Des cas de coma éthylique sont signalés dès l'âge de 12 ans, selon un rapport de l'Académie de médecine.
« MAMAN, je suis à l'anniversaire de Sophie. Un garçon de 13 ans est devenu tout blanc avant de tomber par terre, après avoir bu de la vodka. On n'arrive pas à le réveiller. Que faut-il faire ? », demande en tremblant au téléphone, vers minuit, Mathilde, 12 ans. Les parents d'adolescents, quelle que soit leur origine socioculturelle, perçoivent avec une certaine impuissance le niveau inédit d'alcoolisation actuelle des jeunes. Combien de comas éthyliques chez des moins de 16 ans en France ? S'il n'y a pas de statistiques précises, la situation est devenue préoccupante, comme en témoignent entre autres les forums de discussion sur ce sujet sur Internet.L'Académie de médecine a décidé de se saisir du sujet. Elle a présenté la semaine dernière un rapport, qui devrait servir de base à une nouvelle action de prévention conjointe de l'Académie de médecine et du rectorat de Paris dans les collèges et les lycées.
« L'alcool est la première cause de mortalité évitable chez les jeunes », souligne le professeur Roger Nordmann, membre de la commission addictions de l'Académie de médecine. L'enquête Escapad 2005 (enquête sur la santé et les comportements lors de l'appel de préparation à la défense) souligne que déjà à 17 ans, 18 % des garçons (et 6 % des filles) boivent de l'alcool régulièrement : 46 % de ces mêmes jeunes déclarent en avoir consommé de manière excessive (c'est-à-dire plus de quatre verres standards, de façon ponctuelle, selon les normes de l'Organisation mondiale de la santé) au moins une fois au cours des trente derniers jours.
Le «binge drinking» en hausse
Mais le plus préoccupant, c'est le développement du binge drinking, un terme anglo-saxon pour désigner des beuveries dont l'objectif n'est pas le plaisir de boire, mais l'obtention le plus vite possible d'un état d'ivresse. « Cette intoxication alcoolique aiguë, bien documentée sur le plan clinique, peut entraîner des conséquences extrêmement redoutables notamment un coma éthylique parfois mortel et signalé dès l'âge de 12 ans », soutient le professeur Nordmann.
Or, 2,3 % des jeunes de 17 ans dans le cadre de la dernière enquête Escapad ont déclaré avoir eu recours au binge drinking au moins dix fois au cours des trente derniers jours, soit un jour sur trois. De surcroît, la précocité des comportements d'alcoolisation aiguë est un sujet de préoccupation supplémentaire. « Une étude très récente a montré, grâce à la neuro-imagerie, que la consommation d'alcool à un âge précoce entraîne une diminution de la matière grise dans plusieurs zones cérébrales », précise Roger Nordmann. Nous sommes encore loin des Britanniques, chez lesquels ces modalités d'alcoolisation concernent trois fois par mois 23 % des adolescents de 16 ans, et les filles plus que les garçons. Mais la tendance est lancée. Par ailleurs, les polyconsommations sont un sujet supplémentaire de préoccupation, avec 35 % des jeunes de 17 ans qui, toujours lors de la même enquête, ont déclaré avoir déjà pris ensemble de l'alcool et du cannabis et, pour 10 %, de l'alcool et des médicaments.
Quinze recommandations
Il existe déjà un dispositif législatif complexe de lutte contre l'alcoolisation des jeunes et des programmes d'éducation à la santé. Le code de Santé publique prévoit notamment l'interdiction de vendre à des mineurs de moins de 16 ans des boissons alcoolisées à consommer sur place ou à emporter. Pour l'Académie de médecine, l'évolution des comportements prouve que les mesures actuelles sont insuffisantes. Elle propose dans ce rapport quinze recommandations à mettre en place, notamment le renforcement des mesures existantes, l'interdiction du sponsoring des soirées d'étudiants par des marchands d'alcool, l'interdiction de l'alcool dans toutes les manifestations sportives et l'amélioration de l'éducation à la santé, qui pourrait débuter, selon les académiciens, dès l'enseignement primaire.