Quoi, vous ne connaissez pas Karkwa ? Parce qu'ils sont Québécois ? Depuis sa fondation, il y a une dizaine d'années, le groupe n'est certes pas souvent passé chez nous. Seul le troisième album, "Le volume du vent", est distribué. Leur deuxième, "Les tremblements s'immobilisent", un chef-d'œuvre, n'est toujours dispo qu'en import. Outre cet album, ce qui nous a convaincu de la puissance Karkwa, c'est leurs prestations aux Francos de Montréal 2007: sur trois soirs au Club Soda, le groupe a montré autant d'aspects : acoustique, électrique et symphonique. A chaque fois fantastique. Aux dernières Nuits Botanique, pareil : fantastique.
Karkwa se compose de Louis-Jean Cormier (guitare et voix), François Lafontaine (claviers), Martin Lamontagne (basse), Stéphane Bergeron (batterie) et Julien Sagot (percussions). C'est le premier qui a la langue la plus pendue. Entrevue à lire avec cette pointe d'accent qui fait le délice de la conversation avec nos frères de là-bas.
Vous dites être des mordus de l'arrangement...
C'est là que Karkwa s'épanouit le plus. L'écriture se fait souvent de façon assez personnelle, certains arrivant avec une musique déjà très élaborée par exemple, sur laquelle je vais coller un texte. Mais là où Karkwa prend tout son sens, c'est vraiment quand les cinq musiciens se rencontrent pour dire : qu'est-ce qu'on fait ? Où amenons-nous cette chanson? La beauté de cela ? Celui qui arrive avec une chanson déjà complète a une idée préétablie du résultat. Le plus thrillant, là-dedans, c'est qu'on la pousse vers les autres garçons, et ça fait un truc qui est carrément différent de ce qui était pensé au départ. C'est la part de tous les autres gars.
Quel est le processus créatif ?
Tout est possible, on écrit dans un jet, c'est parfois n'importe quoi, pour trouver des images qui prennent un sens. Des fois, la musique va être arrangée complètement avant même d'y coller un texte, et puis l'arrangement va nous donner les couleurs ou nous faire penser à une thématique, tsé, comme la guerre. Et voilà, on écrit là-dessus. Cela fait un beau mariage entre musique et texte, mais c'est plus difficile aussi, parce qu'on est prisonniers d'une mélodie ou des accents toniques. Coller les bons mots aux bonnes places. Créer dans la contrainte est aussi un truc que les gens oublient. Avoir un chemin à suivre, c'est vraiment le meilleur moyen de créer. Souvent les gens ne savent par où commencer et alors c'est ce que je leur dis : créez-vous un genre de protocole, donnez-vous des défis.
Quelle est l'origine de Karkwa, car vous aviez tous une carrière avant ?
Les cinq gars de Karkwa se sont rencontrés au travers d'autres projets. Ce qui nous a amenés à nous rassembler ? Etre le meilleur groupe planétaire. Ni plus, ni moins. On avait la ferme intention d'amener ça le plus loin possible...
Comme en Belgique...
En Belgique, par exemple... Mais en même temps, par rapport à l'identité sonore, à la direction artistique, on ne savait pas ce que ça allait donner. On aimait tous les styles de musique et on voulait pratiquement le prouver aux gens, mais de façon relativement maladroite. En faisant l'album "Les tremblements s'immobilisent", on a eu, tous les cinq, le désir de faire un truc vraiment homogène, concis, très simple. Revenir à la base des chansons.
Chansons qui ont souvent un contenu social...
Le premier engagement qui nous tient à cœur, c'est celui dans l'art : le côté innovateur, rafraîchissant. C'est une forme d'engagement tant qu'à moi, parce qu'il y a tellement de variétés, de chanson populaire et commerciale : se tenir en marge et tenter de gratter dans les coins inexplorés, c'est s'engager. Dans un second temps, nous sommes tous, dans la vie, engagés socialement ou politiquement. Avoir une cause trop précise ne nous branche pas, sinon, les choses deviennent obligatoires. On veut pouvoir continuer à faire des chansons d'amour ou absurdes.
"Pili pili" est, par exemple, une chanson absurde, mais qui traite du vol d'organes. Le sujet lui-même est engagé, mais tellement tire-bouchonné dans des images obliques... Karkwa travaille dans la suggestion d'images, d'histoires. "Echapper au sort", c'est le parcours d'un SDF qui se termine tragiquement. Un jeune qui meurt dans la rue, on ne devrait plus être rendu là aujourd'hui, et pourtant ça arrive encore. Jusqu'à un certain point, ce n'est même plus de l'engagement, mais du gros bon sens.
Karkwa en concert le 21 juillet aux Francofolies de Spa et le 30 octobre au Botanique à Bruxelles. Album "Le volume du vent" chez Audiogram/Bang !
Interview réalisée par Dominique Simonet pour La Libre Belgique, mis en ligne le 20/07/2009