L'hypothèse vient de Marianne2. Quand la Cour des Comptes a publié ce louable premier rapport d'audit sur les dépenses de l'Elysée, nombreux ont été celles et ceux à relever cette troublante révélation: un cabinet d'études a bénéficié, sans appel d'offre et sur la base d'un contrat simplissime (une maigre page), d'une mission facturée 1,5 millions d'euros en 2008. Dans les heures qui suivirent la publication de ce rapport (que vous pouvez lire ici), Marianne2 a émis l'hypothèse que Patrick Buisson était l'heureux bénéficiaire de cette prestation. Une hypothèse confirmée par Libération et Mediapart.
Qui est Patrick Buisson ?
Ancien journaliste de MINUTE, directeur de la chaîne Histoire, chroniqueur politique à LCI, Patrick Buisson est un journaliste expérimenté évidemment classé à droite. Il a un temps été directeur de la Sepa, la société éditrice de disques de Le Pen, et auteur d'OAS, histoire de la résistance française en Algérie. En septembre 2007, l'homme avait été décoré de la Légion d'Honneur par Nicolas Sarkozy en personne. Christophe Barbier, le directeur de la rédaction de l'Express, témoin de la scène, raconte :
"Nicolas Sarkozy remet la légion d’honneur à Patrick Buisson, spécialiste de l’opinion très adroit et très à droite. Le discours est sincère, profond, touchant, très réussi. Dans cet Elysée où le protocole, c’est palpable, s’est allégé et simplifié (enfin !), le moment ne manque pas de chaleur. Le président évoque les temps forts de la campagne, quand l’avis de Patrick lui fut si précieux : les incidents gare du Nord, le ministère de l’Identité nationale, la pédophilie « innée », l’invocation de Jean-Paul II… Le duo s’est durci au feu électoral, comme il s’était formé sur un autre moment fort : neuf, , mais avant le 29 mai 2005, Patrick vient dire à Sarkozy, place Beauvau : « Le non va gagner par 55%. Si je me trompe, vous ne me reverrez plus jamais ».
Il y a, bien sûr, le vieil adage selon lequel "un journaliste décoré, c'est un journaliste de moins"; mais le talentueux polémiste, constant et frondeur, qu'est devenu Patrick Buisson au fil des ans (le fameux "Buisson ardent") l'éloigne de cette grille d'accusation. Sarkozy, d'ailleurs, contourne habilement l'obstacle. "Patrick est un journaliste de conviction, ce qui est rare; Patrick est un journaliste de grande culture, ce qui est très rare", dit le président, pointant deux vérités. "Et si les convictions de Patrick le portaient à droite, cela ne ferait qu'équilibrer ceux que leurs convictions portent ailleurs".
Patrick Buisson a depuis créé son cabinet d'études, Publifact. Cet institut a notamment cosigné avec OpinionWay, une enquête sur l'appréciation des voeux de Sarkozy, en janvier 2008, publié par Le Figaro.
Ce que dit la Cour des Comptes
L'analyse de la prestation de ce cabinet "non identifié" est détaillée dans les pages 11 et 12 rapport de la Cour des comptes.
1. L'Elysée a confié de manière désinvolte et sans respect du code des marchés publics un contrat de 1,5 millions euros à un cabinet. Certains journaux confirment ce cabinet est celui d'un proche ami de Nicolas Sarkozy.
2. L'Elysée a financé les baromètres bimensuels réalisés par OpinionWay, et publiés par le Figaro et LCI, les fameux "Politoscope", pour 392 000 euros en 2008. L'Elysée a toujours fait mystère de ce financement. Interrogé dimanche 19 juillet sur Europe 1, le secrétaire général de l'Elysée ne nie pas les faits. Il confirme au contraire. Mais il a expliqué qu'il s'agissait d'une coïncidence si les sondages commandés par l'Elysée se retrouvaient ensuite publiés dans la presse:" On commande des sondages, si des journaux veulent acheter les mêmes, nous on n'y peut rien. Ce qui nous intéresse, c'est de voir ce qu'il y a derrière, les analyses fines."
3. Quinze autres sondages, facturés à l'Elysée, ont été également publiés mais partiellement. l'Elysée a donc doublement manipulé l'opinion: une première fois en masquant son intervention, une seconde en censurant une partie des réponses obtenues. Denis Pingaud, d'OpinionWay, confirme: "Comme tous les instituts, OpinionWay peut commercialiser les résultats détaillés des études réalisées pour des médias."
Également visé par cette polémique, l'institut Opinionway a envoyé au front son vice-président exécutif (embauché en 2008 comme caution "de gauche"): " tous ceux qui me connaissent, savent que mes inclinations politiques ne sont pas à droite". Concernant les études élyséennes, il apporte une information complémentaire : les sondages Politoscope sont facturés 50 000 euros au Figaro et à LCI, quand l'Elysée, relève la Cour des comptes, paye près de 400 000 euros.
L'institut a également publié sur son site un communiqué dans lequel il conteste les conclusions de la Cour des Comptes : "une autre prestation réalisée par OpinionWay est citée dans les conclusions de la Cour des Comptes. Cette prestation différente correspond à des questions confidentielles posées régulièrement dans l’enquête omnibus (enquête unique rassemblant des questions achetées par des clients différents, bénéficiant ainsi d’économies d’échelle) d’OpinionWay. Elle concerne également la commercialisation des tris détaillés par catégorie de population des résultats de nos enquêtes publiées, comme le font depuis longtemps la plupart des instituts d’études. Contrairement à ce que laisse entendre la Cour des Comptes, cette autre prestation ne correspond donc aucunement aux questions financées par LCI et Le Figaro."
S'il est avéré, ce financement occulte est carrément illégal quand il concerne des sondages ayant un lien direct ou indirect avec une élection. La loi n°77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de ces sondages d'opinion impose la transparence totale des commanditaires (article 2). Or certains baromètres du "Politoscope", mentionnés par la Cour des Comptes, publiés avant les élections (municipales ou européennes) tombent sous le coup de cette obligation légale de transparence.
"La publication et la diffusion de tout sondage tel que défini à l'article 1er doivent être accompagnées des indications suivantes, établies sous la responsabilité de l'organisme qui l'a réalisé :
Le nom de l'organisme ayant réalisé le sondage ;
Le nom et la qualité de l'acheteur du sondage ;
Le nombre des personnes interrogées ;
La ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations ;
Une mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice prévue par l'article 3."