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Jouer avec le feu, la sensibilité au service de la brutalité

Par Christophe Greuet

Passé relativement inaperçu au cours de la rentrée littéraire, le premier roman de Phil Lamarche n’en est pas moins la promesse d’un auteur à suivre. Dans Jouer avec le feu, le jeune américain de 31 ans fait un portrait sensible de la jeunesse rurale. Son écriture toute en demie-teintes lui permettent de traiter avec justesse un sujet aussi sensible que violent.


Au cœur d’un village de Nouvelle-Angleterre frappé par la crise, Ted McClare, un adolescent de 14 ans, partage ses journées entre petits forfaits avec ses copains et entrée au lycée. Juste avant la rentrée des classe, il invite chez lui deux jeunes frères. Le désœuvrement les amène à jouer avec le fusil des parents de Ted. Pendant un moment d’inattention de ce dernier, Kevin tue accidentellement son cadet. Une enquête criminelle plonge alors la famille McClare dans une tourmente silencieuse. Mais dès ses premiers jours de lycée, le discret Ted est approché par « Les jeunesses américaines », un groupe d’adolescents d’extrême droite. En proie au doute, Ted plonge néanmoins dans un quotidien violent qui le capte de plus en plus.
Dès les premières pages, on comprend que Phil Lamarche n’a pas choisi de céder au sensationnalisme et au pathos qui plombent parfois les fictions centrées sur l’adolescence difficile. On trouve dans Jouer avec le feu des descriptions toujours justes de la vie des habitants de ce petit village pris au piège entre une terrible crise frappant sa fragile économique, et une urbanisation galopante qui fait gronder la colère de nombreux habitants “historiques”.
Mais dès que les personnages adolescents apparaissent dans le texte, la violence surgit. Pourtant, celle-ci trouve naturellement sa place dans le quotidien de ces derniers, sans que l’auteur ait besoin d’alourdir sa plume. Le ton de leur vie de tous les jours est donné, et l’on comprend que la placidité n’aura pas ici droit de cité. Pourtant, tensions du climat et violences des actes ne riment pas avec une écriture brutale qui mettrait le lecteur à l’épreuve. Pour preuve : lorsque surgit l’événement clé du récit, et incontestablement le plus lourd de conséquences, l’auteur choisit de taire les détails. Le personnage de Ted regarde ailleurs, comme pour entraîner le lecteur hors-champ, enfermant le factuel dans une boite noire inviolable.
Peu à peu, le cours du récit écarte temporairement les personnages des faits bruts pour les amener sur le terrains des doutes moraux et sentimentaux. Phil Lamarche se découvre à cet instant comme un grand écrivain en devenir. Si l’on peut lui reprocher un conformisme un peu trop poussé dans son développement du récit, il n’en demeure pas moins un peintre utilisant avec maestria toutes les palettes de couleurs à sa disposition. Là encore, c’est dans sa retenue que l’auteur fait mouche : jamais un embryon de jugement est porté, alors que le lecteur assiste aux mutation extrêmes des sentiments des personnages. Toute cette sensibilité de traitement d’un sujet si brutal fait de Jouer avec le feu un livre à découvrir sans crainte.

« Jouer avec le feu » de Phil Lamarche, Ed. Christian Bourgois, 250 pages, 25 €


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