liste des communes [...] et le périmètre des zones [...] sont établis par le préfet sur proposition de l'autorité administrative visée à l'article L. 3132-26, après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d'employeurs et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, des communautés d'agglomération et des communautés urbaines, lorsqu'elles existent. " A nouveau, formulation fallacieuse qui, cette fois, laisse moins place au doute. On consulte d'abord mais rien n'indique que les avis des différentes entités interrogées seront pris en compte, quand bien même ils seraient convergents.

Enfin : " Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article ". Nous voilà pleinement rassurés