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Notre génération qui demandait la lune

Par Argoul

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Eduquée à Jules Verne et Hergé, optimiste après les guerres, explosant de jeunesse démographique, notre génération a demandé la lune. Et elle l’a obtenue. Deux systèmes de rationalité purement occidentale se sont même mis en compétition pour y parvenir : le socialiste et le libéral. Devinez qui a gagné ? Non pas le collectivisme politique planifié d’une élite cooptée pour discipline, mais la liberté un tantinet anarchique des chercheurs venus d’horizons divers avec des idées originales, mises en musique par un Président charismatique. Revanche des pionniers sur les assis du vieux continent, revanche de la jeunesse démocrate sur les cacochymes de parti, revanche de l’organisation librement consentie sur la contrainte d’Etat. A l’heure où certains se proclament « résolument » antilibéraux (c’est-à-dire pour la contrainte d’Etat), il n’est pas inutile de le rappeler.

Ce n’était que le début d’un processus. Si l’URSS a été la première à envoyer dans l’espace un satellite artificiel, peu après ma naissance, c’était pour des motifs militaires et paranoïaques, pas pour le bien de l’humanité. Orwell l’avait montré : plus on affiche la paix, plus l’on prépare la guerre ; plus on parle d’humanité, plus l’on agit en inhumain bureaucrate et partisan. Kennedy, jeune Président démocrate d’une Amérique optimiste de sa jeunesse, a trouvé dans la conquête de la lune une nouvelle frontière. Il a lancé le mouvement, qui n’avait pas besoin d’une orchestration de parti pour rouler ensuite tout seul. Apollon, le dieu de la lumière et de la raison, a été le parrain de l’épopée. Le 21 juillet 1969, à 3h56 en temps universel, Neil Armstrong fut le premier humain à fouler le sol lunaire pour de vrai.

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J’avais 14 ans et j’étais en vacances en famille en Espagne, dans un camping d’Alicante. Il a aujourd’hui disparu pour cause de grands immeubles avec vue « imprenable » sur la mer. Nous n’avions pas la télé sous la tente et la radio ne parlait pas cette fois autant que les images. Il a fallu attendre le lendemain au réveil pour que les jeunes Espagnols, fils des gérants du camping, me disent ce qu’ils avaient vu – en noir et blanc. Neil au bas de l’échelle du Lunar Module, testant d’un pied incertain le sol qu’il attendait mouvant. Puis y plaquant le pied, puis deux, effectuant quelques pas… Apollo 11, propulsé de Cap Kennedy dès le 16 juin par une fusée Saturn V, avait accompli sa mission. De la capsule s’était détaché le module qui venait « d’alunir » – première fois qu’un mot possible décrivait une réalité réalisée. Il était 21h17 en France. Un mot nasillé à la radio, probablement préparé longtemps avant, fit le tour de la planète : « c’est un petit pas pour un homme, mais un grand pas pour l’humanité ».

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Aluni dans la mer lunaire de la Tranquillité, l’équipage des trois cosmonautes atterrira dans l’océan terrestre Pacifique le 24 juillet. Quel symbole ! La force tranquille revenait pour la paix, bien avant le simulacre médiatique de la guerre des étoiles. Neil Armstrong et Edwin Aldrin rapportaient 30 kg d’échantillons lunaires après avoir passé 21h36 à en fouler le sol, surveillés depuis la capsule par Michael Collins. Neil Armstrong était le seul civil des trois – le fait qu’il ait été choisi pour poser le premier le pied sur la lune est aussi un symbole. Suivront plusieurs missions jusqu’en 1972 où Apollo 17 terminera le cycle. Eugen Cernan et Harrison Schmitt seront les derniers, jusqu’à ce jour, à avoir marché sur la lune durant 22 h et 5 mn.

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De 12 à 17 ans, j’ai suivi avec passion cette épopée lunaire. Elle prenait la suite naturelle de l’épopée de l’aviation chantée par Saint-Exupéry et Mermoz. J’achetais en kiosque la revue ‘Ciel et espace’, je suivais à la télévision le feuilleton des ‘Chevaliers du ciel’. J’avais dévoré bien sûr Jules Verne et Hergé, puis abordé la science fiction avec Ray Bradbury et Isaac Asimov. Le ciel, c’était l’espace ouvert, la quintessence de la liberté, la grande aventure humaine depuis les cavernes qui se poursuivait. Bien loin des petites querelles d’ego politiciens, habiles à manipuler la générosité des peuples pour servir leurs intérêts de caste. C’était l’époque hippie vivant de sexe, d’herbes et d’eau fraîche, celles des routards libérés des frontières, mais aussi celle des scientifiques qui reculaient les brumes de l’ignorance. J’avais 14 ans et l’univers entier s’ouvrait tout neuf devant moi. Je m’en souviens comme si c’était hier.


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